Dans la première partie de ses propos, Eric de Seynes nous a expliqué en détails la stratégie de Yamaha Europe mise progressivement en place pour rendre le plus accessible possible la compétition moto aux jeunes pilotes.
Mais favoriser une filière plus économique n’empêche pas de s’intéresser au MotoGP, et la transition avec Fabio Quartararo, attendu comme le loup blanc par toute la presse lors de la dernière journée d’activité du Yamaha bLU cRU CAMP, est toute trouvée…
Eric de Seynes : « Je vais vous raconter un truc. Fabio a fait un parcours exemplaire en Moto3 et en Moto2, malgré les résultats qui étaient difficiles. Et quand j’ai eu la chance d’être là sur un Grand Prix, quand Fabio a fait sa pole position sur la Speed Up, il y avait une valeur sportive extrêmement importante parce que c’était la moto qu’il a mise au point par lui-même, sans avoir l’aide de quiconque. Il était tout seul, et cette performance là, c’est lui qui se l’est construite.
Quand Yamaha est venu me demander en juin 2018 qui on pourrait mettre sur la deuxième moto Petronas, parce que cette moto, c’était celle de Johann : moi j’ai travaillé tout l’hiver pour qu’on propose à Johann une moto A équivalente à celle de Rossi sous les couleurs Petronas. Johann et Laurent Fellon ont choisi à l’époque une autre voie et je me suis retrouvé avec cette moto là qui a finalement profité à Morbidelli. Mais il fallait un deuxième pilote, et quand on est venu me dire qu’on cherchait un deuxième pilote chez Petronas, j’ai demandé » vous avez quoi dans la besace ? « . Ils m’ont donné trois noms et je leur ai répondu que s’il y en avait un à jouer, c’était Fabio.
Si je suis très honnête, je l’ai dit pour deux raisons. Un, parce que j’étais vexé que Johann parte sur une autre voie et que si je pouvais avoir un pilote français qui tape Johann sur sa nouvelle marque, alors qu’il sort du Moto2, qu’il est rookie et qu’il démontre que la Yamaha ça ne va pas si mal, ça me plaisait ! Mais surtout, Fabio il est Français, il était talentueux, on le sait puisque ce qu’il a réalisé jusqu’en Moto3 était au-dessus des autres, et un talent ça ne s’oublie pas, ça ne se perd pas.
Et surtout, moi ce qui m’intéressait, c’est qu’à 18 ans ou 19 ans, il était passé par le purgatoire : il n’y a pas un sportif qui peut être champion du monde sans être passé par une période de remise en question. Lui, il a eu deux saisons en Moto2 où il est passé par le purgatoire, où il y a une partie du milieu qui lui a tourné le dos, et ce n’est pas du tout aimé le comportement de son team manager de l’époque, quand il est rentré en Moto2, qui au bout de trois Grands Prix disait » Fabio ? On est très déçu, il ne met pas un pied devant l’autre « . On n’a pas le droit de dire ça à un gamin de 16 ans et demi qui découvre la catégorie, et j’ai trouvé que c’était absolument monstrueux.
Donc ces deux années de purgatoire, moi elles m’ont marqué. Et je me suis dit » il a le talent, il est passé par le purgatoire, il a faim comme personne d’autre et c’est sûrement un talent sur lequel il faut miser « . J’ai expliqué ça aux Japonais qui m’ont écouté et trois semaines plus tard j’étais aux 8 heures de Suzuka, fin juillet, et ils m’ont dit » Éric, tu vas être content, on a pris ton gars ! « . J’ai répondu que c’était content mais que j’espérais qu’ils allaient l’être aussi et, sincèrement, lors des premiers essais IRTA, j’ai regardé de près ce qu’il faisait (rires), mais ça s’est bien passé et quand j’ai vu que la seule chose qu’il disait c’était » il faut que j’apprenne un peu à freiner « , je me suis dit que c’était pas mal et que c’était gagné.
Et du coup, il m’a beaucoup aidé car je suis devenu le génie du recrutement MotoGP chez Yamaha (rires) parce qu’il n’y en avait pas un qui pensait qu’il ferait ça. Personne ne pouvait imaginer la saison qu’il a réalisée chez Petronas ! Remarquable ! Remarquable !
Et ce que je trouve formidable de la saison qu’il réalise cette année, il y a deux choses : premièrement il a travaillé sur lui-même pour que psychologiquement il arrive mieux à gérer une course où il peut se retrouver dixième au premier virage mais que ce n’est pas pour autant que la course est perdue.
La deuxième chose, c’est qu’il est devenu pilote d’usine et il a le courage, le mérite et l’honnêteté de dire » je suis au sommet de ce que je peux avoir à piloter, donc la performance c’est moi qui dois la faire, pas la moto « .
Là où on a des pilotes, et je ne les citerai pas, qui se perdent en croyant que machin, lui il s’est mis dans une posture où c’est lui qui fait le résultat. Il fait confiance à son équipe, c’est sa moto, il le sait, donc maintenant le job est entre ses mains, il est dans sa tête, et il le fait remarquablement bien. »
A suivre demain avec les propos de Fabio Quartararo…