Ce n’est une surprise pour personne, et une célèbre marque de pneus en a fait son slogan : « Sans Maitrise, la Puissance n’est rien ». Marquez, Rossi et Dovizioso en savent quelque chose et sont régulièrement élus les meilleurs freineurs du plateau MotoGP, selon les données publiées par Brembo, le leader italien de la fourniture de systèmes de freinage en championnat du monde.
Voyons ce qui se cache derrière le geste technique de freinage qui, s’il est parfaitement exécuté, permet à un pilote de gagner un temps précieux sur un tour de piste ou de réaliser de splendides mouvements de dépassement pendant la course, en ayant l’arrière de sa moto qui est en légère dérive.
Les lois de la physique
Comme tout un chacun, les MotoGP sont soumises aux lois de la physique, cependant, elles évoluent dans des conditions limites différentes de la plupart d’entre nous. Sur certaines courses, l’intensité maximale du freinage engendre des efforts de l’ordre de 2.5G pour le pilote ! Les poignets de Marc Marquez doivent retenir 162,5 kg, lui qui pèse en temps normal 65kg. Cela explique que nombre d’entre aux aient des soucis aux bras !
Outre leurs pilotes d’exception, les prototypes MotoGP disposent de pneus offrant un coefficient d’adhérence supérieur à ceux qui équipent les motos de route et atteignent des vitesses telles, que l’aérodynamique induit des phénomènes… spectaculaires ! Il ne s’agit pas ici des ailerons qui font tant parler, mais tout simplement de la résistance à l’avancement, qui prend des proportions énormes. En effet, pour rouler à 350km/h, cela nécessite une moto qui développe environ 260 chevaux, afin de vaincre la résistance aérodynamique de l’air (et un peu la résistance au roulement). A supposer que cela soit la vitesse maxi de ladite moto, c’est-à-dire qu’elle n’accélère plus, on dit alors que le système moto/résistance aérodynamique est en équilibre. Dans ce cas, la puissance développée par le moteur se traduit par une force de propulsion égale à la résistance de l’air. Que vaut cette force ? C’est tout bête : P = F x V
La puissance est égale au produit de la force et de la vitesse. En connaissant la puissance et la vitesse, il est aisé de calculer les efforts, à condition de respecter les bonnes unités (Watts, mètre par seconde et Newton).
Dans le cas présent et pour rester dans les approximations, le résultat est d’environ 2000 Newtons, soit environ 200 kg pour ceux à qui cela parle plus.
De fait, au moment où le pilote coupe les gaz et sans compter sur le frein moteur, il ne reste plus d’effort de propulsion, mais juste la résistance à l’avancement qui va lui permettre de ralentir. Cela représente un aérofrein de 200 kg alors que l’ensemble moto plus pilote pèse environ 250kg en début de course (tous pleins faits). Comptons 240 kg à mi-course. La décélération sera alors de 200/240 = 0,83 G, qui s’ajoute à l’éventuel effort de freinage et ce, sans faire basculer la moto pour autant, car la résultante aérodynamique s’applique au centre de poussée aérodynamique de la moto, qui se situe en général au-dessus du centre de gravité. A cela s’ajoute encore un autre phénomène : l’inertie de la moto, qui fait que l’on peut dépasser brièvement sa limite de basculement, avant qu’elle ne se soulève réellement. Ainsi, le pilote, s’il en a les compétences va flirter avec cette limite, pour maintenir sa moto au plus près du stoppie.
La pratique confirme la théorie !
Que nous disent les chiffres et les données enregistrées sur piste ? Selon Brembo, la décélération maxi est atteinte à très haute vitesse, en tout début de freinage. Ensuite, à partir du moment où la roue arrière est à la limite du décollage et que la vitesse diminue, le pilote maintient la moto en équilibre. Cependant, la décélération moyenne diminue, du fait de la baisse d’influence de l’aérodynamique. Ainsi, quand la roue arrière commence à se reposer au sol, l’intensité du freinage n’est plus que de 1,3 G environ. Moralité, moins on va vite, moins on peut freiner fort, ce qui n’était pas forcément évident au départ ! A titre comparatif, lors d’une accélération, le pilote subit environ 1,2 G.
Ça freine comment une MotoGP, par rapport à une F1 ?
Si la MotoGP est la vitrine technologique de la moto, en auto, la catégorie similaire serait la F1. Et on entre dans un univers encore bien différent. Centre de gravité bas, empattement long, sont déjà les clés d’un freinage puissant, avec un potentiel incomparable à celui d’une moto. Larges pneus tendres, donc fort coefficient d’adhérence, ajoutent à ces qualités. Mais la F1 va encore plus loin en y ajoutant l’effet de sol, qui la plaque à la piste. A 300 km/h, l’appui est de l’ordre de 1500 kg. Cependant son poids réel est très faible (environ 700 kg avec le pilote). De fait, on enregistre des pics de décélérations à 5G !
Des chiffres qui donnent le tournis
Tant que nous sommes dans les données chiffrées, les disques en carbone ont une plage de température de fonctionnement comprise entre 300°C et 800°C. En dessous, ils sont inefficaces, au-dessus, le système s’use beaucoup trop vite.
Une autre donnée qui donne des frissons, et c’est une vitesse : 361 km/h. Il s’agit de la vitesse à laquelle les pilotes les plus rapides attaquent le freinage de la première courbe au Mugello, l’un des plus sévères de la saison. Cette vitesse est indiquée par l’acquisition de données des prototypes MotoGP, plus précise que le radar présent en bord de piste qui indique généralement 10km/h de moins – dans l’intervalle de 30m entre les deux cellules, les pilotes ont leur repère de freinage.
Sur ce même freinage, il ne faut que 323m pour les plus gros freineurs pour passer de 361km/h à 123km/h, le tout en 6,1 secondes. Et il ne faut pas se rater, car à 360km/h, un pilote parcourt 100m par secondes. Il suffit de cligner des yeux pour louper son repère de freinage ! Il faut être précis en MotoGP!
Pour cela, la force maximale exercée au levier par les pilotes sur les gros freinages est de 8kg. Essayez de soulever 136 fois de suite un poids de 8kg avec l’index et le majeur droit, soit le nombre de freinages durant le GP du Mugello, et vous comprendrez pourquoi les pilotes souffrent du syndrome des loges.
Mais au final, les freins sont un moyen pour reconvertir le mouvement en énergie, inverser le processus du moteur, qui prend de l’énergie et la convertit en mouvement. Et la puissance de ralentissement des freins carbone est une fois et demie supérieure à la puissance du moteur, soit environ 390 chevaux, toujours selon Brembo.
Les freins, c’est pour les lâches
Revenons les pieds sur terre, ou plutôt les roues sur l’asphalte, et analysons d’un point de vue technique les phénomènes physiques affectant la moto pendant la phase de décélération. Le premier principe de la dynamique (les lois de Newton sur le mouvement) affirme « qu’un objet reste au repos ou continue de se déplacer à une vitesse constante, à moins qu’il ne soit soumis à une force ». Ce qui signifie, qu’un corps caractérisé par une vitesse constante vers l’avant continuerait de fonctionner à la même vitesse si aucune autre force (résistante) n’intervenait pour le ralentir.
Les plus pertinents sont le frein moteur, le frottement des pièces mécaniques, la résistance aérodynamique (dont nous avions parlé) et la résistance au roulement des pneus. L’action du pilote sur le levier de frein génère une augmentation de la pression à l’intérieur du circuit hydraulique qui permet aux pistons de l’étrier de frein de pousser les plaquettes contre le disque de frein. Le contact plaquette-disque aurait tendance à bloquer la roue, car celle-ci fait partie intégrante du disque, mais la friction présente au point de contact entre l’asphalte et le pneu le fait continuer à rouler (dans certaines limites), générant une force opposée au mouvement vers l’avant qui vous permet de ralentir la moto.
Dans la seconde partie de ce dossier, nous aborderons la répartition de freinage, mais aussi ses limites…