Il y a les bons pilotes. Un peu au dessus, il y a les excellents pilotes. Et tout en haut, il y a les pilotes qui deviennent des icônes, qui provoquent l’engouement d’un pays tout entier. Ces légendes entre au Panthéon par la grande porte, et il est temps de leur rendre hommage. Aujourd’hui, les projecteurs sont braqués sur celui que l’on appelait « le crocodile ».
Il avait le « truc » dès le départ. Découvrant la compétition à 18 ans et se faisant rapidement repérer en Australie, son pays natal, il gravit les échelons très rapidement. Moriwaki, constructeur japonais, le veut dans ses rangs. C’est chose faite pour 1981, et Wayne court déjà en Superbike australien. Mais Moriwaki est aussi présent aux 8 Heures de Suzuka, épreuve prestigieuse s’il en est. Il arrive a décrocher une place dans l’équipe partante, et tient compagnie à John Pace.
Lors des essais, les jeux sont faits. Pôle position, devant les marques et leurs teams d’usine. Nous parlons alors d’un pilote qui a découvert la compétition il y a quatre ans seulement ! Cette pôle inespérée fait parler d’elle, et de plus en plus d’écuries lorgnent sur le natif de Wollongong. Par Ailleurs, il remportera cette épreuve à quatre reprises durant sa carrière.
Et c’est Honda qui rafle la mise, récupérant le jeune prodige. C’est par la division britannique de la marque japonaise que Wayne fait son entrée dans le monde des Grands Prix, à Assen en 1983.
Mais cet essai dans la cour des grands a bien failli virer au cauchemar. En début de course Franco Uncini perd le contrôle, et tombe de sa 500CC. Alors couchée sur la piste, elle cache un Uncini allongé, priant de ne pas se faire percuter. Après qu’une poignée de pilotes aient évités l’accrochage, il décide de courir vers un endroit plus sûr. Le moment n’était pas le bon.
Gardner percute de plein fouet la tête du champion du monde au moment ou ce dernier se relève. Cet accident qui plongera l’italien dans un coma lourd gardera toujours une place particulière dans le cœur de Wayne Gardner, qui, selon ses dires, aurait pu arrêter toute forme de compétition.
Mais heureusement pour lui et pour nous, Uncini échappe à la mort et Gardner retrouve goût à la bataille en piste. Et quelles batailles. Gardner et combat, ça rime. Son style de pilotage est un des plus agressifs de sa génération, et celui que l’on appelle le « Wild One » (le sauvage), ne se laisse jamais impressionner. Étant quatrième pour sa première année complète (passé chez Rothmans-Honda), il montre tout de suite les crocs.
1987 est la bonne cuvée. Il réalise une année comme il en existe peu au plus haut niveau, ne touchant plus terre. Sept victoires en quinze courses, trois deuxièmes places et deux troisièmes places, le tout accompagné de dix pôles dans une année. Sur une autre planète …
Les plus grands ennemis des pilotes de ce type sont les blessures. Et Gardner en fit les frais tout au long de sa carrière. S’il ne passe pas loin du titre en 1988, il sera très diminué les deux saisons suivantes.
Mais entre temps, il est devenu une véritable star : C’est la personne qui a fait passer à l’Australie un cap en sports mécaniques, pays qui nous livre des pilotes extrêmement talentueux de nos jours, sur deux roues comme sur quatre. Sa popularité grandissante pousse les organisations à créer un Grand Prix d’Australie, sur le circuit de Philip Island, toujours au calendrier.
Arrivé en 1990, son niveau n’est plus le même. Ses blessures à répétition ont eu raison du « crocodile », et il peine à retrouver son niveau stratosphérique des années 87-88. Au terme d’une saison 1991 compliquée, plus personne ne pense au guerrier pour la lutte au titre.
Mais dans un élan de combativité rarement égalé, le Grand Prix du Japon 1992 restera comme l’un des plus beaux exploits de notre sport. La manche inaugurale du championnat se déroule sous des trombes d’eau, et les pilotes tombent un à un. Gardner n’y échappe pas. Il se fait piéger, et sa NSR500 est endommagée, mais il parvient quand même à repartir. Et là, l’inconcevable se produit. Touché par la grâce, et sans bulle protectrice sous des trombes d’eau, il se met à rattraper les concurrents. Il les double comme si lui roulait sur le sec. Des dépassements plus qu’osés : Niall Mackenzie se fait enrhumer sur un changement d’angle, et Gardner a Mamola (et les portes du top 5) en ligne de mire. Malheureusement, il chute de nouveau à haute vitesse, se blessant aux jambes une fois de plus.
Cet exploit oublié vaudra au commentateur anglophone Nick Harris de dire « Cet Homme ne sait pas abandonner. Cet Homme ne sait pas comment se rendre. » Des mots de légende pour une prestation de légende.
À Donington, il annonce sa retraite pour la fin d’année, ému. Par la suite, il bénéficiera d’une nouvelle carrière, sur quatre roues cette fois, et aidera à propulser des talents comme Daryl Beatie ou encore son fils Remy à exploser. Ce pilote au charisme indéniable fait partie de la légende, et nous rappelle que notre sport connut des bons pilotes, certes, mais aussi des héros.
crédit photo de couverture : Rikita