Profitant de la pause hivernale des pilotes et d’une actualité moins fournie, nous vous proposons une galerie des principales personnalités francophones du paddock qui, chacune, représente un des innombrables rouages indispensables au somptueux spectacle que sont les Grands Prix.
On entend souvent parler de l’armada espagnole ou des troupes italiennes, mais vous allez découvrir que la colonie francophone, plutôt nombreuse et très unie, n’a pas à rougir de la comparaison.
Dans la lumière ou plus dans l’ombre, prolixe ou plus discret, chacun de ces hommes nous a partagé avec plaisir son univers et son actualité, avec toujours la même passion comme dénominateur commun.
Peu à peu, vous pourrez donc ainsi un peu mieux savoir qui sont, et ce que vivent aujourd’hui, par exemple Claude Michy, Piero Taramasso, Hervé Poncharal, Éric Mahé, Nicolas Goubert, Bernard Ansiau, Guy Coulon, Christophe Bourguignon, Florian Ferracci, Christophe Léonce, Marc van der Straten, Miodrag Kotur, Alain Bronec, Jacques Hutteau, Michel Turco, David Dumain, Michaël Rivoire, et bien d’autres.
Cette longue série d’interviews sera tout d’abord diffusée sur le site officiel MotoGP.com dans une version peaufinée, avant d’être accessibles ici dans leur version brute.
Ainsi, au moment où reprendront les Grands Prix, vous serez presque incollable sur la partie francophone d’un paddock particulièrement cosmopolite…
Guy Coulon, responsable technique Red Bull KTM Tech3
Quelle est votre année de naissance ?
« 1955 ».
Comment le jeune Guy Coulon a attrapé la passion des sports mécaniques ?
« À cause de la machine agricole, avec Jean-Baptiste, mon papa, avec qui, le jeudi, le samedi et le dimanche, je réparais et préparais les machines ! Et comme il était passionné par les voitures et les motos, il m’a emmené dès mon plus jeune âge aux 24 heures du Mans. Puis on est aussi allé voir des courses de motocross et des courses de côte qui étaient nombreuses à l’époque dans l’ouest de la France. Tout a commencé comme ça. »
Quelles sont les grandes lignes de votre parcours ?
« J’ai essayé de courir moi-même, notamment en side-car et
un peu en moto, mais j’ai rapidement vu que je n’étais pas très bon
pilote (rires). Par contre, j’avais des engins qui ne marchaient
pas trop mal donc j’ai rapidement eu des demandes et j’ai compris
qu’il fallait mieux que je tienne une clé à molette qu’un
guidon.
De 1974, ma première saison de compétition, à 1978, j’ai fait
différentes choses comme du championnat de France ou les courses de
côte. À partir de 1979, j’ai créé ma propre équipe de courses pour
faire le championnat du monde d’endurance. À l’époque, il y avait
les 24 heures du Mans, le Bol d’Or, 24 heures de Spa, Montjuich,
Zeltweg, Donington et les 8 heures de Suzuka. Je faisais rouler des
Honda 900 Bol d’Or Kit. Ça ne s’est pas mal passé et on a fini
troisième à Spa. En 1980, je fais faire un cadre chez Édouard
Morena et je construis tout le reste de la moto. On avait deux bons
pilotes, Gérard Coudray et Jean-Pierre Oudin, et on finit troisième
la première course de la saison, au Mans, avec toutes les motos
d’usine. Plutôt pas mal ! On a continué comme ça, avec quelques
belles performances, en 1981 et 1982 où, par exemple, on était en
tête du Bol d’Or quand on a cassé un goujon moteur. En 1983, je me
dis : « ou on continue comme ça indéfiniment, ou on essaie de
faire mieux ». Mais pour faire mieux, il fallait une grosse
quantité d’argent. Comme je n’ai pas trouvé cette somme qui aurait
permis de passer à l’étape supérieure, j’ai préféré arrêter
d’autant que Gérard Coudray était passé pilote officiel pour
Kawasaki et que Jean-Pierre Oudin avait été pris par Suzuki.
Heureusement, Honda est venu me voir et me voilà parti sur le
Paris-Dakar 1983 avec un certain Hervé Poncharal. Mon programme
comprenait également le Touquet, toutes les courses d’endurance
puis, à partir de 1986, les Grands Prix en 250cc. C’était un
programme chargé mais c’était possible à l’époque car il n’y avait
que 12 Grands Prix.
Fin 1989, on crée Tech3 car on avait senti que le monde de la
course évoluait : jusqu’à présent, les usines japonaises alignaient
des machines d’usine ainsi que d’autres machines alignées par les
importateurs. Nous, on était salariés de Honda France pour faire un
programme en parallèle de celui de l’usine. Petit à petit, les
usines ont décidé de ne plus financer les motos fournies aux
importateurs ou à leurs filiales mais de les louer à des équipes
privées : c’était le moment d’en créer une ! Effectivement, un ou
deux ans après, il n’y avait plus aucune moto prêtée dans les
filiales. En 1990, on débute donc avec Dominique Sarron, Honda et
Rothman. La suite, Hervé a dû vous la raconter… (rires) »
Durant tout ce parcours, quels ont été les moments les plus difficiles ?
« Des moments difficiles, il y en a tout le temps, même quand ça se passe bien. Un pilote peut avoir un petit coup de mou au milieu de saison. Ce n’est pas dramatique mais c’est crucial pour essayer de remonter la pente. La compétition est une succession de moments différents et il faut sans cesse travailler pour essayer de progresser, que tu sois bien placé au championnat ou pas. Parfois même, les moments difficiles permettent de mieux repartir et, finalement, cela s’avère positif. »
A l’inverse, y a-t-il eu des moments particulièrement forts qui vous ont tiré des larmes de joie ?
« Évidemment, il y a eu le titre en 2000, où on termine premier
et deuxième. On avait abandonné les Honda NSR et tout le monde nous
avait traités de fous en disant que les Yamaha n’allaient pas être
compétitives en 250cc. Le plan était effectivement risqué car il
fallait se mettre à niveau en 1999 et remporter le titre en 2000.
Mais on l’a fait ! »
« Mais nous avons également connu beaucoup d’autres saisons
gratifiantes, comme celles avec les Yamaha Dunlop de Sylvain
Guintoli, Makoto Tamada et Carlos Checa : c’était compliqué mais
très intéressant, avec des pilotes qui avaient bien compris ce
qu’il y avait à faire et qui ont très bien roulé. »
« On a également passé des bonnes années avec Colin Edwards qui est
un peu une sorte d’assurance-vie : tu ne vas pas être champion du
monde mais il est toujours là et tu fais un podium de temps en
temps. Comme pour Sylvain Guintoli et Carlos Checa, c’était un
gentleman ! Andrea Dovizioso, c’était pareil : un gentleman. Un
gars très très pro, peut-être le plus pro que je n’ai jamais eu !
Quand il est parti pour aller chez Ducati, je l’ai dit et répété
plusieurs fois, ils ont pris le gars qu’il fallait, dans la
situation où ils étaient fin 2012 ! Je pense que c’était le seul
qui pouvait faire le travail qui a été abattu jusqu’à aujourd’hui !
Un gars exceptionnel ! On a également passé des bons moments avec
Cal Crutchlow: c’est toujours intéressant de travailler avec lui et
c’est pour cela que c’est resté un ami, car on a toujours plaisir à
parler avec lui dans le paddock. »
« Je suis également content de l’année 2015 avec Bradley Smith
puisqu’on a terminé sixième au championnat avec 181 points. Cela
voulait dire qu’on a eu un bon rendement et il a fait toutes les
courses en étant le haut de la fourchette des possibilités. Tout le
temps ! »
« Puis on a passé deux années dans la lumière avec Johann Zarco, et
c’était très bien. »
« Jonas Folger est un pilote qui m’a impressionné, tellement il est
rapide. Durant les essais d’hiver, sans la pression qu’il a connue
par la suite et alors qu’il était rookie, ses simulations de course
étaient faramineuses ! Durant l’année, à cause de la pression, il
n’a malheureusement pu reproduire cela qu’au Sachsenring contre
Marc Márquez. Fantasque, certes, mais un surdoué complet ! »
Pouvez-vous dresser un bilan de cette saison 2019 ?
« Nous avons deux pilotes sympathiques, et c’est déjà une bonne chose. Ils savent que le travail n’est pas facile mais ils le font dans la bonne humeur, de manière positive, sans faire d’esclandre et avec talent. Donc ça avance et ça fonctionne bien, tout en analysant parfaitement ce qui manque, ce qui permet de faire la part des choses et de continuer de progresser. Hafizh Syahrin nous a permis de faire des comparaisons avec la Yamaha afin de déterminer ce qui était bien et ce qui était moins bien, tandis que Miguel Oliveira, qui ne connaît pas une autre MotoGP, s’est concentré pour emmagasiner de l’expérience. Ça a commencé à être vraiment pas mal mais il a été blessé à partir de Silverstone, ce qui a été un vrai problème alors qu’on commençait vraiment à avancer avec la moto un peu plus évoluée qu’on avait eu au Red Bull Ring. Du coup, on n’a pas pu travailler entre Silverstone et Valence. C’est dommage car déjà, en début d’année, l’intégration de Tech3 avait plutôt ralenti la progression de KTM. Mais tout cela, c’est reculer pour mieux sauter car, à terme, on peut participer au développement, et c’est super intéressant. Il y a un paquet de fâcheux qui se moquent, mais c’est parce qu’ils ne connaissent rien à la réalité de la course. En fait, on est encore en retrait de 3 centièmes en entrée de virage, de 3 centièmes en milieu de virage et 3 centièmes à la sortie, ce qui nous fait un dixième par virage et 1,5 seconde sur un tour. C’est beaucoup et peu à la fois… »
Quelles sont les perspectives pour 2020 ?
« Avec Miguel, il faudrait être autour de 12e tout le temps. Ça veut dire être régulièrement entre la huitième place et la 15e place, et marquer des points à chaque course. Mais pour cela, il faut mettre un paquet de bonnes motos et de bons pilotes derrière nous. Ça passe par améliorer son point faible qui est la qualification, parce qu’il vaut beaucoup mieux que sa position sur la grille. On le constate car c’est le pilote qui a le plus petit écart entre son temps de qualification et son meilleur temps en course, ce qui veut dire qu’il n’est pas à 100 % au moment de la qualification. Il faut donc améliorer cela, et c’est crucial pour sa position en course, car si tu es à ton juste niveau sur la grille, tu vas rouler avec des gens qui sont comme toi ou un peu plus rapides, et cela va t’aider car tu peux faire une bonne analyse de ce qui te manque sur ta moto. A l’inverse, si tu es sur la grille dans une position moins bonne que ton niveau, tu vas buter sur des gens qui sont plus lents et qui ont éventuellement des machines difficiles à doubler pour nous. Tu perds alors du temps et du rythme, et tu ne progresses pas. Pour les objectifs concernant le jeune Iker Lecuona, je vous laisse demander à Nicolas Goyon, de l’autre côté du box… »
Quel est votre moyen de déplacement au quotidien ?
« Une Honda CB 750 qui a été fabriquée le 6 juillet 1969. »
Dans la même série, retrouvez les interviews d’Hervé Poncharal, Claude Michy, Piero Taramasso, Christophe Bourguignon, Éric Mahé, Marc van der Straten et Nicolas Goubert.