Même si cette fois cela semble parti d’un bon pied, Petronas (le pétrolier malaisien, pas le team actuel) n’en est pas à son coup d’essai en MotoGP.
L’année dernière, à la même époque, nous vous avions compté la longue et très mouvementée histoire des Petronas FP1 qui avait défrayé la chronique au début des années 2000.
Nous la reportons à nouveau plus bas pour ceux qui ne l’auraient pas lue, mais sachez que celle-ci n’est peut-être pas finie puisque, selon le site CycleNews, le stock des motos « oubliées » découvert en 2010 vient d’être remis en état et sera prochainement proposé aux enchères en Grande-Bretagne.
D’après nos confrères britanniques eux-mêmes, l’histoire pourrait donc encore connaître de nouveaux rebondissements…
« L’affaire a duré si longtemps que les motos britanniques ont apparemment été oubliées et ont fini sous la garde des restaurateurs et courtiers de voitures de sport et de motos sportives britanniques Lanzante Motorsports. Elles ont tous été restaurées selon les spécifications d’origine. Cependant, la société a été timide quant à la manière dont elle a eu la garde de ces machines, et il sera intéressant de voir si Petronas et/ou Momoto réagiront pour revendiquer leur propriété. Attendez-vous à plus de rebondissements dans cette histoire lorsque la date de la vente aux enchères sera publiée ».
Affaire à suivre, donc…
Voir cette publication sur Instagram
L’idée est venue de la direction de Petronas, une industrie pétrolière malaisienne: participer à un championnat de motos de haut niveau, avec un budget estimé à 30 millions pour 5 ans.
Les conditions se sont concrétisées à la fin de 2000, lorsque Dorna, organisateur du championnat du monde MotoGP, annonce un tournant historique avec la transition des 500cc vers les MotoGP, soit l’abandon progressif du moteur deux-temps en faveur des quatre-temps de 990cc.
Compte tenu de la similitude de ce type de moteur avec ceux de la Formule 1, Petronas commande alors un moteur à la société d’ingénierie Sauber Petronas Engineering (joint venture à 60/40 entre les deux parties). Comme pour l’Aprilia Cube, il en résulte un trois cylindres de 989 cm3 à quatre soupapes par cylindre avec rappel pneumatique et arbre d’équilibrage. Un moteur très étroit, même si un peu haut, pour lequel 200 ch sont déclarés à 15 500 tr/min, est le concept de Osamu Goto, ancien responsable Honda, Mc Laren et Ferrari en F1 (voir notre interview exclusive ici).
Osamu Goto: « Nous avons utilisé l’expérience acquise en F1. Aujourd’hui, il y a trois prototypes, mais la version finale sera présentée le 21 octobre prochain au GP de Malaisie, probablement avec une moto complète, car ce moteur n’a pas été conçu séparément, bien sûr, mais inséré dans une moto. Le moteur que vous verrez est le premier prototype de trois. Nous avons atteint 15500 trs/mn sans casser et on ne dit pas que, dans la version finale, on continuera à utiliser la distribution pneumatique. Le régime maximum, en fait, ne l’exige pas et, évidemment, dans une version moins sophistiquée il pourrait être plus bas et plus compact. Du reste, si dans un moteur destiné à la F1 le but est de trouver autant de chevaux que possible, l’objectif pour une moto est un peu différent: il faut que la facilité et la maniabilité sont privilégiées. Avoir 270 chevaux et aucune possibilité de les passer au sol serait un non-sens. »
Le moteur est finalement présenté en avril 2001 à Suzuka, Petronas et Sauber cherchant un partenaire pour les châssis. Le moteur est alors d’un dessin classique (vertical) sauf pour ses admissions à l’avant, et développe près de 200 ch.
Une moto complète effectue des runs de démonstration à Sepang, en octobre 2001, aux mains de Niall Mackenzie.
Le moteur est totalement différent du premier présenté: beaucoup plus incliné vers l’arrière et avec des carters et une culasse visiblement très optimisés, un concept repris par Honda pour sa Moto3. Aucune de ses 283 pièces n’est commune avec l’ancien ! Un vrai bijoux !
Osamu Goto: « C’est un beau moteur, complètement nouveau par rapport à ce que nous avons montré à Suzuka: il est plus bas et les cylindres sont plus inclinés. Il a été fait en cinq mois, et monté dans un châssis Harris. La semaine dernière, il a fait un premier test à Shah Alam, où nous reviendrons après avoir fait quelques essais ici à Sepang. Et une fois que nous aurons fini ici, nous retournerons en Europe, à Jerez. »
Mais brusquement, une semaine à peine après ces essais, et
pour des raisons encore inconnues à ce jour, Petronas décide de ne
pas s’engager en MotoGP mais en Superbike !
La rumeur veut que Sauber et Petronas étaient entrés en
négociations avec plusieurs teams pour participer au championnat
MotoGP 2002, mais que Sauber avait été trop gourmand… on parle
alors de 10 millions de dollars !
Donc, après quelques dénégations, Petronas confirme soudain que sa moto sera alignée en Superbike et non en MotoGP, sous la direction de Carl Fogarty. Le monde de la moto est interloqué…
Le Foggy Petronas Racing est créé.
Sauber, plus intéressé, sort du projet, alors que le 3 cylindres doit être intégralement repensé, devenant un 900cc pour bénéficier du règlement qui avait fixé des échelles de poids différentes pour les 750-4 cylindres, les 900-3 cylindres et les 1000-2 cylindres.
Conformément au règlement Superbike, et contrairement à celui MotoGP, il faut aussi homologuer la Petronas en fabriquant à terme une machine de route vendue à 150 exemplaires, avec au moins 75 exemplaires la première année pour les nouveaux arrivants. La société anglaise MSX International en aura la charge quand les moteurs seront disponibles…
Carl Fogarty (11/2001): « La FIM n’a pas encore fixé de date pour l’homologation de notre moto, je pense que ce sera en milieu de saison, où nous aurons 75 motos terminées. Elles seront en vente vers la fin de l’année prochaine. Les premières seront des motos de route ultra-spéciales car elles doivent être basées sur le moteur de course Sauber. Il y aura un long chemin à parcourir avant que les chiffres soient réunis et que l’aspect final de la moto soient finalisé et les motos assemblées. MSX a beaucoup de ressources dans l’industrie automobile et dans l’ingénierie en général, c’est leur travail de s’assurer que nous produisons la moto de route à temps. Ils ont un CV impressionnant, Ford est l’un de leurs clients, d’une feuille blanche au lancement du modèle. Je veux que le public regarde cette moto et pense que c’est absolument génial, et je veux leur donner quelque chose qu’ils aiment. »
Lors du lancement officiel de l’équipe à Bologne en décembre 2001, Foggy annonce qu’il superviserait le lancement de 10.000 motos de route au cours des prochaines années, créant une industrie de masse dans le propre pays de Petronas, en Malaisie.
En janvier 2002, c’est Eskil Suter qui obtint
de Petronas le marché de
« reconception » d’un moteur, avec pour objectif initial
de participer dès la première course de 2002 au championnat
SBK…
Dès le début, Eskil Suter émet des doutes sur la faisabilité du
projet à si court terme.
Carl Fogarty applaudit alors sa nomination des
deux mains. Cela ne pas durer…
« C’est le meilleur des deux mondes pour nous. Nous avons
eu l’implication des meilleurs concepteurs de moteurs, et
maintenant notre sponsor Petronas a choisi les meilleurs
développeurs de moteurs pour transformer notre moto en une machine
compétitive. De cette manière, nous conservons l’expertise de
F1 tout en faisant appel à l’expérience d’Eskil Suter, qui a une
expérience impressionnante dans le monde du motocyclisme et qui est
très positif sur l’ensemble du projet. Il travaillera en étroite
collaboration avec mon équipe pour s’assurer du respect des délais
pour être sur la grille du World Superbike pour la manche de Laguna
Seca en juillet. Cela me fait très plaisir de savoir que le
moteur sera désormais développé par des personnes qui connaissent
parfaitement les motos. »
Comme pour les WCM de Peter Clifford, le châssis est réalisé par le constructeur britannique Harris Performance Products.
Finalement, l’opération se révèle être une
catastrophe, Suter étant complètement dépassé par une tâche qui, de
son propre aveu, dépassait ses capacités de l’époque.
En février 2002 il n’en était qu’aux rendus 3D du moteur sur
ordinateur, malgré des embauches et des achats de matériel grâce
aux subsides de Petronas: « Ce travail est comme une
mission suicide. C’est un challenge complètement fou, mais toutes
les parties concernées sont au courant de cela. »
En mars 2002, Foggy commence à exprimer des doutes sur Suter et, ouvertement, explique que c’est Petronas qui l’a choisi et pas lui, et qu’il ne savait pas que Suter avait des compétences en conception de moteurs… ambiance ! Il indique même que tout le reste sera prêt et compétitif, mais qu’il a des doutes sur le moteur: « Je ne connais pas grand-chose à son entreprise, et je n’ai jamais réalisé qu’il était connu pour ses compétences en ingénierie. Je suis sûr à 100% que tout ira bien, mais pour le moteur, je ne sais pas. »
En mai 2002, les ateliers de l’équipe Foggy Petronas,
entièrement financés par Petronas, sont opérationnels ; ils auront
coûté la bagatelle de 1,5 millions de livres sterling !
« En tant qu’équipe que tout le monde regarde, notre
nouvelle usine et nos ateliers doivent être
impressionnants. »
Foggy est très fier de montrer son quartier général à la presse, et insiste sur la présence d’une salle de prière, car des employés Malaisiens musulmans viendront travailler là. Mais il précise qu’en fait, c’est surtout lui qui va aller prier, pour que les moteurs finissent par arriver !
Foggy avait prévu de montrer les machines fin mai à Silverstone, avant la première course à Laguna Seca en juillet, mais les moteurs ne sont pas prêts et il annule tout.
La moto de course est finalement dévoilé à Londres le 11 juin.
En juillet 2002, le nouveau moteur est enfin prêt. Il reprend globalement l’architecture du Sauber, mais semble plus proche de la première version que de la seconde.
Les motos sont enfin présentées à Kuala Lumpur.
Troy Corser et James Haydon, appâtés par de bons salaires, font des tours de parade à Brands Hatch pendant l’été, sous les ovations du public, mais les motos de route ne sont pas prêtes et Foggy annonce que les débuts en course sont reportés à 2003. Bien sûr, en attendant, on tourne également à Sepang…
75 machines de route seront assemblées à la hâte en Angleterre, en janvier 2003, par MSX International à Basildon, dans l’Essex, le temps que la chaîne de fabrication soit mise en place en Malaisie, chez Modenas qui avait signé un contrat de sous-traitant pour Foggy-Petronas ; la FIM accepte que les 75 autres soient examinées plus tard (en Malaisie).
Pendant ce temps, Troy Corser fait des temps intéressants en essais à Phillip Island.
A Valencia pour sa première course, la Petronas se qualifie 4ème sur la grille, grâce à Troy Corser et ce dernier s’affirme confiant dans ses chances de décrocher une victoire rapidement.
Mais le moteur Suter surchauffe de façon chronique, et toute la saison 2003 est handicapée à la fois par des problèmes techniques et un manque de puissance.
En fin de saison, Foggy se sépare de James Haydon, qui ne s’est jamais habitué à la moto, et congédie aussi Eskil Suter, pour confier le développement du moteur à Ricardo, un spécialiste britannique des moteurs de course. Du coup, les motos de route sont également retirées de la vente, pour que les modifications suggérées par Ricardo puissent être transposées sur les machines de route, histoire de ne pas risquer une disqualification.
Mais entre temps, le règlement a changé, les 4 cylindres étant autorisés à cuber 1000cc comme les twins et les 3-cylindres. Il en résulte que la Petronas partait avec 10% de cylindrée en moins par rapport à ses concurrentes, à moins de fabriquer de nouveau un 1000cc…
La saison 2004 commence avec le moteur Suter, le nouveau n’étant prévu qu’à mi-saison. Pourtant Troy Corser parvient à signer une pole position en Allemagne, et à Misano il passe la plus grande partie de la course en tête, avant d’être doublé en toute fin de course par Régis Laconi.
A la fin de la saison, Corser aura décroché deux pole positions et deux podiums, en tout et pour tout. Troy Corser finit 9ème au classement, Chris Walker 11ème, les deux pilotes étant handicapés par le fiabilité incertaine du moteur.
Lassé, et peu convaincu par les qualités de manager de Foggy, Troy Corser quitte le navire fin 2004 à l’issue de ses trois ans de contrat, et signe chez Alstare, avec la Suzuki avec laquelle il décrochera son 2ème titre de champion du monde dès l’année suivante.
Une nouvelle version réalésée du moteur est présentée en 2005.
Mais les nouveaux pilotes, Garry McCoy et Steve Martin, n’obtiendront aucun résultat probant, finissant 22ème et 18ème au championnat, pendant que les motos de route ne sont toujours pas disponibles à la vente, en contravention flagrante avec les règles du WSB… Mais vu les piètres performances des Petronas, personne ne pose réclamation, ce qui évite de fâcher un peu plus le pétrolier Malais.
Officiellement les motos de route sont en vente 25 000 livres, mais il n’y a aucun distributeur en Europe et il faut les acheter directement en Malaisie, à une société NAZA Bikers Dream. Pas très étonnant que les acheteurs ne se précipitent pas…
McCoy se sauve à son tour au bout d’un an, mais Steve Martin reste et est rejoint par le jeune espoir Anglais Craig Jones. C’est néanmoins le chant du cygne pour les FP1, d’autant que Foggy ne se cache plus pour dire qu’il en a marre. Martin signe deux qualifications en première ligne, à Phillip Island et Valencia, mais ce sera tout pour les récompenses.
Les Foggy Petronas de course tirent leur révérence fin 2006.
Foggy essaie d’utiliser sa somptueuse structure technique pour appâter les frères Castiglioni, auxquels il propose un engagement en superbike avec les MV Agusta F4, mais ceux-ci connaissent la course et ne donnent pas suite aux demandes financières de Foggy.
Foggy vendra finalement tout le matériel acheté avec les fonds Petronas, dans une vente aux enchères organisée par Whyles Hardy & Co en mars 2008 (commissaire-priseur qui vendra d’ailleurs Caterham F1 par la suite, mais c’est une autre histoire…).
L’histoire ne s’arrête cependant pas là…
En février 2010, les journalistes de Motorcyclenews découvrent 60 Petronas FP1 soigneusement alignées dans un entrepôt.
La collection, d’une valeur d’environ 2 millions d’euros, était soigneusement gardée, et le propriétaire, le géant pétrolier malais Petronas, semblait cacher l’épisode entier sous un voile de silence. La raison n’en est pas claire mais dans les années du programme Superbike, près de 35 millions d’euros ont été dépensés, avec la perspective de lancer une production motocycliste d’excellence en Malaisie.
L’échec fut complet et seules les 75 motos produites en
Essex, suivies des 75 autres en Malaisie six mois plus tard, ont vu
le jour. Bien que la société qui a produit le premier lot ait
changé de propriétaire, maintenant possédé par une autre
société d’ingénierie, Arrk R & D, les motos étaient toujours
sur le site d’origine.
Petronas payait donc pour le gardiennage… et, un peu honteux,
le silence !
Une fois mises à jour, toutes les motos anglaises sont rachetées en 2012 par Momoto, une entreprise appartenant à un ex-pilote malaisien, Dato Paduka Aiddie A Ghazlan.
Celui-ci renomme les motos en MM1 et les fait repeindre à ses couleurs avant de les proposer à la vente. Plus que probablement, il aurait également racheté les brevets industriels pour en continuer la fabrication en série, avec d’ambitieux projets d’exportation dans le monde entier.
Si le cœur vous en dit et que vous êtes aventureux, il doit bien en rester quelques unes (voir ici)… mais avec 900cc et 127 cv, ne pensez certainement pas acheter une MotoGP !
Sources: Motorcyclenews, Crash.net, GPone, Visordown, etc.