Avant même qu’elle ne commence, il semble plus que probable que la saison MotoGP 2023 sera placée sous le sceau de la gestion de la pression du pneu avant. De multiples signes semblent l’indiquer, des problèmes de plus en plus fréquemment rencontrés par certains pilotes aux sanctions prévues cette année par Dorna Sports, et c’est pourquoi il nous semble utile d’étudier en profondeur un sujet dont très peu de personnes imaginent aujourd’hui l’importance et le niveau de technicité.
1/ Les débuts…
Octobre 2016, Phillip Island. Après avoir remporté le Grand Prix d’Australie suite à la chute de Marc Márquez, c’est un Cal Crutchlow euphorique qui déclare « J’avais peur de tomber, j’ai donc fait très attention en freinant à cet endroit. Je savais que ça pouvait être très dangereux là-bas. Je suis tombé à cet endroit il y a deux ans et j’avais peur de faire la même erreur. En même temps, je savais que je devais rouler vite, sinon mon pneu avant refroidirait. Lorsque Marquez est tombé, j’ai décidé de ne pas lâcher, car le pneu aurait refroidi et il y aurait eu plus de chances de tomber. Dans les 10 ou 12 derniers tours, je n’ai pas poussé à pleine vitesse, j’ai juste veillé à ce que le pneu reste chaud. Lorsque le soleil s’est caché derrière les nuages, j’ai roulé un peu plus vite pour que le pneu ne refroidisse pas. »
On connaît les déclarations fracassantes du sympathique pilote britannique et, à l’époque, on a un peu pris cette dernière phrase comme une exagération coutumière du représentant de Sa Majesté. Sauf que le pilote LCR avait entièrement raison et, pour la première fois publiquement, pointait le doigt sur ce qui allait devenir un des axes de travail les plus importants en MotoGP…
2/ La problématique…
Comme son homologue arrière, le pneu avant a besoin de travailler à une certaine température pour bien fonctionner. Froid, il n’offre quasiment aucune adhérence et et ne procure aucune sensation au pilote. C’est pour cela qu’il est mis en température à l’aide de couvertures chauffantes ou dans une armoire chauffante, aux environs de 90°. Ensuite, charge au pilote de le maintenir à sa température de fonctionnement, autour de 100°.
Plus la pression est basse et plus la carcasse du pneu va travailler en se déformant et en générant de la température. L’objectif est donc de se rapprocher au maximum de la limite minimale de 1,9 bars imposée par le règlement (contre 1,7 bars à l’arrière). Tous les réglages sont faits dans ce sens mais la plage de fonctionnement est très étroite : trop basse, la pression sera sanctionnée (du moins en théorie, comme on verra plus loin), trop haute, le pneu perd un peu d’adhérence mais surtout n’offre plus aucune sensation au pilote, avec le ralentissement obligatoire (c’est ce qui et arrivé à Fabio Quartararo à plusieurs reprises) ou les risques de chute qui en découlent…
3/ Pourquoi une telle instabilité ?
Du fait du très faible volume d’air du pneu avant monté sur sa jante, la pression et la température ne sont absolument pas stables et varient très rapidement et de façon considérable face à une multitude de facteurs, parmi lesquels viennent en premier lieu la pression initiale, la température de la piste, la température ambiante, le rythme imposé par le pilote et la position de la moto sur la piste, isolée ou au sein d’un groupe.
4/ Les exemples…
Pour illustrer le manque d’inertie de la pression, et encore plus de la température du pneu avant, il suffit d’écouter quelques exemples parmi ceux qui nous ont été confiés par les responsables pneumatiques de certains teams MotoGP. Il convient ici de préciser que ces derniers ont tenus à rester anonymes, ce qui était le seul moyen d’obtenir des informations à la fois concrètes et chiffrées sans leur causer de problème. Ces informations ne sont donc pas à ranger dans les « on dit » mais au contraire des éléments de premier ordre !
Un voici un florilège qui permet de saisir l’ampleur du sujet, transcrit et traduit mot pour mot à partir de conversations enregistrées…
« À l’avant, les pneus fonctionnent autour de 100°. À l’arrière, on peut dépasser 120° en course. »
« Un pilote qui sort du box et qui attend une roue, ça se voit tout de suite au chrono mais aussi avec la pression qui chute très bas, d’autant que les disques n’étant pas chauds, la jante n’est pas chaude. C’est pour ça qu’aujourd’hui on demande aux pilotes d’être directement en jambes, surtout s’il sort avec un pneu un peu dur. Il faut être énervé dès le premier freinage pour garder la température du pneu, sinon c’est le cercle infernal du refroidissement du pneu. »
« 0,05 bar, c’est déjà un pas standard pour nous, et c’est
la différence que l’on doit mettre en plus sur le pneu arrière en
course ou en FP4 quand on part avec des réservoirs relativement
pleins, avec entre 12 et 15 kilos d’essence. Ça chauffe beaucoup
plus le pneu qu’en mode qualif où on part avec seulement 4 ou 5 kg
d’essence.
A l’avant, il y a beaucoup plus de facteurs qui jouent : le
phénomène d’aspiration et le freinage avec les disques qui montent
à près de 1 000° et qui transmettent toute la chaleur à la jante et
au pneu. A l’avant, on a 0,2 bars de marge de manœuvre pour que le
pneu fonctionne de façon correcte, car on a un minimum de 1,9 bars
à respecter et au-dessus de 2,15 on commence à avoir du blocage de
roue. Le problème, c’est que lors de certaines courses
comme en Autriche ou à Motegi, la pression peut varier de 0,4 à 0,5
bars. On doit donc faire des compromis et prendre le
risque de partir sous la limite pour ne pas finir la course à 2,3
bars, là où la moto est inconduisible car elle ne prévient plus.
»
« Il y a des circuits comme en Argentine où, même en course, la pression est identique à chaque tour. Sur d’autres, ça monte, ça monte, ça monte… C’est ingérable ! »
« Trop de pression à l’avant, c’est dangereux pour le pilote, mais pas assez de pression, avec les carcasses Michelin qui sont très souples, c’est très désagréable et très inconfortable car il n’y a plus aucun soutien. »
« Sur les courbes, on voit si le pilote a pris une aspiration ou pas. Plusieurs tours en aspiration, c’est 0,2 bars en plus de pression dans le pneu avant, ce qui correspond grosso modo à une vingtaine de degrés. »
« Lors des séances d’essais, la pression monte durant les six premiers tours. En course, ça peut être 12 ou 13 tours. C’est entre autres pour cela qu’il est quasiment impossible d’avoir la bonne pression durant les deux tours d’un run de qualification, ce que voudrait l’organisation en 2023 : ce sera soit dans le premier, soit dans le deuxième, mais pas dans les deux. C’est impossible ! »
«Une ligne droite sans aspiration et le pneu avant peut perdre une vingtaine de degrés. »
« C’est clair qu’en fonction de la façon dont le pilote rentre au box, et de la situation de ce dernier dans la pit lane, il y a des écarts énormes dans la mesure obtenue en prenant la pression. Un pilote qui force sur les deux premiers partiels avant de commencer à ralentir dans le troisième, puis de rentrer au box, a souvent 25 ou 30° de plus que celui qui fait son dernier tour à huit secondes des chronos normaux. »
« La pression présente un peu plus d’inertie que la température. Celle-ci peut descendre très rapidement au début, puis plus lentement ensuite. La pression demandera un peu plus de temps pour redescendre. »