Notre partenaire Corsedimoto.com et son rédacteur en chef, Paolo Gozzi, non contents d’être les grands spécialistes du WorldSBK, ont diffusé une intéressante interview en vidéo de l’ingénieur motoriste Mario Manganelli, qui a travaillé aussi bien avec Luigi Dall’Igna que Romano Albesiano, deux figures emblématiques du MotoGP.
Autant dire que de nombreux sujets ont été abordés à l’entame de cette saison MotoGP 2025, dans une une vidéo dont nous vous proposons ci-dessous de très larges extraits de sa traduction.
Laissons tout d’abord Paolo Gozzi présenter Mario Manganelli…
Paolo Gozzi :
« Bonjour, amis de Corsedimoto.
La MotoGP est en route pour l’Argentine, où la course se
déroulera ce week-end. Nous avons encore en tête la manche
d’ouverture en Thaïlande, qui nous a laissé plusieurs sujets
d’intérêt technique que nous allons approfondir avec notre expert,
l’ingénieur Mario Manganelli. Un personnage qui
n’a plus besoin d’être présenté : il a été pendant de nombreuses
années l’un des artisans des triomphes d’Aprilia en Superbike,
concepteur du moteur V4 rendu célèbre notamment par les succès de
Max Biaggi. Il a ensuite acquis une expertise
technique de très haut niveau, dont nous allons parler.
L’un des points d’intérêt que nous a laissé la Thaïlande est
le timide réveil de Honda. Une Honda qui a désormais à la tête de
son projet technique un ingénieur italien, Romano
Albesiano.
Mario Manganelli connaît très bien
Albesiano, ayant travaillé avec lui pendant de nombreuses
années chez Aprilia, tant en Superbike que lors du passage
en MotoGP.
Le défi d’Albesiano chez Honda est autant technique que culturel. Il travaille au sein d’un département course extrêmement puissant, mais historiquement très hermétique. Même si Honda traverse une crise en MotoGP ces dernières années, il ne faut pas oublier que la marque reste leader en Formule 1 grâce à l’unité de puissance fournie à Red Bull. C’est donc un univers entièrement nouveau qu’Albesiano est en train d’explorer, et il semble commencer à obtenir des résultats, du moins si l’on en juge par les premiers signes observés en Thaïlande.
Mario, vous qui avez travaillé comme responsable des unités de puissance Mercedes AMG en Angleterre, à un niveau équivalent à la Formule 1, quelles sont les principales difficultés pour un ingénieur qui doit s’adapter à un environnement totalement différent de celui qu’Albesiano avait construit chez Aprilia ? »
Mario Manganelli : « L’ingénieur Albesiano, en tant que directeur technique du HRC, a un rôle extrêmement important : redresser Honda en MotoGP est un défi majeur. J’ai travaillé avec lui sur plusieurs projets, notamment la RSV4 de route, alors que je m’occupais du programme Superbike, ainsi que sur le projet MotoGP. Je pense que c’est une personne très compétente, dotée d’une vision globale de la moto, couvrant l’aérodynamique, le châssis, les suspensions et le moteur. Il a une approche très pragmatique, peut-être moins empathique que moi, mais avec une compréhension d’ensemble que les Japonais semblent avoir perdue ces dernières années.
Il a beaucoup d’expérience car il a mené Aprilia à d’importantes victoires, il a mené Aprilia à se battre pendant une partie de la saison pour le championnat du monde de MotoGP, et avec un pilote qui a de très bonnes qualités, donc avoir le même pilote comme pilote d’essai en ce moment est certainement un grand avantage. Mais travailler dans une autre langue n’est pas anodin, parce que nous pouvons être bons en anglais tant que nous écrivons, parlons, comprenons, mais c’est une autre langue, et les Japonais ont aussi cette barrière de la langue, donc la seule langue qui nous relie est évidemment l’anglais.
Ayant travaillé à l’étranger, ce n’est pas toujours aussi facile que de travailler avec des Italiens, et que cela peut limiter la spontanéité des échanges et la capacité à discuter de certains détails de manière incisive et directe. Mais je suis convaincu qu’Albesiano est la bonne personne pour cette mission. Il faudra du temps, mais il peut obtenir de grands résultats, ce qui serait une bonne chose pour tout le MotoGP, en apportant plus de compétitivité et de talents à la discipline.
D’ailleurs, nous avons vu un exemple similaire avec un autre ingénieur, Dall’Igna, avec qui j’ai travaillé pendant de nombreuses années, et lui aussi est une personne très pragmatique, très résolue, qui connaît le Motorsport et en particulier le monde de la moto. Et comme on l’a vu lorsqu’il a mis les mains dans le projet, il lui a fallu un peu de temps mais avec une méthode qui, je pense, est très similaire ou semblable à celle qu’il avait mis en place chez Aprilia, a obtenu des résultats chez Ducati qui étaient extraordinaires, vraiment chapeau ! Et je pense aussi que l’ingénieur Albesiano peut réaliser de grandes choses avec cette méthodologie qu’ils connaissent tous les deux très bien. «
Passons ensuite directement à Yamaha, et sa stratégie ambitieuse de développer deux moteurs en même temps…
Mario Manganelli : « Yamaha, de son côté, a misé sur une nouvelle configuration de moteur V4, une rupture totale par rapport à son passé. Ce changement nécessite un châssis différent, une nouvelle répartition des masses et un développement complexe. Un moteur V4 demande un véhicule adapté dès sa conception, car on ne peut pas simplement l’insérer dans un châssis prévu pour un moteur en ligne. Il faut donc repenser l’ensemble de la moto en parallèle avec le développement du moteur, ce qui prend au moins un an.
Si Yamaha ne dispose pas encore d’un prototype roulant, il sera difficile de voir son V4 en course avant la fin de la saison. Peut-être que quelques wild cards seront possibles à Valence ou en Asie en fin d’année, mais un engagement en course dès cet été semble improbable. En plus de cela, il y a la question du climat : le printemps et l’été européens permettent de tester la moto sur les circuits du championnat, mais s’ils n’ont pas avancé d’ici octobre, il sera compliqué d’aligner le V4 en course. Une wild card avec un prototype totalement nouveau nécessite d’avoir des résultats encourageants en essais privés.
L’autre sujet technique concerne Yamaha et Jack Miller, qui a été performant en Thaïlande avant de chuter en course. On parle beaucoup du moteur V4 de Yamaha, qui aurait déjà roulé en essais privés mais qui ne sera probablement pas utilisé en compétition avant 2025, voire plus tard. »
Sur la décision de Ducati de ne pas homologuer son moteur « full 2025 »…
Mario Manganelli :
« Le risque de conserver une configuration technique trop
longtemps est vraiment réel. Pendant ce temps, les concurrents
ayant des concessions peuvent progresser et modifier leurs
spécifications en cours de saison et faire des tests pour essayer
de nouvelles choses. Ceci est en théorie ce que Dorna aimerait
faire, de sorte que l’écart se réduise dès que possible possible
pour des concurrents comme Yamaha, comme Honda et et KTM.
Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Je pense que
Ducati a encore une grande marge de performance
importante, et en plus, leur équipe de pilotes est
extrêmement homogène et performante. Peut-être est-ce pour cela
qu’ils ont choisi de figer une spécification moteur stable, sans
prendre de risques inutiles. Attention cependant :
quand on parle de moteur 2024 ou 2025, il ne s’agit pas simplement
d’une question d’année. En fait, seuls les ingénieurs et
techniciens savent exactement ce qu’il y a dans les
moteurs. Donc les moteurs ne sont probablement pas très
différents, hein, je doute qu’il y ait de telles différences qu’ils
puissent nous faire dire que c’est une configuration ancienne et
une nouvelle configuration. L’ancienne configuration est
très probablement une nouvelle configuration. Mais dans
certains aspects pas si nouvelle que peut-être qu’ils n’ont pas
considéré stratégique en ce moment de l’homologuer
maintenant.
Par exemple, nous verrons si en
Argentine les résultats seront à l’image de la Thaïlande avec les
Ducati pratiquement imbattables, ou si une autre marque, comme
Aprilia avec Marco Bezzecchi, qui à Termas a déjà gagné même si
avec la Ducati, arrivera à s’insérer au moins dans la lutte pour le
podium. Quant à Yamaha et Honda il sera intéressant de voir si la
tendance de léger progrès qu’ils ont montré dans le show à Buriram
sera confirmé. Ce sera certainement un week-end à ne pas
manquer » (ndlr : le week-end argentin a apporté les
réponses à toutes ces interrogations…). »
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