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Randy Krummenacher a remporté le titre Supersport sur une R6 cette année, avant de partir chez MV Agusta. Avec lui, Federico Caricasulo et Jules Cluzel composaient le tiercé gagnant du Championnat du Monde, tous sur Yamaha.

Nous avons demandé à Éric de Seynes comment une telle hégémonie a-t-elle pu être obtenue, alors que la Kawasaki et la MV Agusta ne sont pas dépourvues de qualité ?

« En effet la R6 domine en Championnat du Monde, mais pour comprendre,  je pense qu’il faut aller regarder dans les Championnats Promosport et les championnats nationaux. On y voit, avec une faible préparation, les qualités intrinsèques de la moto. Dans tous les championnats nationaux 600, les R6 font la majorité du plateau et sont devant. Le secret de la R6 est que la moto est bonne, qu’elle a été conçue dès le départ comme une super-sportive, et cela de génération de R6 en génération. Elle a dans ses gênes une excellente balance châssis et moteur, plutôt facile à exploiter. »

« Il est important d’avoir une machine sur laquelle tout le monde se sente à l’aise. Quand tu passes sur la Kawa ou la MV, il y a un petit mode d’emploi. La R6 est naturelle. Je continue de rouler beaucoup sur circuit, surtout pour le développement produit, et je félicite à chaque fois nos ingénieurs car nous sommes capables de développer des motos performantes qui ne vont jamais contre leur pilote. C’est toi qui la contrôle et qui la maîtrise, quel que soit ton niveau tu ne subis pas les réactions de ta machine. »

« Cette qualité est fondamentale, et en 600 où le niveau de performance des moteurs est très proche, il faut que tu aies cette confiance dans ta moto, que tu sois capable de pousser ne serait-ce que  1% de plus que ton adversaire, pour être devant. »

En SSP300, Andy Verdoïa est le pilote Yamaha le mieux placé, quatrième du Championnat du Monde derrière trois Kawa. La Yamaha YZF-R3 est-elle handicapée par les équivalences du règlement (face à la Ninja 400) ou manque-t-elle de pilotes et d’équipes de pointe ?

« Non, sincèrement je ne pense pas que nous ayons le moindre problème avec nos pilotes. L’alchimie est compliquée en effet dans ce règlement 300 pour équilibrer les performances entre les marques. Si on a gagné le Championnat assez facilement la première année* c’est aussi parce que notre R3 faisait 320 cm3 et la Kawa 300 cm3. »

*En 2017, Marc Garcia a remporté le premier Championnat du Monde SSP300 sur Yamaha.

« Aujourd’hui les 80cm3 de différence entre la Kawasaki et la Yamaha apportent quelque chose en reprise. Tu peux maîtriser l’équivalence de puissance en haut mais pour le couple c’est plus difficile. On a travaillé avec Dorna pour égaliser les chances parce qu’on n’a jamais voulu de monopole. Actuellement on tente d’améliorer l’équilibre de performance de couple entre les moteurs. On peut peut-être jouer sur la longueur des pipes d’admission entre la boîte à air et les injecteurs, car il faut trouver un petit truc pour équilibrer cette valeur de couple, et on va y arriver. »

« On tient à cette catégorie dont on a été en grande partie à l’initiative, un championnat se doit de faire une place aux jeunes, à l’avenir. Maintenant que ce championnat est à maturité, nous travaillons avec Dorna pour lancer une nouvelle Rookie Cup en Supersport qui sera monotype. L’idée est de faire la meilleure catégorie entre les championnats nationaux 300cc et le championnat du monde qui est maintenant très relevé. La saison coûte 35 000 euros, sachant que la moto est fournie prête à courir, ce qui permet d’assurer une parfaite équité entre les pilotes, et que les pilotes rouleront sur les manches européennes du championnat du monde SBK. On est déjà assuré d’avoir la grille pleine puisque nous avons déjà reçu 34 demandes alors que les inscriptions ne sont pas closes. »

« Pour revenir sur les pilotes et la saison 2019, ce qu’a réalisé Andy Verdoïa est remarquable. A Magny-Cours il part dernier et il finit deuxième (parce qu’il croit qu’il y a encore un tour), au général il finit 1er Yamaha et 4ème au général devant des pilotes qui avait déjà une saison d’expérience. Dans le clan des français il y aussi des talents prometteurs comme Hugo de Cancellis qui fera partie des favoris pour 2020, ou encore Enzo de la Vega et les pilotes du team de Jean-Paul Boinet comme Mateo Pedeneau ou Romain Doré.  Donc, non, on n’a pas de problème de pilotes. Notre filière bLU cRU  fonctionne, on a un recrutement très large. Je suis même en discussion avec le Moyen-Orient pour avoir des pilotes de cette région en SSP300, comme nous en avons en provenance de l’Asie. »

« Comment déterminez-vous chez Yamaha l’influence de la compétition sur les ventes ?

« Impossible à estimer de façon précise! C’est impossible à savoir. Et je pense qu’il ne faut pas chercher à le savoir. Ce n’est pas l’objectif. »

« Ce que je crois profondément, c’est qu’une marque comme Yamaha, qui va fêter ses 65 ans l’année prochaine, a installé dans la durée son histoire, sa réputation. On est dans un monde où les gens recherchent la notoriété, ce qui est une bêtise. La notoriété, ça s’achète et ça n’a pas beaucoup de valeur. Ce qui compte est la réputation, car cela se construit et c’est la réputation qui installe la valeur d’une marque. »

« Demain je lance une nouvelle marque, « Lemon moto », j’investis 150 millions d’euros dans un plan de communication massif, de la télé, du web, etc… et en trois mois j’aurai acquis une notoriété. Tout le monde saura  que « Lemon moto » existe. Est-ce que ça aura une valeur ? Non. Je serai connu, mais je pourrai être oublié tout aussi vite. Ce qui compte, c’est la réputation. Parce qu’on sait ce qu’il y a derrière la réputation. Quand on te dit Yamaha, tu penses XS, DTMX, Ténéré, Fazer, R1, Vmax, MT, et si tu es français tu penses JCO, Pons, Sarron, Vimond, Peterhansel, Christophe Guyot, Fabio, et plein d’autres. Tu es capable d’associer à la marque des exploits, des souvenirs, des émotions, tu peux mettre beaucoup de choses derrière. Et toute cette valeur est rattachée à deux éléments fondamentaux : les motos et les hommes de la compétition. »

« Si nous n’avions pas eu un engagement en compétition aussi solide, aussi pérenne, aussi motivé notre marque n’en serait pas là… J’ai connu les années 92, 93, la Guerre du Golfe où on n’avait plus de ressources, où il fallait tout couper, mais on a gardé le Dakar et les engagements compétition en France. J’ai connu la période post crise Lehmann Brothers où nous avons été déficitaires en Europe pendant plus de trois ans entre 2010 et 2013. Malgré tout, quand je suis arrivé en 2014, j’ai osé renforcer les budgets de la compétition pour relancer l’envie, l’ambition et la confiance dans l’avenir. C’était le contraire de ce qu’un « bon gestionnaire » aurait dû faire. Et avec le recul, je pense que c’était une bonne décision. »

« Je ne sais pas si la compétition augmente le volume des ventes, mais je sais que la compétition renforce la marque, le talent des ingénieurs. Que cela crée une aventure humaine forte entre les fans, le public, nos clients, nos pilotes, nos teams et la marque. Et si la moto perd ce sens d’humanité et de passion, ce sens de la relation et du partage avec les autres, nous serons tous destinés à nous perdre. »

« Que la compétition apporte des ventes, je l’ignore. Qu’elle apporte des clients convaincus qui sont fiers de rouler en Yamaha, oui sûrement, et ça a plus de valeur à mes yeux que des simples ventes à court terme. »

Eric de Seynes et Andy Verdoïa

Eric de Seynes et Corentin Perolari

Photos © Yamaha