Profitant de la pause hivernale des pilotes et d’une actualité moins fournie, nous vous proposons une galerie des principales personnalités francophones du paddock qui, chacune, représente un des innombrables rouages indispensables au somptueux spectacle que sont les Grands Prix.
On entend souvent parler de l’armada espagnole ou des troupes italiennes, mais vous allez découvrir que la colonie francophone, plutôt nombreuse et très unie, n’a pas à rougir de la comparaison.
Dans la lumière ou plus dans l’ombre, prolixe ou plus discret, chacun de ces hommes nous a partagé avec plaisir son univers et son actualité, avec toujours la même passion comme dénominateur commun.
Peu à peu, vous pourrez donc ainsi un peu mieux savoir qui sont, et ce que vivent aujourd’hui, par exemple Claude Michy, Piero Taramasso, Hervé Poncharal, Éric Mahé, Nicolas Goubert, Bernard Ansiau, Guy Coulon, Christophe Bourguignon, Florian Ferracci, Christophe Léonce, Marc van der Straten, Miodrag Kotur, Alain Bronec, Jacques Hutteau, Michel Turco, David Dumain, Michaël Rivoire, et bien d’autres.
Cette longue série d’interviews sera tout d’abord diffusée sur le site officiel MotoGP.com dans une version peaufinée, avant d’être accessibles ici dans leur version brute.
Ainsi, au moment où reprendront les Grands Prix, vous serez presque incollable sur la partie francophone d’un paddock particulièrement cosmopolite…
Christophe Bourguignon, responsable technique du team LCR Honda MotoGP
Quelle est votre année de naissance ?
« 1968 ».
Comment le jeune Christophe Bourguignon a attrapé la passion des sports mécaniques ?
« C’est une longue histoire… Papa faisait de la course de côte en Belgique en voiture et, dès le début, j’ai été accroché aux sports mécaniques. Je crois que j’ai reçu ma première moto, une Italjet, à cinq ans ! »
Quelles sont les grandes lignes de votre parcours ?
« J’ai fait toutes mes classes en motocross en Belgique,
amateur, junior, national et inter, jusqu’au championnat de
Belgique de motocross FMB, où je me suis vite retrouvé limité par
les finances et les performances. Fin 1988, j’ai donc fait le choix
de travailler comme mécanicien en motocross pour les frères Seel
qui roulaient en Grand Prix 125, puis pendant deux années pour
Marnicq Bervoets en 250cc. En 1992, Sylvain Geboers, qui était à
l’époque le responsable de Suzuki en motocross et de Kayaba pour
l’Europe, m’a proposé de travailler pour les suspensions Kayaba en
vitesse pure. Après hésitation et réflexion, j’ai franchi le pas ce
qui m’a permis de travailler de 1992 à 1999 pour le fabricant
japonais, principalement sur les Suzuki Lucky Strike en 500cc, le
team Tech3 et Gilera, avec Kevin Schwantz, Alex Barros, John
Kocinski, Daryl Beattie, Scott Russel, Olivier Jacque, Shinya
Nakano, et bien d’autres: des super teams, des super pilotes et
avec la crème des techniciens dans le paddock avec qui j’ai
pu apprendre, car quand on est assis à côté de gars comme Stuart
Shenton, Hamish Jamieson ou mon ami Guy Coulon, on apprend tous les
jours (rires) ! »
« En 1999, je suis passé chez Öhlins où j’ai travaillé deux ans
pour la marque de suspension suédoise sur les Yamaha 500cc,
les Proton du team Roberts, les Red Bull Yamaha et une meute
d’Aprillia 125 et 250 avec des pilotes comme Garry McCoy, Haga,
Roberts, Mc Williams, Régis Laconi, Randy De Puniet et bien
d’autres. C’est là aussi où j’ai rencontré Lucio
Cecchinello qui est mon patron aujourd’hui chez LCR. »
« Fin 2001, Peter Clifford m’a proposé le boulot de chef-mécano
pour Garry Mc Coy en 500cc. »
« Après 2 saisons , l’équipe WCM a décidé de construire sa propre
moto pour 2003 avec la collaboration de Harris Performance en
Angleterre. J’ai été impliqué dans presque tous les domaines
techniques. C’était un grand défi et une expérience fantastique
pour moi de construire une moto complète. C’était une tâche presque
impossible mais nous l’avons accomplie avec tout le succès que nous
connaissons, avant de passer chez Kawasaki en 2004 et 2005 avec
Alex Hoffman, puis en 2006 et 2007 avec Randy de Puniet. En 2008,
nous sommes tous les deux passés chez LCR où je suis toujours et où
je me suis également occupé de Toni Elias en 2011, Stefan Bradl de
2012 à 2014, et Cal Crutchlow depuis 2015. »
Durant tout ce parcours, quels ont été les moments les plus difficiles ?
« (Silence) Il y en a tellement (rires) ! Non, ma plus grosse déception , c’est peut-être ma saison 2011 avec Toni Elias. Au niveau humain, ça ne s’est pas très bien passé et ce n’était enrichissant pour personne. »
« Après, c’est dur à évaluer, parce qu’en compétition il faut se mettre des objectifs assez hauts pour se garder motivé et se conserver sous pression. Sinon, ce n’est guère valorisant. Donc j’essaie toujours d’être réaliste mais en imaginant que les choses se passent au mieux, alors, forcément, il y a souvent des déceptions. Cela fait partie du jeu… »
A l’inverse, y a-t-il eu des moments particulièrement forts qui vous ont tiré des larmes de joie ?
« C’est rare que je fasse ce genre de choses-là, du moins en public (Rires). Ma meilleure récompense, c’est le respect que les gens du paddock ont pour mon travail. Certaines personnes savent le travail que l’on fait et connaissent les sacrifices que l’on doit faire, donc être entouré de ces personnes qui sont soudées autour de notre projet m’apporte ma plus belle satisfaction dans le paddock. Bien sûr, à chaque victoire ou à chaque podium, c’est toujours un coup de boost, entièrement partagé avec les gens qui ont travaillé avec vous. Ce sont ces moments-là qui me font vibrer : me retrouver avec mes gars et mon pilote, avec la satisfaction du travail bien fait. Ça aide à se relever le lendemain matin pour remettre les choses en jeu (rires) ! Ma plus belle satisfaction est donc d’avoir rencontré le team de Lucio, qui est une vraie bande de potes soudés dans un monde de plus en plus professionnel, où l’argent est de plus en plus important et où il est de plus en plus difficile de vivre et d’exister. Tous ensemble, on a su monter un chouette team avec du matériel très performants, un staff technique du niveau des équipes officielles, et qui a pu attirer un chouette pilote avec Cal. Je crois que c’est ma 12e saison avec Lucio : il y a une grande stabilité dans l’équipe et un très grand respect mutuel entre chacun de ses membres, du chauffeur du camion au pilote et au team manager Lucio qui est toujours là pour supporter l équipe. En compétition, c’est bien de gagner des courses mais il nous arrive aussi parfois de galérer et, dans ces moments-là, c’est bien de sentir que tout le monde est uni dans la difficulté. Ce genre de relation entre nous est une très belle satisfaction au quotidien. »
Pouvez-vous dresser un bilan de cette saison 2019 ?
« Je pense que pour nous, en tant que team satellite, nous
sommes à la recherche de podiums. C’est notre objectif chaque
année, surtout avec Cal. Cette saison, nous avons atteint cet
objectif à trois reprises, donc je pense qu’on peut être satisfait
de cette saison, surtout que celle-ci a commencé avec un grand
point d’interrogation concernant la blessure de Cal. »
« Maintenant, il y a toujours un petit goût amer en compétition car
on veut toujours faire mieux. On savait que Cal pouvait faire mieux
et qu’on pouvait faire mieux, mais parfois ça ne tourne pas comme
ça pourrait tourner, comme par exemple en Argentine où on devait
faire un podium mais où on a subi ce
« faux-faux-départ ». Il y a aussi la gestion des chutes
qui auraient peut-être pu être un peu mieux maîtrisées,
certaines auraient peut-être pu être évitées en réglant un
peu mieux la moto ou en choisissant d’autres pneus, mais bon, c’est
ça la course. »
« Mais globalement, le bilan est très positif car on a été
performant presque à chaque week-end, au moins à portée du podium.
Cal est un pilote fougueux qui donne tout ce qu’il a quand il sent
le podium à sa portée. On a besoin d’un pilote comme ça dans un
team comme le nôtre, et c’est super pour nous, donc il faut
accepter que durant certains week-ends les choses tournent un peu
moins bien à cause d’une chute, même si ça nous coûte un podium.
Cal fait partie des huit pilotes qui peuvent monter sur le podium,
donc le bilan est vraiment positif, même si on peut toujours mieux
faire et apprendre de nos erreurs. »
Quelles sont les perspectives pour 2020 ?
« Aujourd’hui, Cal est toujours handicapé à cause de sa blessure
: il a toujours un peu des problèmes de gestion de la pédale de
frein arrière, et avec la position de sa cheville dans certains
virages. On espère que ça va légèrement s’améliorer et on va
travailler comme jamais, mais on observe qu’il y a de plus en plus
de pilotes qui vont vite. On l’a vu avec Fabio Quartararo, Franco
Morbidelli, Joan Mir, ou Álex Rins qui sont maintenant là tous les
week-ends. Avant, quand on n’était pas bien, on pouvait espérer
faire entre 5 et 8, mais maintenant, dans le même cas, ce serait
plus entre 8 et 12. Avant, il y avait deux Yamaha rapides et
maintenant il y en a quatre. Avant, il y avait deux Ducati rapides
et maintenant il y en a quatre. Les Suzuki n’étaient pas là et
maintenant elles sont là tout le temps. »
« Il faut donc que l’on s’applique et que l’on travaille encore
davantage pour arriver à être là tous les week-ends et saisir une
opportunité pour mettre Cal sur le podium. Il a la vitesse pour y
arriver, on a la moto pour y arriver et on a une super équipe pour
y arriver ! On va donc essayer de tout mettre ensemble pour
remettre à nouveau Cal plusieurs fois sur le podium. »
« Cal est un super gars et il apporte tellement à l’équipe
humainement ! C’est notre leader. Si Cal est en forme et si Beef
(ndlr : surnom de Christophe Bourguignon dans le paddock) trouve le
bon setup… Ça sent le podium ! (rires). »
Quel est votre moyen de déplacement au quotidien ?
« Je partage mon temps entre une voiture à 99%, mais aussi une Triumph Bonneville T120 et un vélo électrique (rires). »
Dans la même série, retrouvez les interviews d’Hervé Poncharal, Claude Michy et Piero Taramasso…