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Profitant de la pause hivernale des pilotes MotoGP et d’une actualité sportive un peu moins fournie, nous vous proposons une galerie des principales personnalités francophones du paddock qui, chacune, représente un des innombrables rouages indispensables au somptueux spectacle que sont les Grands Prix.

On entend souvent parler de l’armada espagnole ou des troupes italiennes, mais vous allez découvrir que la colonie francophone, plutôt nombreuse et très unie, n’a pas à rougir de la comparaison.

Dans la lumière ou plus dans l’ombre, prolixe ou plus discret, chacun de ces hommes nous a partagé avec plaisir son univers et son actualité, avec toujours la même passion comme dénominateur commun.

Peu à peu, vous pourrez donc ainsi un peu mieux savoir qui sont, et ce que vivent aujourd’hui, par exemple Claude Michy, Piero Taramasso, Hervé Poncharal, Éric Mahé, Nicolas Goubert, Bernard Ansiau, Guy Coulon, Christophe Bourguignon, Florian Ferracci, Christophe Léonce, Marc van der Straten, Miodrag Kotur, Alain Bronec, Jacques Hutteau, Michel Turco, David Dumain, Michaël Rivoire, et bien d’autres.

Cette longue série d’interviews sera tout d’abord diffusée sur le site officiel MotoGP.com dans une version peaufinée, avant d’être accessibles ici dans leur version brute.

Ainsi, au moment où reprendront les Grands Prix MotoGP, vous serez presque incollable sur la partie francophone d’un paddock particulièrement cosmopolite…


Quelle est votre année de naissance ?

« 1981 ».

Comment le jeune Jacques Roca a attrapé la passion des sports mécaniques ?

« C’est grâce à mon père qui a travaillé pendant 25 ans comme directeur technique chez Suzuki France, quand Monsieur Bonnet était à la direction, avant que les Japonais arrivent. Il était aussi essayeur des nouveaux modèles et se rendait au Japon pour cela, sur la piste de Suzuki où j’ai d’ailleurs pu me rendre par la suite. Puis il a eu des concessions Suzuki pendant pas mal d’années, et comme la fameuse GT 750 ne se vendait pas très bien chez Suzuki France, il l’a modifiée et cela a eu un grand succès. A partir de là, le nom Roca a commencé à se faire un peu entendre du grand public. »

 

 

 

« Forcément, j’ai grandi dans les magasins de moto de mon père. Je ne l’ai jamais vu courir car quand je suis né, il avait déjà arrêté, mais j’ai des très bons souvenirs de l’époque où il m’emmenait sur des salons de motos travailler chez Suzuki France. Ma mère m’habillait avec des petits costumes, alors que j’avais 5 ans. J’allais me balader dans les salons à droite et à gauche, et j’ai baigné dans ce monde depuis le plus jeune âge. »

Quelles sont les grandes lignes de votre parcours ?

« Je n’en ai évidemment pas souvenir, mais quand je suis né, mon père a annoncé à ma mère à l’hôpital qu’il m’avait ramené un cadeau. C’était une Pocket bike rapportée du Japon ! Le jour de ma naissance, j’avais donc déjà une Pocket bike (rires). J’ai d’ailleurs des photos où je suis dessus alors que je suis encore un bébé. Pour mes 3 ans, il lui avait mis des roulettes et avait bloqué l’accélérateur pour pas que je me retourne. J’ai donc commencé très tôt sur une moto. Puis, quand j’avais 5 ou 6 ans, on allait sur les circuits le dimanche et mon père s’occupait des motos de ses clients. Moi, j’avais un PW 50 et je me baladais toute la journée dans le paddock. Je demandais de l’essence aux pilotes et n’arrêtait pas de rouler de la journée. »

« À l’époque, il y avait des courses de PW 50, mais comme mon père était occupé au magasin le samedi, la grosse journée, lui ne pouvait pas m’y emmener. Je me rappelle qu’un pilote client de mon père m’a donc emmené au circuit Carole où j’ai fait mes premiers tours sur une piste, avec mon PW équipé de pneus de scooter. Je me suis fait doubler de partout par de vrais avions de chasse. Le soir, on est rentré au magasin à Issy-les-Moulineaux : je suis descendu à l’atelier et j’ai lancé le PW par terre en disant ” avec ça, je me fais doubler par tout le monde“. Puis je suis parti. Mais après sa journée de travail, mon père a mis le PW sur l’établi et a commencé à démonter l’allumage, le carburateur, à ouvrir le pot, à taper dans les transferts du cylindre et à limer la culasse… »
« Mais je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui : je lui ai dit d’arrêter car j’étais sûr qu’elle irait trop vite et que je ne pourrai pas la conduire, et je suis remonté le magasin en pleurant. Vers 10 heures du soir, il m’a appelé et on est sorti dans la rue pour essayer le PW. Il faisait un boucan infernal et j’avais les larmes aux yeux, mais j’étais heureux : c’était un avion de chasse ! »
« Le dimanche suivant, je me retrouve avec une trentaine de PW et un gars avec un drapeau qui commence à plier ses doigts: 5, 4, 3, 2, 1… mais personne ne m’avait rien expliqué et je suis donc parti dernier. Avec mon avion de chasse, j’ai fini 5e, et à partir de là, j’ai continué, mais sans forcément penser à la suite. »

« Il y a donc eu des courses de PW 50, sur piste sur terre, puis le PW 80. J’ai commencé à pas mal gagner, mais comme mes résultats à l’école n’étaient pas terribles, peut-être vers 10, 11 ou 12 ans, ma mère a dit à mon père qu’elle préférait que tout cela s’arrête. Moi, ils m’ont vendu ça comme quoi je n’avais pas des bonnes notes, donc c’était fini. »

« J’ai eu une formation, mais bien plus tard. Dans les magasins, je me suis formé sur le tas, puis j’ai eu mon époque d’adolescent où tu veux voir aussi un peu autre chose. Puis on est parti vivre en Espagne. J’ai eu des motos de cross, mais je me suis abîmé les ligaments croisés des deux genoux et j’ai dû arrêter. J’ai alors repris la piste en faisant un championnat de scooter avec un engin complètement préparé par mon père et moi. Mais toujours dans une optique de loisir. Il était vraiment derrière moi, et tout le travail qu’il découlait de mes commentaires m’a aidé par la suite à comprendre ce qui se passe sur un 2 roues. J’ai continué à préparer les motos, par exemple pour les 24 heures de Barcelone, mais je me suis aussi renseigné à l’école Monlau de compétition. J’ai postulé et j’ai été sélectionné, sans le moindre appui de mon père car je ne voulais pas. Je voulais arriver par moi-même. »

« Pendant la 2e année, tu étais censé faire des stages en pratique avec leur équipe de compétition sous la responsabilité d’un de leurs anciens élèves. Mais cette année-là, il leur manquait quelqu’un et ils m’ont appelé car j’étais plutôt davantage avancé que les autres grâce à l’expérience acquise avec mon père. Du coup, je me suis retrouvé responsable de la moto qui courait en championnat d’Espagne pendant toute l’année. Donc le matin je préparais la moto, et l’après-midi j’allais suivre mes cours avec les mécanos de mon équipe. J’avais 21 ans. Puis, le directeur de l’école, qui était Dani Amatriain, le manager de Jorge Lorenzo quand il était sur les Derbi 125, m’a proposé une place chez Derbi avec Olivier Liégeois. Comme ce dernier était Belge, que je parlais français et que Dani Amatriain m’a appuyé, cela a collé. J’ai donc commencé à travailler avec Lorenzo en 2004, en tant qu’aide-mécano en championnat du monde. A cette époque, on avait droit à 2 motos par pilote, la deuxième étant un peu la moto de rechange. Je me dépêchais de faire mon boulot sur la première moto pour aller ensuite travailler sur la 2e. Donc je m’occupais des pneus, je nettoyais le radiateur ou nettoyais le pot d’échappement sur la première, pour aller faire des choses qui m’intéressaient plus sur la deuxième, comme par exemple changer un piston. Les mécanos ont tout de suite vu que j’aimais bien ça et ils me laissaient faire. »

« En 2004, Gigi Dall’Igna est arrivé et, au final, il a remplacé Olivier Liégeois. C’était le grand patron. À la fin de l’année, Dani Amatriain a mis Lorenzo dans son team de 250cc et les mécanos sont partis un peu partout. Du coup, le team se défaisait et j’ai eu un entretien avec Gigi. Il m’a demandé ce que j’allais faire la saison suivante et je lui ai répondu qu’on m’avait proposé une place d’aide-mécano dans le team Lotus en 250. Il m’a alors dit : « sache que ça, c’est juste un team. Ici, c’est une usine. Là-bas, tu ne connais pas l’avenir, mais ici, tu auras du boulot pour beaucoup d’années. » Moi, tout jeune et prétentieux, je lui ai répondu que je voulais être mécano, et plus aide-mécano. Il a accepté sans problème. »

 

 

 

« Donc en 2005, j’ai fait mécano pour Pablo Nieto, et comme j’étais le seul de l’équipe à être resté, j’étais le seul à savoir comment on travaillait sur la Derbi (ndlr : les Aprilia étaient différentes) ou comment on chargeait le camion. Du coup, en une année, j’ai eu pas mal de responsabilités. En fin d’année, l’équipe Derbi a sorti la RSA à valve rotative centrale, avec Jan Thiel et Gigi Dall’Igna, et on a fait la dernière course à Valence avec. Mon père, qui vivait encore, était fier que je sois arrivé là sans son aide… »

« En 2006, comme le groupe Piaggio avait racheté Aprilia et Derbi, et que moi, à la base, j’étais mécanicien Derbi, Gigi me bougeait comme il voulait dans les différents teams officiels du groupe Piaggio. Là, j’étais chez Gilera avec Rossano Brazzi comme directeur technique et Simone Corsi comme pilote. Mais comme celui-ci redescendait de la 250 et n’était pas vraiment dans le coup, on a eu droit à une simple RSV. J’ai appris à bosser dessus. »

« En 2007, j’étais avec Nico Terol et une Derbi qui n’était en fait qu’une Aprilia RSV. »

« En 2008, c’est la première fois où j’ai travaillé avec Aleix Espargaró, en 250cc. Je l’avais connu en championnat d’Espagne 125cc et, à l’époque, c’était un petit gamin qui faisait des conneries tous les 4 matins. La 250, c’était vraiment une belle mécanique : tu changeais ton piston tous les jours, tu faisais ton vilebrequin toutes les 2 courses. C’était de la vraie mécanique et tu finissais tard le soir. Aujourd’hui, avec le 4 temps, c’est différent et beaucoup plus facile. Cette année a également été importante pour la suite, au niveau de ma complicité avec Aleix. C’est là que j’ai vraiment commencé à comprendre comment il fonctionnait. »

 

 

 

« En 2009, je suis repassé en 125cc avec Efrén Vázquez sur une Derbi RSA et j’ai continué en 2010 avec Pol Espargaró. C’était une belle année car on s’est battu avec Marc Márquez pour le championnat. »

 

 

 

« En 2011, je suis retourné comme premier mécano avec Aleix Espargaró qui roulait chez Pons Racing en Moto2. On n’a pas fait grand-chose car le niveau était assez élevé et lui venait d’une année difficile avec des passages en MotoGP chez Pramac mais aussi des périodes sans rouler puisque le team Amatriain avait fermé à la dernière minute. »

« En 2012, il me demande d’aller avec lui chez Aspar mais le projet était assez flou. Comme je n’étais plus sous contrat avec Derbi, j’ai préféré rester chez Pons avec Pol Espargaró. »

 

 

« n 2012, on continue donc à se battre avec Marc Márquez et on gagne le championnat du monde Moto2 en 2013. »

« Comme d’habitude, Aleix était toujours dans le box et me demandait d’aller avec lui l’année prochaine car il avait un très bon projet. »

« Il me l’a expliqué et m’a donc emmené avec lui en MotoGP chez Forward avec la Yamaha Open en 2014. On a fait des supers résultats malgré la partie cycle qui était du rafistolage. On passait nos journées à limer ou découper. Il fallait être un vrai mécanicien car malgré tout ça, on n’a pas connu de panne. »

 

« Mais ce n’était qu’un point d’entrée en MotoGP, car dès 2013 il avait décidé d’aller chez Suzuki. Il m’avait promis de m’emmener avec lui et il l’a fait. Chez Suzuki ! Qui était la marque dans laquelle j’avais baigné depuis mon enfance ! »
« Quand j’ai eu mon entretien avec Suzuki, c’était très émouvant… »

« J’ai commencé avec l’équipe test. Il n’y avait que 2 mécaniciens avec Tom O’Kane, plus un mécanicien japonais. On a fait des bons résultats, tout comme Maverick Viñales qui a très bien progressé. L’année d’après, on a peiné un peu avec les carcasses Michelin. On a fini par trouver des réglages mais ils n’ont pas gardé Aleix car les contrats se sont signés en début d’année, au moment où il peinait. Par contre, Aleix a été super correct car quand il a signé chez Aprilia, il m’a pris à part et m’a expliqué qu’il ne me demandait pas de le suivre, puisqu’il considérait Suzuki comme une meilleure équipe qu’Aprilia. Il ne voulait pas être égoïste et pensait d’abord à moi. Je l’ai vraiment remercié car c’est grâce à lui si aujourd’hui je suis en MotoGP. »

« En 2017, j’ai été officialisé chef mécano pour l’arrivée d’Andrea Iannone car, en pratique, c’était déjà moi qui organisait pas mal de choses. Peut-être que l’âge a aussi joué, car j’étais le plus jeune et le plus dynamique. »

« En 2018, avec Viñales, Suzuki avait réussi à faire de très bons résultats. Ensuite, on s’est retrouvé avec deux pilotes qui ne connaissaient pas la moto, dont un rookie et Iannone qui venait d’une moto totalement différente. On a commencé à se perdre, et on s’est perdu, soit avec des choses qu’il nous a dites, soit avec des choses qu’on a pensé. La responsabilité était partagée, et pendant ce temps-là Rins s’était fait mal et le test Team s’est également perdu. On est tous partis dans une mauvaise direction et on a eu du mal à revenir sur la bonne ligne. En fin d’année 2017, on avait recommencé à faire des bons résultats, des Top 5. Et en 2018, avec toute l’expérience de ce qu’il ne faut pas faire, on a réussi à faire une moto qui marche. Elle manquait un peu de vitesse de pointe mais elle était maniable, et de leur côté, les pilotes ont commencé à bien la comprendre. »

 

 

 

Durant tout ce parcours, quels ont été les moments les plus difficiles ?

« Sportivement, les moments les plus difficiles arrivent quand tu n’as pas un pilote très compétitif et que les résultats n’arrivent pas. Nous, que le pilote soit compétitif ou pas, notre travail ne change pas, mais l’ambiance n’est pas la même si notre pilote et sur le podium ou au fond du classement. »

« Professionnellement, il y a aussi parfois des années où il n’y a pas une bonne ambiance dans le team dans lequel tu es. Cela m’est arrivé à l’époque où j’étais sous contrat officiel avec Derbi et où ils me plaçaient dans un team ou dans un autre. Parfois, c’était bien, parfois moins… »
« Après, humainement, l’année 2007 reste la plus difficile puisque j’ai perdu mon père et que c’est vraiment grâce à lui que je fais ce boulot. Il était super fier et orgueilleux de mon travail, donc cela a été une année très difficile. »

A l’inverse, y a-t-il eu des moments particulièrement forts qui vous ont tiré des larmes de joie ?

« Oui, il y en a eu pas mal ! Quand tu arrives à faire des bons résultats, c’est toujours une grande émotion, comme en 2013 avec le titre de champion du monde de Pol Espargaró. C’était difficile car la compétition était serrée. Tout s’est joué lors de la tournée extra-européenne, et quand on a été déclaré champion du monde au Japon, cela reste vraiment un bon souvenir. »

« Tout comme en 2014 avec Aleix Espargaró sur la Forward Open: on fait deuxième à Aragon sous la pluie avec un flag to flag ! C’était beaucoup de tension car les conditions étaient épouvantables et il fallait être prêt avec la deuxième moto. Au final, on fait deuxième avec une moto qu’on avait plus ou moins construit nous-mêmes, et je me souviens que j’avais les larmes aux yeux dans le parc fermé quand la tension nerveuse est retombée. »

Pouvez-vous dresser un bilan de cette saison 2019 ?

« Avant tout, je suis vraiment content de travailler avec Suzuki ! Je suis avec eux depuis 2015 et tout se passe très bien. J’ai fait mon petit chemin pour être officialisé chef-mécanicien et je travaille maintenant avec Joan Mir. C’était très intéressant car il est arrivé en tant que jeune rookie : tout était nouveau pour lui et voir ses yeux briller était vraiment gratifiant. Progressivement, il a fallu lui lui enseigner ce qu’il pouvait faire, ce qu’il ne pouvait pas faire, ce dont il pouvait se plaindre, ce dont il ne pouvait pas se plaindre, etc. En résumé, le faire grandir. Et quand tu arrives à faire grandir un Rookie et que cela porte ses fruits, comme cela a été le cas en 2019, c’est vraiment satisfaisant. Joan a fait mieux que ce à quoi on s’attendait, même s’il s’est fait un peu mal en cours de chemin. Cela nous a un peu ralenti mais le bilan reste très positif. »

Quelles sont les perspectives pour 2020 ?

« Le travail que l’on a effectué en 2019 et durant les premiers tests hivernaux de la saison 2020 nous permet de penser que nous allons en récolter les fruits. On vient de faire les premiers tests et la moto a l’air compétitive et notre pilote a l’air dans le coup. Après, il est difficile de se fixer un objectif précis car le championnat est de plus en plus serré et les autres usines ont également progressé. Ce sera difficile, mais mon rêve serait que notre moto puisse se bagarrer pour le Top 5 à quasiment toutes les courses, ce qui ponctuellement permettrait de viser le podium. »

Quel est votre moyen de déplacement au quotidien ?

« Paradoxalement, j’ai quelques motos mais je passe plus de temps à les déplacer avec ma fourgonnette. Pour rester chez Suzuki, j’ai un RGV 250 et une GSX-R 1100 ainsi qu’un vieux modèle que je suis en train de refaire. »

 


Dans la même série, retrouvez les interviews exclusives d’Hervé PoncharalClaude MichyPiero Taramasso, Christophe Bourguignon, Éric Mahé, Marc van der Straten,  Nicolas Goubert, Guy Coulon et Christophe Léonce.

 

 

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