Le thème d’aujourd’hui est particulier. Nous allons
revenir sur l’histoire atypique de Joan Garriga, tantôt légende
inspirante, tantôt truand.
1979. En Espagne, rares sont les coureurs à s’être illustrés au
plus haut niveau. Seul Ángel Nieto s’est largement démarqué.
Pourtant, le reste du paysage est bien vide. Cependant, une
nouvelle vague arrive.
Né à Barcelone en 1963, Joan remporte trois championnats d’Espagne
consécutifs avant de tenter sa chance en mondial pour l’année 1984.
Antonio Cobas, autre pilote ibérique, l’engage
dans sa structure en catégorie 250cc, sans grand succès. À ses
côtés, un autre représentant de cette génération dorée :
Sito Pons.
Quatre ans plus vieux, Sito réalise également ses débuts à plein
temps, mais semble un ton au-dessus. Cobas l’avait déjà engagé à
plusieurs reprises pour des wildcards, et connaissait l’étendue du
talent de son poulain. Garriga, après une pauvre année 1985 et 1986
en
500cc chez Cagiva, redescend en 250cc pour
Ducados – Yamaha.
Il a des choses à prouver. À Jerez, c’est la délivrance. Le catalan
monte pour la première fois sur le podium. Suite à une blessure en
milieu de saison, Joan revient plus fort au Portugal avec une
deuxième place accompagnée de la pole position et du meilleur tour
en course.
Sito Pons, chez l’ennemi Campsa –
Honda, performe. Déjà vice-champion en 1986, l’autre
catalan – encore un – figure troisième du général 1987. Les deux
hommes, issus de la même ville et se connaissant depuis longtemps,
ne s’aiment pas plus que ça. En 1988, la bataille tant attendue
pointe enfin le bout de son nez. Sur une grille bourrée de talent
(Jacques
Cornu,
Luca Cadalora, un vieil Anton Mang,
Dominique
Sarron, Jean-Philippe Ruggia, …), deux
barcelonais dominent le sport.
Joan débute timidement et n’est même pas considéré
parmi les favoris au bout des deux premières joutes.
Mang remporte le dernier Grand Prix de sa carrière
au Japon, traditionnelle manche d’ouverture, suivi par la victoire
surprise de Jim Filice aux USA. Pons, toujours sur
le podium et vainqueur à Jarama, ne faiblit
pas.
Lors de la manche suivante à Jerez
(première fois que deux manches consécutives se déroulent dans le
même pays, chose à laquelle la pandémie nous a habitué), Pons part
à la faute et laisse son ennemi triompher. C’est la
première victoire de notre héros du jour en carrière, arrivée à
point nommé.
Garriga, l’incisif, le véloce, l’attaquant, contre Pons le
cérébral. Au terme du cinquième rendez-vous, le décor est
planté. Cette joute passionne les foules, de plus en plus
nombreuses en péninsule ibérique.
Les deux hommes doivent cependant laisser
vaincre Sarron et Cadalora
en Italie puis en Allemagne, mais sans descendre de la boîte pour
autant. Podium de Garriga en Autriche puis victoire à
Assen. Deux triomphes consécutifs pour Pons en
Belgique et en Yougoslavie. C’est un match de boxe, les
deux barcelonais se rendent coups pour coups.
Jacques Cornu s’immisce discrètement et profite de
la guerre pour rafler la mise au Mans. Il s’agit du septième
vainqueur différent en onze weekends. Nous sommes dans
l’âge d’or de la 250cc. Aussi incroyable que cela puisse
paraître, aucun de deux prétendants ne commet la moindre erreur.
Tout se jouera lors de la dernière manche, au Brésil.
Sur le circuit de Goiânia, tous les regards
sont tournés vers le quart de litre. Il s’agit du seul titre encore
non décerné. Dès le début de course, Sito Pons prend la
roue du bon groupe, tandis que Garriga se fait retenir à
l’arrière. Plus les tours passent, plus l’attente est insoutenable.
Pons est bien placé, sur le podium, mais ne semble pas en mesure
d’aller chercher un Dominique Sarron très en jambe. Garriga
a enfin réussi à se défaire des Helmut Bradl, Cardús et autres
Ruggia. À cinq secondes derrière, le paquet n’espère plus.
C’est terminé. Pons est sacré champion du monde
pour 10 points seulement.
Une saison exceptionnelle, légendaire à bien des égards. Si elle
laissait entrevoir un grand futur à Joan Garriga, il n’en fut rien.
L’année suivante, il ne put retrouver son niveau et n’inscrivit
aucun podium, contrairement à son ennemi qui s’affranchit de son
second titre mondial.
Trois années en 500cc chez Ducados – Yamaha
suivront. Elles seront marquées par des résultats encourageants et
un podium à Donington en 1992. Mais c’est bien
tout. Une année en Superbike plus tard et puis s’en va.
Une sombre affaire de trafic de drogue et
port d’armes intervint en 1998. Garriga, aimé ou
détesté, n’avait laissé personne indifférent durant ses huit ans de
carrière. Cela ne compte pas face à la loi. La sanction est simple
: deux ans de prison.
L’espagnol s’est éteint en 2015 à la suite d’un accident de
la route. Une nouvelle qui attrista tout le paddock, tant
il avait été précurseur et influent pour la nouvelle génération
espagnole qui peuple les grilles. Nous vous laissons sur cette
déclaration de Jorge Lorenzo, pilote non moins
légendaire.
« C’est très triste, parce qu’il était l’un des pilotes
mythiques de l’histoire de la moto espagnole. Je ne l’ai jamais
rencontré, mais j’ai beaucoup entendu parler de lui, en particulier
par mon père qui était un grand fan de ses courses. »
Photo de couverture : Box Repsol