Après la saison 2022, ils étaient 128 :
c’est le nombre de champions du monde différents qui ont marqué
l’histoire des Grands Prix motos, toutes catégories confondues. Ce
nombre peut paraître énorme, bien qu’il ne tienne pas compte des
side-cars, trop souvent oubliés. Pourtant, une bonne partie des
patronymes sont familiers. Être champion du monde, peu importe la
cylindrée, est l’accomplissement d’une vie. D’ailleurs, la majorité
des élus, sur les 74 ans d’histoire de l’organisation, ont aussi
performé au plus haut niveau, ou au moins, ont laissé une trace
suffisamment importante pour que l’on se souvienne d’eux. Mais ce
n’est pas le cas de tout le monde. Ensemble, revenons sur
les oubliés, ceux qui n’ont laissé que leur sacre
mondial.
Lors de l’épisode précédent, nous sommes revenus sur les
titres respectifs de Manuel « Champi » Herreros et
d’Alessandro Gramigni. Aujourd’hui, nous allons nous
pencher sur une carrière gâchée bien plus récente. Nous sommes
certains que la majorité d’entre vous n’ont pas oublié ce talent
incroyable. De ce fait, l’appellation « champion oublié
» est quelque peu usurpée, mais nous ne pouvions passer à
côté. En réalité, c’est même lui qui a motivé la création de cette
rétrospective.
Car oui, Danny Kent avait tout pour lui. Né en
1993, l’Anglais prend rapidement le chemin de la moto et notamment
de la compétition. Dès 2001, il intègre le championnat gallois de
minimoto, et y remporte déjà ses premières courses. Toujours dans
cette voie, il progresse jusqu’à devenir champion d’Angleterre
minimoto en 2005. Il est très tôt repéré par les meilleures
formations mondiales, en particulier Red Bull qui désirait
s’installer durablement en Grands Prix. En plus du
CEV, il est invité à participer à la Red
Bull MotoGP Academy.
Une fois l’académie restructurée fin 2008, il est transféré en
Red Bull Rookies Cup, qui en était à sa deuxième
saison. Immédiatement, Danny ne tarde pas à monter sur le podium.
En 2010, il échoue même à la deuxième place du général derrière
Jacob Gagne mais devant d’autres prestigieux
patronymes comme Brad Binder ou Niccolò
Antonelli. Jusqu’ici, tout va bien.
C’est aussi lors de cette saison qu’il réalise ses débuts en
championnat du monde 125cc. En 2011, il décroche le graal et signe
avec Red Bull Ajo Motorsport, à l’époque munie
d’Aprilia. Il est tout de suite dans le coup, et effectue une
saison rookie très correcte. En 2012, c’est l’explosion. Le Moto3
vient de naître, et sur des KTM d’usine, Danny
Kent est redoutable. D’ailleurs, son coéquipier
Sandro Cortese, titré en fin d’année, n’est pas si
loin.
À Motegi, Kent remporte sa première victoire en championnat du
monde, mais pas de la manière qu’aurait souhaité Ajo.
En effet, toute la course durant, Kent harcèle Cortese jusqu’à
tenter un dépassement sensationnel au bout de la ligne droite de
retour, dans les derniers instants.
Décontenancé, l’Allemand s’accroche avec Tonnuci sous le
tunnel et chute. Furieux, il peste contre son coéquipier
et la situation malheureuse. Danny Kent termine 4e du championnat,
mais son passage en Moto2 est déjà acté, et c’est
Tech3 qui s’en charge.
L’expérience tourne au cauchemar. Danny n’arrive
pas à emmener les lourdes 600cc, et ne rentre que six fois dans les
points sur l’exercice 2013. Heureusement pour lui, Ajo et sa
structure Husqvarna le repêchent en Moto3. Il y retrouve une bonne
forme, qui lui offre un passage chez Leopard
Racing pour 2015. À l’époque, du beau monde jonche la
grille. Chez Honda Gresini, on remarque
Enea Bastianini, tandis que Kent partage le box
avec Efrén Vázquez. Miguel
Oliveira, Brad Binder et Romano
Fenati sont autant d’hommes dangereux au général. Et
pourtant. Dès l’entame, Danny Kent impose un
rythme effréné. À mi-saison, le suspens est quasi-nul. Kent sort
d’un Grand Prix d’Allemagne maîtrisé, et compte une large avance
sur ses poursuivants.
Mais un phénomène s’installe. Oliveira progresse,
et entame une folle remontée à partir de Misano. Le Portugais est
inarrêtable, mais pire encore : On sent Danny Kent friable,
sensible à la pression. Le Britannique enchaîne les chutes et
n’arrive même plus à se hisser sur le podium. Oliveira est dans une
situation particulière : Il doit gagner sur chacune de ses sorties,
ou presque, pour rester en vie lors de la manche suivante.
Et il délivre. Sous le coup de la « mort subite »,
il gagne en Australie, puis à Sepang. Le dénouement attendra
Valence.
Bille en tête, Miguel joue le tout pour le tout et remporte sa
troisième course consécutive. Kent, désemparé, termine 9e
mais titré. En effet, cela suffisait. Le pilote Leopard ne
passe pas loin de la correctionnelle, car seulement six points
séparent les deux larrons à l’arrivée. Logiquement, un passage en
Moto2 s’organise. La procédure classique. Leopard le garde
et le fait progresser en interne.
Décidément, Kent n’y arrive pas en Moto2.
Paradoxalement, il est encore moins bon qu’en 2013. Leopard se
sépare de lui, et il est contraint de trouver un nouveau guidon,
chez Kiefer Racing. Mais c’est encore pire. Entre blessures et
manque de performance, son année 2017 part en lambeaux. Il est même
rappelé par KTM Ajo en Moto3, en wildcard puis en remplacement de
Antonelli. Mais rien n’y fait. L’Anglais n’y est plus, et
souffre trop.
Pourtant, une opportunité venue de Speed Up en
Moto2 se présente pour 2018. Aux côtés d’un Fabio
Quartararo en jambe, Kent n’existe pas et fait l’une des
pires campagnes que nous ayons eu l’occasion de voir. Deux
entrées dans les points et huit abandons (!) en seulement 13
courses. Car oui, Danny est tout simplement éjecté de la
structure à mi-saison, sans avoir la possibilité de faire ses
adieux au paddock. En cause, ses piètres résultats et un mauvais
comportement selon le directeur du team Luca
Boscoscuro.
À seulement 25 ans, l’aventure en mondial était –
définitivement – terminée. Comme si les soucis d’ordres
professionnels ne suffisaient pas, il est condamné en 2021 à quatre
mois de prison avec sursis pour port illégal d’arme blanche dans
une altercation en public. Désormais en British Superbike, il
essaye tant bien que mal d’accrocher le top 10, et surtout, de ne
pas se blesser davantage.
Étrange destin que celui de Danny Kent. Le premier champion du
monde britannique en Grands Prix depuis Barry
Sheene en 1977 pouvait marquer l’histoire, mais les
célébrations de son sacre à Valence sont désormais derrière lui.
Quel dommage, et quel gâchis.
Cette rétrospective est donc terminée ! Dites-nous ce
que vous en avez pensé en commentaires !
Photo de couverture : alberto-g-rovi