C’est une très longue et très importante interview que nous a accordée en exclusivité Éric de Seynes, Président & CEO de YAMAHA MOTOR EUROPE N.V !
Nous la diviserons donc en trois parties bien distinctes, la première faisant le point sur la situation commerciale de Yamaha France et la dernière saluant le titre de champion du monde MotoGP de Fabio Quartararo.
Mais le plat de résistance sera constitué du programme sportif de la firme aux trois diapasons, non seulement pour saluer bien évidemment une saison 2021 particulièrement faste, mais surtout pour aborder le problème majeur qui se profile à l’aube de cette saison 2022, à savoir le changement de réglementation en cours en Supersport Mondial.
Et là, le patron de Yamaha Motor Europe, et donc le responsable de la compétition d’Iwata dans le championnat World SBK, met en alerte, avec la plus grande vigueur, contre un brouillon de règlement sorti le 25 décembre qui lui paraît aussi aberrant que non équitable. On rappelle que d’après ce dernier, les Ducati 955cc, les MV Agusta 800cc et les Triumph 765cc pourront courir contre les 600cc…
Mais commençons d’abord par la situation dans les concessions, en ces temps de crise qui vont bien au-delà de la pandémie mondiale…
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Éric, avant de parler compétition, parlons un peu de la situation commerciale puisse que, au final, c’est elle qui permet l’engagement de Yamaha en course. Quelle est-elle en ce début d’année 2022 ?
Éric de Seynes : « Côté business, on a
malheureusement encore été dans une année très troublée par
les approvisionnements. C’est assez frustrant car les
marques se retrouvent involontairement punies en fonction des lieux
de production qu’elles utilisent. Par exemple, nous avons trois
pays qui sont majeurs : la France, le Japon et l’Indonésie. La
France, avec MBK, puisque près de 45 % des volumes que nous vendons
en Europe sont produits à Saint-Quentin, après avoir réussi la
transformation de cette usine qui est passé en vingt ans du
cyclomoteur à la moto, avec un degré de qualité qui aujourd’hui est
équivalent au Japon. Malgré tout, le sourcing de nos composants
vient d’Europe mais aussi de différents pays asiatiques, dont
certains ont été fortement impactés par la Covid cette année. Si,
en Europe, nous avons eu la chance d’être bien protégé par la
vaccination qui a pu démarrer assez tôt à grande échelle, en Asie
il y a encore de nombreux pays où nous en sommes encore entre 20 et
50 % de vaccinations… Cela a évidemment un impact sur les décisions
gouvernementales qui ont continué d’imposer des confinements ou
fermetures d’usines face au différentes vagues du Covid. Cela a été
particulièrement vrai en 2021 pour le Vietnam et l’Indonésie. Or,
le Vietnam réalise une grande partie des faisceaux électriques de
tous nos bicylindres, tricylindres et moteurs hors-bords V6
et V8. Donc, lorsque le Vietnam fait face à une vague de Covid et
se retrouve fermé de fin août jusqu’à mi-novembre, d’un seul coup
nous n’avons plus de faisceaux électriques pour assembler nos
machines. L’Indonésie, qui est notre plus grosse usine dans le
monde, devant l’Inde, et qui fournit à MBK une grande partie des
moteurs de Xmax, Ténéré, Tracer et XSR a tourné à moins de 40 % des
capacités de production de juin à octobre. Dans cette situation, tu
subis et tu fais le maximum pour optimiser les productions.
Malheureusement pour nous, certains concurrents comme Honda ou
Triumph ont de grandes capacités de production en Thaïlande. Et,
c’est un des seuls pays où le gouvernement a pris le risque de
privilégier l’économie plutôt que le sanitaire, et où les usines
ont pu tourner normalement sur l’ensemble de l’année 2021.
Donc nous avons subi et entretenu une certaine frustration de
ne pas pouvoir servir le marché et nos clients comme nous l’aurions
voulu. Malgré tout, il ne faut pas trop se lamenter car
nous arrivons à réaliser des chiffres en croissance, et cela même
par rapport à 2019. Malheureusement, il y a certains pays,
comme la France, où nous sommes en légère baisse au niveau des
immatriculations, alors que la tendance est meilleure au niveau
européen. Cela est uniquement dû à la ventilation des ventes par
modèles et par pays. La France a été particulièrement impactée par
les 125cc, Xmax, Nmax et les 3 cylindres. Globalement en
termes de chiffre d’affaires, l’évolution est très
positive. Celui-ci est soutenu, entre autres, par la
marine, le développement des vélos électriques et par l’activité
pièces et accessoires. L’activité pièce est directement liée au
marché de l’occasion, qui a été très soutenu par cette pénurie de
motos neuves. Au global, nous sommes installés sur une
croissance de l’ordre de 15 % à 20 %, par rapport à 2019.
Sachant que nous étions en croissance de +4 % l’an passé. Il n’y a
donc pas péril en la demeure et nous pouvons être satisfaits malgré
tout : nos concessionnaires sont profitables et réalisent de bonnes
années sur le plan économique. Nous abordons 2022 avec
confiance au niveau du marché et de nos infrastructures, et restons
très vigilants sur nos allocations, nos productions tout comme sur
l’impact de l’inflation de nos coûts de matières premières,
composants et logistique. Il y a encore des sujets de
stress liés au Covid qu’il va faire falloir régler en 2022, mais
nous y sommes correctement préparés. »
Aujourd’hui, un client qui se rend dans une concession
Yamaha peut-il commander sa moto et espérer avoir un délai
d’attente raisonnable ?
« Ça dépend du modèle. Par exemple, nous
sommes très tendus sur toutes les gammes YZ, YZF, parce
que la demande mondiale a explosé en Australie, aux États-Unis et
en Europe, et nous sommes limités par certains sous-traitants.
Certains ne veulent pas investir pour augmenter leurs capacités de
production et il nous a fallu nous ouvrir à de nouveaux
fournisseurs, mais cela prend du temps à être effectif en terme de
volumes supplémentaires.
Pour prendre un autre exemple, la XSR qui est une
nouveauté en 125 produite chez MBK. Nous sommes a peu près
en ligne avec les commandes passées par nos pays. Je pense
donc qu’aujourd’hui, si tu pousses la porte d’une concession pour
commander cette machine, tu dois pouvoir avoir un délai de quelques
semaines maximum. Sur tous les modèles produits en Europe,
nous avons l’avantage d’avoir une logistique courte, alors que
celle-ci est totalement saturée au niveau mondial aujourd’hui. Il
faut savoir que les délais entre l’Asie et l’Europe ont quasiment
doublé, en passant de cinq à huit ou dix semaines, car il y a un
manque de containers, les bateaux sont pleins et les compagnies
maritimes spéculent… Il y a deux ans, un container que tu
payais 3 000 € entre l’Asie et l’Europe, vaut aujourd’hui entre 15
et 17 000 €, et si tu veux être sûr qu’il soit embarqué en
priorité, cela peut monter à 20 000 €. C’est monstrueux !
Nous sommes face à un comportement totalement opportuniste et pour
le dire, franchement détestable. »