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Éric de Seynes a été nommé en 2016 Executive Officer de Yamaha Motor Corporation (Japon), puis Président de Yamaha Motor Europe en 2018. Nous lui avons demandé de détailler pour nous les implications de la marque en compétition sur le bitume.

Éric, Yamaha est le seul constructeur officiellement engagé en Championnats du Monde MotoGP, Superbike, Supersport et Endurance. Pourquoi une telle présence en compétition ?

« Tout d’abord, la compétition est profondément ancrée dans l’ADN de Yamaha. Yamaha a été créé un 1er juillet, et une semaine après on participait à notre première course, qu’on a eu la chance de gagner ! On l’a gagnée parce qu’on avait mis dix pilotes au départ, mais aussi par enthousiasme. Depuis, tous nos ingénieurs qui ont été à la tête de nos projets majeurs, comme la R1 de 1998 ou le récent Tricity, sont passés par le MotoGP et la compétition à un moment charnière de leur carrière. Cela veut aussi dire que quand tu es un ingénieur de talent, il y a un moment où tu dois passer par cette épreuve-là. On considère que dans cette expérience nos ingénieurs sont obligés de solliciter au maximum leurs capacités, et cette vertu est reconnue de la base au sommet de l’entreprise. »

« La deuxième chose est, qu’à titre personnel, je reste convaincu que pour une entreprise comme nous, l’investissement en compétition est le meilleur de tous ceux qu’on peut faire. Au niveau de notre production, nous avons un engagement de qualité qui est très élevé, et avec un positionnement de prix qui est en général dans le cœur du marché. Nous sommes dans un excellent rapport de qualité-prix, et je pense même que nos clients n’ont pas toujours une pleine conscience de la qualité aboutie de nos motos. Amuse toi à démonter une Yamaha et une moto d’une autre marque et regarde la qualité des soudures, des finitions, de ce qui se cache derrière les plastiques et tu comprendras ce que je veux dire. Donc, tout cela se traduit par un investissement important dans notre Recherche & Développement, et cela nous laisse moins de capacité que certains de nos concurrents dans nos budgets marketing. Pourtant nous devons être présents tout au long de l’année au contact de nos clients. Et c’est là que nos programmes en compétition prennent tout leur sens. Avec une quinzaine de courses dans l’année par championnat, la compétition t’apporte une visibilité, une présence au cœur du marché, tout au long de l’année qu’on ne saurait pas se payer avec de grands médias. »

« Par ailleurs, le cœur motard de nos clients, les experts de notre marché, continuent de suivre avec soin les résultats de la compétition et à se passionner. Ce qui veut dire que quand un néophyte souhaite acheter un scooter ou une moto, il y a des chances qu’il se tourne vers un expert de son entourage qui suive la compétition, qui ait une bonne image de Yamaha, et qui lui recommande notre marque.. »

« Enfin et surtout on fait des motos pour ça ! Quand je suis arrivé chez Yamaha Europe, j’ai essayé de redéfinir la stratégie Yamaha pour qu’elle soit la plus simple et la plus connectée au client possible. Pour cela, j’ai identifié trois motivations fondamentales de nos clients à utiliser nos produits : Il y a ceux qui en ont besoin (comme de leur scooter pour aller au bureau le matin), ceux qui aiment (pour qui c’est un loisir, un art de vivre), et ceux pour qui la moto est un sport. Le racing fait donc partie des trois motivations fondamentales auxquelles Yamaha doit savoir répondre à travers ses produits, comme ses programmes. »

« Le Superbike, le Supersport, l’Endurance, le MX, les Rallyes, le SSV ou le quad sont des catégories dont les règlements techniques s’alignent sur les motos d’origine. Donc oui, nous sommes présents dans toutes les catégories car nos motos sont faites pour cela. Mais j’essaie de pousser plus loin, afin que Yamaha devienne progressivement la meilleure marque pour un team privé, pour un pilote amateur, ou pour un pilote talentueux qui veut s’épanouir et réussir en compétition. Je souhaite qu’on soit la meilleure marque avec qui courir parce qu’on développe des pièces racing, on propose un service racing sur le terrain, et nous faisons de nombreux efforts pour être au plus près des teams privés. J’ai été assez longtemps pilote privé en fond de grille pour connaître les sacrifices que cela représente. Je sais la valeur que peut représenter pour un privé, l’attention ou l’assistance que peut lui apporter sa marque. »

« Une marque propose des motos « prêtes à courir ». Je préfère que Yamaha soit la marque avec laquelle on aime courir. Car nos motos sont performantes et parce que notre marque sait accompagner ses clients pour qu’ils puissent courir dans de meilleures conditions qu’avec une autre marque. Pour moi il n’y a pas que la victoire qui compte, mais aussi le fait que le sport continue d’exister. Pour ça il faut du monde sur la grille et des constructeurs qui s’impliquent comme nous. »

En mondial Superbike, Yamaha renouvelle l’essentiel de ses effectifs, conservant seulement Michael van der Mark et Loris Baz. Pour 2020 arrivent Toprak Razgatlioglu au sein du team officiel (Crescent), Sandro Cortese peut-être chez Ten Kate aux côtés de Baz, ainsi que Garrett Gerloff et Federico Caricasulo chez GRT (Yamaha Junior). Quelle est ton estimation de l’évolution de la R1 et de ses pilotes en Superbike ?

« Avec la R1, nous sommes maintenant sur une évolution de petits pas. La moto est bonne, elle a gagné des courses, fait de nombreux podiums et cela fait deux ans que nous finissons 3ème au Championnat du Monde. Nous avons réduit l’écart avec nos principaux concurrents Kawasaki et Ducati. Malgré tout la R1 est un peu à l’image de ce qu’est la M1 au MotoGP. Cela veut dire une moto vive, facile en entrée de courbe, un super châssis au service d’un moteur qui motrice mais sans prendre toutefois un avantage décisif. »

« La R1 de 2020 peut nous donner de nouvelles latitudes, même si nous n’avons pas joué, comme d’autres constructeurs, à faire une moto de compétition avec un moteur qui tourne à 16 000 tours et qui exige un entretien très coûteux. Ce n’est pas notre philosophie. Nous on souhaite produire la meilleure moto de Supersport pour le client, pour aller faire des track days, du Promosport, de l’endurance sans avoir à ouvrir le moteur tous les 2 000 km. »

« En 2019, nous avons beaucoup amélioré l’électronique et on va continuer à le faire en 2020 car c’est un point très important pour exploiter l’avantage couple et motricité du moteur cross-plane. Avec les pneumatiques uniques, on ne peut pas se permettre de décrocher dans la qualité de notre électronique. Compte tenu de cette maturité, je pense que nous sommes sur une progression qui va devenir de plus en plus liée au pilote plus que strictement à la moto.  »

« Nous sommes tout à fait capable de gagner, mais il faut respecter Jonathan Rea qui est comme Marc Márquez en Grand Prix, un vrai champion qui domine sa catégorie et il faut faire avec. Concernant nos pilotes, on a réalisé notre première saison avec Sylvain Guintoli et Alex Lowes. La moto était toute nouvelle, sans aucune référence, et l’électronique n’était pas encore aboutie. Sylvain a malheureusement chuté à Imola, sur une défaillance de l’électronique et a été victime d’un très gros high side. Il a donc eu une petite perte de confiance et a préféré partir vers d’autres projets. »

« Michael van der Mark est ensuite venu nous rejoindre et nous avons réalisé quatre saisons formidables avec lui et Alex. On a gagné quatre fois les 8H de Suzuka consécutivement, on a vécu des victoires, des moments très forts, on a créé une vraie osmose, l’un et l’autre étant des pilotes et des hommes remarquables. Avec Paul Denning (Crescent), ça faisait un esprit de famille génial.

« Sauf que parfois (je retiens ça d’Alain Chevallier) la course moto exige de se mettre dans l’inconfort. Il faut mieux une moto moins confortable et plus difficile à piloter, mais plus rapide, que le contraire. Il ne faut pas donner priorité au confort quand on recherche la performance et nous nous sommes dit qu’il était peut-être temps de se remettre en question. J’en ai parlé directement à Alex en lui disant qu’on était peut-être arrivé à cet état de fait. Je lui ai proposé de réfléchir s’il avait une nouvelle opportunité pour sa carrière, sachant que je m’engageais à lui assurer une place dans un autre team Yamaha en 2020, avec la même R1 que le team Crescent. Puis il a eu l’offre de Kawasaki, avec la possibilité d’enfin battre Rea à arme égale ce dont il rêve. Je suis donc heureux pour lui, cette évolution a du sens pour sa carrière.

« Dans le même temps, Toprak Razgatlioglu a émergé et nous a tapé dans l’œil. J’aime son sérieux, son respect, son talent et sa liberté de pilotage sur la piste. Il me fait penser à Lucas Mahias qui peut être inquiet dans le box, et trouver sa pleine assurance une fois le casque sur la tête, devenant le plus beau des champions. Toprak est timide, discret mais quand il met son casque il devient un vrai guerrier. Il intégrera donc le team Crescent aux côtés de Michael van der Mark. »

« En ce qui concerne le team GRT, sa vocation est d’accueillir le Champion du Monde Supersport de l’année précédente. Tout comme le Champion en Moto2 doit aller en MotoGP, il me semble important que le champion 600 ait la possibilité de monter en SBK, il en va de la crédibilité sportive du championnat. On avait proposé  cela à Lucas* l’an passé, et il a préféré rester en 600, ce qui est tout à fait respectable. On l’a fait avec Sandro Cortese cette année. »

*Mahias a été Champion du Monde Supersport en 2017 sur Yamaha.

« Randy Krummenacher a eu une proposition intéressante de MV Agusta, et il a décidé de l’accepter. Il se sent très à l’aise en 600 et cela représente un beau challenge. Je suis content pour lui, car il est un beau Champion du Monde. Enfin, Federico Caricasulo qui a terminé vice-champion a été intéressé par l’enjeu et il monte donc en 1000 au sein du GRT. Notre deuxième pilote chez GRT est l’américain Garrett Gerloff. Il est jeune, talentueux, motivé et permettra d’augmenter l’audience aux USA du Championnat du Monde. Enfin, le deuxième pilote chez Ten Kate doit encore être confirmé aux côtés de Loris Baz qui a réalisé une super saison ! »

« Au total, je pense qu’avec Michael, Toprak et Loris on a des pilotes pour jouer devant quand avec Federico et Garrett nous continuons à construire l’avenir et cela fait aussi partie de notre responsabilité. Au total, des pilotes talentueux, expérimentés et qui sont de bons ambassadeurs pour le sport moto comme pour Yamaha. Je suis donc très content de tous les soutenir ».

A suivre, la 2e partie de cette interview : MotoGP, Fabio, Valentino.

Michael van der Mark

Yamaha Motor Europe en chiffres :

Yamaha est premier producteur de deux-roues en France et 4ème au niveau européen.

Yamaha Motor Europe est une société de fabrication, d’importation et de distribution de motocycles, scooters, quads, voitures de golf, quadricycles, motoneiges, bateaux, moteurs hors-bord, marine-jets, et vélos électriques (entre autres).

Yamaha Motor Europe couvre 41 pays sur le continent européen et travaille avec près de 5 000 concessionnaires indépendants. La société emploie 1 900 personnes à travers 12 filiales de distribution et différentes sociétés de production implantées dans les principaux pays européens.

Yamaha Motor Europe dispose d’un centre de Recherche et Développement situé en Italie comprenant 120 ingénieurs.

L’Europe constitue un enjeu industriel fort pour le Groupe qui y détient trois sites de production :

1/ MBK (St-Quentin – 02 France) : Premier constructeur français et quatrième constructeur européen de motocycles et scooters. L’entreprise emploie aujourd’hui 630 personnes et produit 80 000 véhicules par an.

2/ Motori Minarelli (Milan, Italie) : Deuxième constructeur italien de moteurs (près de 100 000/an), l’entreprise emploie 400 personnes environ.

3/ IWL (Finlande –Inha Works Limited – 130 employés) : Fabrication des bateaux Buster et Yamarin.

Toprak Razgatlioglu

Photos © Yamaha

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