Hier devait se dérouler la 79e édition de la célèbre Daytona 200. Malheureusement, on l’a appris dans la nuit de vendredi à samedi, celle-ci a dû être annulée pour cause de coronavirus.
On peut certes le regretter mais, de toute façon, il faut reconnaître que cette épreuve créée en 1932, puis disputée sur la plage de Daytona en Floride depuis 1937 et sur l’anneau du Daytona International Speedway depuis 1961, a perdu tout le lustre qu’elle avait dans les années 70. Alors…
Alors nous avons le temps, donc intéressons-nous par exemple à l’année 1978. Ce n’est certes pas l’édition la plus disputée mais son contexte est néanmoins intéressant.
Kenny Roberts est alors LA star américaine au guidon de ses Yamaha officielles. Il essaie de gagner la Daytona 200 depuis 1972 mais a toujours fait preuve d’une grande malchance dans cette épreuve.
Cette année-là, il s’est mis la pression en annonçant qu’il allait participer intégralement aux championnats du monde 250cc, 500cc et 750cc. Mais avant cela, il y a toujours cette fameuse Daytona 200 qui se déroule au mois de mars et qui lui échappe depuis maintenant six ans…
Le programme…
Pour l’affronter, le « nain jaune » dispose d’une Yamaha tout ce qu’il y a de plus officielle. Honnêtement, c’est ce qui se fait de mieux, comme le prouvent sans aucun doute les 76 Yamaha alignées au départ sur les 80 concurrents sélectionnés pour la course (97 pilotes aux essais) !
Lors des éditions précédentes, toutes gagnées par Yamaha, les pilotes des Amériques ont repris la main après les victoires de Jarno Saarinen en 1973 et de Giacomo Agostini en 1974 : Gene Romero s’est imposé en 1975, le Vénézuélien Johnny Cecotto en 1976 et Steve Baker en 1977, alors qu’à chaque fois Kenny Roberts connaissait des mésaventures.
En 1978, le règlement évolue car les pneumatiques Good Year, Dunlop et Michelin, à la fois expansés par la force centrifuge due aux grandes vitesses atteintes, et compressés par l’appui généré sur l’anneau du célèbre circuit, ne tiennent plus la charge depuis déjà 1975.
Cette année-là, Barry Sheene avait déchiré son Dunlop sur le bras oscillant de sa Suzuki aux essais, tandis que Johnny Cecotto a gagné avec un Michelin usé jusqu’à la corde en 1976 alors que Kenny Roberts a dû abandonner avec un Goodyear crevé.
L’année suivante, ô sacrilège, on a même dû scinder la course en 2 épreuves de 100 miles avec changement de pneu arrière au milieu ! Cela n’a finalement pas eu lieu à cause de la pluie mais cela ne vous rappelle rien ?
En 1978, les motos sont donc équipées d’une bride à l’admission, de 23 mm pour toutes les Yamaha (4 cylindres), et de 27 mm pour les 3 cylindres des Kawasaki.
En voici le dessin officiel, publié à l’époque par le magazine Moto-Presse.
Pour les essais, les adversaires de Kenny Roberts sont bien entendu les vainqueurs des éditions précédentes, à commencer par le Vénézuélien Johnny Cecotto, premier en 1976 après avoir effectué une remontée d’anthologie en 1975 (parti dernier, arrivé 3e).
Kenny Roberts : « cela pourrait être notre année. La moto est bonne, les pneus sont bons et il est temps que je gagne cette chose. Si nous pouvons éviter les problèmes que nous avons rencontrés dans le passé, je pense que nous pouvons le faire. Je m’attends à ce que mon plus gros problème vienne de Cecotto et de Baker, bien que je ne sais pas si Steve pourra le faire. Les autres gars qui sont rapides sont Gary Nixon, Gene Romero et Skip Aksland. »
Et Kenny Roberts parvient effectivement avec brio à effectuer la pole position en 2’05.21 sur son OW31, devant Johnny Cecotto (#305) en 2’06.15, Steve Baker (#32), Skip Aksland, et Dale Singleton.
Gene Romero (#3) se qualifie 11e, Jack Middelburg (à qui l’on doit de splendides archives) 18e, et le premier Français, Alain Vial 38e. Ce dernier connaîtra un serrage en course mais nos tricolores connaîtront un bien meilleur sort quelques années plus tard ! On y reviendra peut-être si la pause forcée que nous connaissons se prolonge…
Tableau des qualifications (numéros en noir, place en qualification en rouge):
Cette domination de Kenny Roberts n’est pas une surprise, car il a servi de pilote d’essais à la fois pour mettre au point les brides à l’admission (avec Gary Nixon et Dale Singleton) et les pneus Goodyear. Autant dire que sa machine (équipée de carburateurs Lectron en place des habituels Mikuni) est réglée aux petits oignons par Kel Carruthers, ce qui n’est évidemment pas le cas des pilotes européens puisque ces derniers n’ont reçu le plan des brides d’admission qu’en janvier, au moment de leur inscription…
Si la Yamaha est parfaitement réglée, les brides font perdre 17 % de sa puissance au quatre cylindres d’Iwata, ce qui suffira à faire tenir les pneus durant 200 miles.
Sans avoir vraiment pu tester en hiver, les Michelin sont
dépassés à Daytona mais figurent néanmoins sur quelques machines du
plateau. L’explication est donnée par un participant…
« Les gars de Goodyear ont testé leurs nouveaux slicks ici tout
l’hiver. Leurs pneus sont parfaitement adaptés à ces conditions et
à cette piste. Si nous avions également monté des Goodyear, nos
temps en entraînement auraient certainement été meilleurs qu’ils ne
le sont maintenant. Mais oui, cette course est une épreuve unique,
elle ne compte plus pour le championnat du monde, et nous devons
compter sur le service compétition Michelin pour le reste de la
saison. Nous ne devons donc pas fâcher ces gens. »
Au départ, le Canadien Steve Baker, sur une Yamaha encore usine, s’élance le mieux mais Kenny Roberts fait finalement le holeshot en s’imposant au premier freinage.
Dès lors, personne ne viendra lui contester une victoire tant écrite et attendue : la course se résumera à un cavalier seul de « King Kenny », les autres concurrents ne voyant la Yamaha jaune que sous cet angle !
Steve Baker, le vainqueur de l’année passée, occupe en effet une belle deuxième place avant d’exploser son moteur en vue de l’arrivée, puis Johnny Cecotto récupère cette position mais se fait prendre un tour dans l’avant-dernier tour, tournant alors cinq secondes moins vite avec ses pneus Michelin que le pilote de la Yamaha numéro #2… du jamais vu !
L’Australien Gregg Hansford fait une belle course et place sa « non-Yamaha » en 5e position. Il bénéficie de brides moins restrictives que celles des Yamaha mais son 3 cylindres tourne moins vite aussi…
Kenny Roberts ne pourra cependant pas défendre son titre en 1979. Après sa septième tentative, cette fois couronnée de succès, le vainqueur de la Daytona 200 de 1978 se blessera gravement lors d’un test hivernal pour Yamaha à Iwata, au Japon. Au cours de ces essais, il percutera une barrière de sécurité après un wheeling à 160 km/h. Souffrant d’une grave blessure au dos (vertèbre fracturée) et de quelques blessures moindres comme une entorse à la cheville et une rupture de la rate, le champion américain rentrera aux USA maintenu par un corset, mais sa rééducation ne lui permettra pas d’être prêt à temps au mois de mars 79.
Quant à Michelin, face à une piste ré-asphaltée et rugueuse, le manufacturier français préférera se retirer…
Le champion américain gagnera toutefois l’édition 1983 avec sa Yamaha 580cc 0W69 (quatre cylindres en carré à distributeur rotatifs), puis celle de 1984.
Crédit photos et documents: Jack Middelburg, Facebook, Youtube, etc.