Après la saison 2022, ils sont 128 : c’est le
nombre de champions du monde différents qui ont marqué l’histoire
des Grands Prix motos, toutes catégories confondues. Ce nombre peut
paraître énorme, bien qu’il ne tienne pas compte des side-cars,
trop souvent oubliés. Pourtant, une bonne partie des patronymes
sont familiers. Être champion du monde, peu importe la cylindrée,
est l’accomplissement d’une vie. D’ailleurs, la majorité des élus,
sur les 74 ans d’histoire de l’organisation, ont aussi performé au
plus haut niveau, ou au moins, ont laissé une trace suffisamment
importante pour que l’on se souvienne d’eux. Mais ce n’est pas le
cas de tout le monde. Ensemble, revenons sur les oubliés, ceux qui
n’ont laissé que leur sacre mondial.
Laissons Nicolás Terol, et remontons le temps.
Notre premier larron n’a couru que quelques saisons complètes en
Grands Prix pour seulement 62 départs, et pourtant, cela suffit. À
21 ans en 1984, Manuel Herreros fait ses débuts en
championnat du monde, dans la toute nouvelle classe 80cc venue
remplacer les 50cc, mais aussi en 125cc. Sur Derbi, l’Espagnol issu
de cette première génération dorée avec d’autres noms que nous
évoquerons plus tard se sent bien dans la plus petite des
catégories. Dès 1985, soit sa première saison complète au plus haut
niveau, Herreros marque les esprits et monte régulièrement sur le
podium. La classe est alors âprement disputée. Nous y retrouvons,
par exemple, l’oublié Gerd Kafka, mais aussi le
« patron » d’alors, Stefan Dörflinger,
Jorge Martínez ou encore un vieillissant mais
toujours diablement rapide Ángel Nieto.
Parmi tout ce beau monde, Herreros parvient à se faire une place
d’honneur. Très fort, il termine vice-champion du monde
1986 derrière son compatriote Martínez, qui, décidément, ne nous
quitte plus. C’est lors de cette saison qu’il remporta sa
première course en mondial, à l’occasion du GP d’Allemagne. Même
scénario en 1987, avec une victoire, mais un
« Aspar » bien trop fort pour la
concurrence. De nouveau vice-champion, Manuel ne s’avoue pas
vaincu. Cependant, les 80cc ont du plomb dans l’aile. La plus
petite des cylindrées ne convainc plus autant, et les calendriers
sont raccourcis. Toujours sur Derbi, il effectue une saison en
demi-teinte, échouée en 4e place.
L’année 1989 est sa chance. Alors que tous les
regards sont tournés vers la catégorie 500cc et la bataille
légendaire opposant
Lawson, Rainey, Schwantz et Sarron, Manuel Herreros se
démarque en l’absence d’un grand Martínez. Les 80cc ne courent plus
que six courses du championnat du monde, qui en comptait 15 pour la
catégorie reine. L’Espagnol n’arrive plus à gagner. Il est
particulièrement régulier, et s’offre le titre sans remporter la
moindre course ! Un fait inédit sur deux roues, qui sera
reproduit, comme vous le savez sans doute, par Emilio
Alzamora en 1999. Cette saison, qui a vu deux victoires de
Peter Öttl, était la dernière des 80cc.
Une fois la cylindrée tout bonnement supprimée,
« Champi » Herreros essaya de se reconvertir en 125cc sur
JJ Cobas. Sans succès. Une année 1990
catastrophique, qui déboucha sur une retraite effective à
la mi-saison 1991. Son statut de dernier champion d’une
classe qui n’avait plus les faveurs du public, en plus de l’absence
de résultats par la suite nous firent oublier Champi. Pourtant,
impossible de citer cette génération espagnole bourrée de talent
(Crivillé, Martínez,
Torrontegui, Carlos Cardús…) sans
l’évoquer.
Notre deuxième sujet porte sur une carrière assez similaire.
Seulement 66 départs en Grands Prix, mais le titre
au bout du compte. Né à Florence en 1968, Alessandro
Gramigni fait ses débuts à 22 ans, en 1990, catégorie
125cc. Alors qu’il avait dominé les compétitions amateurs par le
passé, il trouve là une concurrence plus féroce, mais pas
imbattable pour autant. Après une première moitié de saison
d’acclimatation, Gramigni force le destin et monte sur le podium en
Suède, puis en Tchécoslovaquie. Avec une 9e place prometteuse au
général. L’Italien manie bien son Aprilia. Si bien qu’il progresse
encore en 1991, cette fois 7e du classement. Sur le tracé de Brno,
qu’il apprécie particulièrement, Alessandro s’impose pour la
première fois, mais toute l’attention se porte évidemment sur le
prodige Loris Capirossi, titré deux fois à 19 ans
seulement.
À ce moment là, Gramigni est fort, mais n’est pas dans les favoris
pour 1993. Il faut dire que la grille est bien garnie. Entre
Ralf Waldmann, Bruno Casanova,
Dirk Raudies, sans oublier l’éternel Jorge
Martínez, la tâche s’annonce ardue. Et pourtant. Contre
toute attente, l’Aprilia répond présente dès le début de saison, et
Gramigni s’impose en Malaisie avec la pole. Il doit manquer le
Grand Prix d’Espagne, mais revient plus fort, empreint d’une
régularité sans pareil. Un certain Fausto Gresini
n’est pas loin, mais une nouvelle victoire en Hongrie achève toute
concurrence. Alessandro est titré avec une avance finalement assez
confortable, accumulée lors des toutes dernières sorties.
Mais comme pour Herreros, le changement de catégorie est fatal à sa
carrière. En 250cc, il n’arrive à rien. Rarement a-t-on vu,
dans l’histoire, une telle dégringolade en si peu de
temps. Lors de la saison 1993, il pointe 30e avec un
total de deux points sur Gilera ! L’an 1994 n’est pas beaucoup plus
fructueux, avec une série de six abandons consécutifs sur les
dernières courses. Quelques piges en 1995 avec une Honda, et s’en
est déjà terminé pour le champion du monde. Terrible
destinée.
À moins que ? Contre toute attente, et après
une pause de deux ans, Aprilia fait appel à lui pour remplacer
Doriano Romboni en 500cc ! Il accepte au pied
levé, mais l’expérience n’aboutit à rien. Par la suite, il essaye
tant bien que mal de rebondir en Superbike sur Ducati puis Yamaha
jusqu’en 2005, mais sans grand succès. Sa victoire en championnat
italien SBK acquis en 2004 n’est qu’une maigre récompense en
comparaison de son talent exprimé en 1992. En résulte un
énième champion oublié.
Connaissiez-vous ces deux profils ? Dites-le nous en
commentaires !
Photo de couverture : Box Repsol