Ce qui est réellement arrivé à Ducati au Qatar a d’abord semblé être un mystère, beaucoup de spéculations ont émané autour du fait que la GP22 n’était visiblement pas au niveau des attentes des ingénieurs de Borgo Panigale. Mais la situation est loin de cette conclusion hâtive et en fait, c’est peut-être même le contraire.
Cette saison, Ducati a des problèmes de moteurs, pas de puissance mais de choix : fidèle à leur réputation, les équipes techniques de Bologne ont trouvé encore plus de puissance pour le moteur 2022, mais gérer cette puissance et pouvoir l’utiliser sur une course d’une durée de 40 minutes est quelque chose de plus facile à dire qu’à faire.
Pour 2022, les équipes du sorcier Italien, Luigi Dall’Igna, ont encore travaillé sur le 4 cylindres pour améliorer ses performances. Le résultat a été atteint, même si la puissance délivrée est devenue un peu plus difficile à gérer. En effet, le surplus de puissance et de couple compliquait le feeling sur la moto.
Cela a engendré une situation où Ducati, qui était ces dernières années la référence à battre concernant l’accélération en sortie de virage et la vitesse de pointe, avait du mal à gérer cette puissance et se voyait contraint à la réduire.
Le feeling avec l’accélérateur était moins naturel qu’auparavant : à l’ouverture des gaz, la réponse moteur était agressive et le surplus de puissance faisait patiner la roue arrière. Un problème signalé par les pilotes dès les premiers essais en Malaisie et que l’équipe a tenté de résoudre en travaillant sur l’électronique. Surtout au premier coup de gaz, le V4 a une nature quelque peu brutale, une caractéristique qui ne satisfait pas tout le monde.
En particulier Pecco Bagnaia, qui préfère une livraison de puissance plus douce, et lors des essais à Mandalika, il était revenu aux échappements 2021, ce qui n’était pas étonnant à l’époque et signifiait sans doute qu’il réalisait des tests comparatifs.
Mais après ces tests, il a pris une décision : faire homologuer une version « hybride » du moteur pour la saison. Cela signifie qu’il utilise le moteur 2022 mais avec quelques pièces internes provenant de la version 2021, et notamment ces fameux échappements.
Il peut ainsi compter sur une réponse du moteur moins agressive et plus adaptée à son style de pilotage. Étant donné que deux versions différentes du moteur ne peuvent pas être homologuées dans la même équipe, Jack Miller dispose du même matériel.
Fait intéressant, l’équipe Pramac Racing a décidé de s’en tenir au moteur 2022, mais ils ont des configurations d’échappement différentes. Durant les tests hivernaux, Ducati a réutilisé ce long échappement https://www.paddock-gp.com/technique-motogp-pour-2022-ducati-fait-evoluer-sa-machine-a-gagner/– surnommé Didjeridoo par Jack Miller – qui n’était pas passé inaperçu lors des tests de Jerez, et qui n’est pas sans nous rappeler celui que Yamaha avait testé en 2020 à Misano. Honda avait également testé cette solution en 2017. Celui-ci ne semble pas apporter les améliorations escomptées pour l’instant.
Mais l’échappement supérieur 2022, visible sur la photo ci-dessus, est présent sur les machines de Johann Zarco et Luca Marini, alors que Jorge Martin a choisi d’opter pour l’échappement version 2021, à l’instar des pilotes d’usine.
Ducati utilise l’échappement supérieur, qui évacue les gaz des cylindres arrière, pour aider à améliorer les performances de freinage en ouvrant et en fermant la valve que l’on peut également observer ici, actionnée par cette boîte noire au-dessus de l’échappement supérieur. Avec plus de contre-pression, le frein moteur est augmenté. Cet échappement supérieur a également changé, il est légèrement court-circuité et a un embout de plus grand diamètre que celui qui équipe la GP21.
Le choix de l’équipe Pramac Racing de continuer avec le moteur 2022 est intrigant car cela signifie qu’ils croient toujours que le potentiel de celui-ci est plus élevé que le moteur 2021, mais comme pour tout en MotoGP, les pilotes et leurs doivent rapidement comprendre comment extraire ce potentiel. Perdre trop de points au début de la saison alors qu’ils tentent d’apprivoiser le moteur 2022 pourrait les voir perdre de précieux points au Championnat !
Nous savons que les pilotes équipés du moteur 2022 ont envisagé de grandes révisions électroniques pour essayer d’adoucir le feeling moteur lors de l’ouverture des gaz, et d’utiliser le contrôle de traction de manière autrement afin de pouvoir retrouver leur accélération et leur vitesse de pointe. Mais ils ont également examiné d’autres réglages, les pilotes mettant plus de poids sur le pneu arrière pour donner plus d’adhérence à la moto.
Mais changer l’équilibre de la moto change l’une des plus grandes forces de la GP21 : son train avant.
Au sein de l’équipe Gresini Racing, Enea Bastianini est doté d’une GP21 pour la saison 2022. Et tandis que beaucoup se demandaient pourquoi il n’obtenait pas une GP22, c’est peut-être une bénédiction déguisée.
En effet, le vainqueur du Grand Prix du Qatar est l’un des rares pilotes sur la grille à hériter d’une moto éprouvée et qui a déjà gagné maintes fois en course. Aussi, les équipes techniques ont les datas de l’année dernière afin d’anticiper comment elle se comportera et ils connaissent les réglages nécessaires pour performer cette saison. N’oublions pas que même s’il s’agit d’une GP21, techniquement, les évolutions n’ont pas nécessairement un an, Ducati a fait des mises à jour tout au long de l’année dernière et donc en réalité c’est un prototype qui n’a qu’une demi-saison de développement de retard sur le reste sur la grille.
Sachant que les spécifications techniques de sa machine n’évolueront pas pour la saison 2022, le travail de test était simple pour Enea Bastianini : enchainer les tours jusqu’à se sentir à l’aise avec une machine gagnante. Pendant ce temps, les pilotes équipés d’une GP22 ont été chargés d’un travail très différent : tester différentes pièces et évaluer si elles fonctionnent ou non avant de rouler sur ce qu’ils espèrent être la définition technique finale et se familiariser avec. Avec ces inconnues, ils ont dû rouler sur un prototype en constante évolution lors des tests de pré-saison et il est difficile de réaliser de bons chronos lorsque de nombreux réglages évoluent constamment.
L’un des atouts de la GP21 était sa cohérence et le feeling que le train avant apportait au pilote. Lors de la deuxième moitié de la saison 2021, Pecco Bagnaia était catégorique : il avait un feeling extraordinaire avec l’avant. Au cours du week-end du Grand Prix du Qatar, le pilote Italien a mentionné qu’il n’avait pas utilisé la même spécification technique sur sa Ducati lors de deux sessions consécutives jusqu’aux FP3 et FP4. En d’autres termes, il était encore en phase de test et non en mode course le vendredi du premier Grand Prix de la saison. A partir de la FP4, il a admis qu’il avait finalement obtenu ce feeling qu’il avait l’année dernière, mais avec tant de variantes différentes testées au cours du WE, il a ajouté qu’il lui faudrait un certain temps pour s’habituer à nouveau à sa machine. C’est la vraie raison pour laquelle Pecco Bagnaia et Ducati ont été à côté de la plaque pendant la majeure partie du week-end.
Après un départ moyen, Pecco Bagnaia était 16e au premier tour, puis a remonté jusqu’à la 9e place avant de chuter et d’emporter Jorge Martin avec lui. Au cours de ces 11 premiers tours, il a enregistré des temps au tour compris entre 1’54.6 et jusqu’à 1’55.3, malgré le trafic. En comparant cela au leader de la course, Pol Espargaro, qui n’a pas été gêné par le trafic, le pilote Espagnol a réalisé des temps au tour allant de 1’54.5 à 1’54.9.
Les tours de Pol Espargaro sur les 11 premiers tours de course sont considérablement plus rapides, mais Pecco Bagnia a dépassé 7 pilotes pendant cette période, et sur ces tours sans avoir à dépasser de pilote plus lent que lui, il a roulé dans des chronos similaires au leader. Le rythme de Pecco Bagnaia n’était donc pas éloigné des pilotes de tête, mais sa course a été entravée par de mauvaises qualifications et un mauvais départ.
Fait intéressant, lors du debriefing d’après-course, Pecco Bagnaia a également rendu son verdict sur le moteur hybride de sa Ducati, déclarant qu’il pense qu’il est meilleur que celui de la GP21. Cela signifie que le pilote et son équipe technique transforment leur philosophie en mode course et commencent à travailler sur une seule spécification technique plutôt que de la faire évoluer sans cesse. Il leur aura fallu du temps pour trouver une bonne base de réglage, mais il semble que les missiles rouges pourraient être de retour aux avant-postes plus tôt que prévu.
Photos : Dorna Sports