Parfois, notre sport est cruel. En près de 75
ans d’existence, le mondial a brisé d’innombrables rêves, et
personne n’a été épargné. Que l’on parle d’un adolescent, d’un
pilote plus âgé, déjà légendaire ou sur la pente ascendante, il n’y
a rien à faire quand le destin frappe. Concernant les jeunes loups
partis trop tôt, deux hommes reviennent sans cesse hanter les
pensées des passionnés de sports mécaniques. Stefan
Bellof pour la Formule 1 et surtout l’Endurance, et
Jarno
Saarinen pour les Grands Prix motos. Malheureusement,
d’autres héros méconnus n’ont pu exprimer leur talent au plus haut
niveau. C’est le cas de Santiago « Santi »
Herrero, une autre étoile filante.
Né en 1943 à Madrid, Santi achète sa première moto à 12 ans
seulement. Très doué et attiré par l’aspect mécanique, il
se prend de passion pour les courses à l’adolescence. À 19 ans, le
voilà licencié, et sur les pistes au guidon d’une
Derbi dont il assure lui-même l’entretien. Ses
résultats satisfaisants attirent l’œil de Luis
Bejarano, directeur de la marque Lube. La firme lui
propose des machines motorisées par NSU pour
courir au niveau national, et dès lors, l’Espagnol se révèle.
Troisième du championnat 125cc en 1964, puis second en
1965. En 1966, il effectue ses premiers tours de roue en
mondial, à l’occasion du Grand Prix d’Espagne.
Résultat : deux abandons sur les deux courses 125cc et
250cc.
Seul problème : la marque Lube, basée à Baracaldo en Pays
basque espagnol, met la clé sous la porte en raison de problèmes
financiers. Herrero, bien décidé, ouvre son propre garage à Bilbao
et achète une Bultaco pour courir en tant que
privé. Mais son talent est trop grand pour rester confidentiel.
C’est la marque Ossa, basée à Barcelone, qui
approche Santi en premier. Eduardo Giró, fils de
Manuel, le fondateur, est en train de dessiner un engin
révolutionnaire. Une 250cc à cadre monocoque. Il propose à Santi de
devenir développeur, lui qui excelle aussi bien sur la piste que
dans le garage. Herrero accepte, et se met à travailler avec la
nouvelle machine. Cette dernière, de par sa conception
originale, est raide comme un passe-lacet. Après un temps
d’adaptation, il se met à faire fonctionner la belle espagnole, et
dépasse bientôt la concurrence. Santiago est champion d’Espagne
1967 en 250cc, mais à nouveau, doit abandonner la manche du mondial
courue à Montjuïc.
Pour 1968, Ossa voit grand et s’engage désormais en
championnat du monde. Le monocylindre rend 20 chevaux aux
puissantes Yamaha, mais son agilité compense. Il accroche une
troisième place à Monza, et remporte de nouveau le championnat
national. Dès lors, il s’agit d’un des plus grands espoirs du pays.
Ossa remet le couvert en 1969, et cette fois, les géants japonais
ne sont plus de la partie, tout du moins officiellement, en raison
des nouvelles réglementations. En plus de cela, il est intégré à
l’équipe
Derbi en 50cc, aux côtés de Ángel
Nieto.
En 250cc, il s’impose dès la première manche à Jarama, chez
lui. Deux courses plus tard, il réitère au Mans, devançant
les excellents Rodney Gould et
Kent Andersson. Santi enchaîne les bonnes
performances, et ne quitte que rarement les trois premières places.
Malgré une nouvelle victoire en Belgique, trois abandons en fin de
saison le relèguent à la troisième place du général. Au moins, la
Ossa a montré qu’elle pouvait rivaliser avec les autres machines,
et que surtout, Herrero n’était rien d’autre qu’un champion en
puissance. D’autant plus qu’il n’était pas ridicule en
50cc, avec des deuxièmes places en Belgique et au
Sachsenring.
Bien sûr, la paire hispanique remet le couvert en 1970,
avec le titre mondial en vue. Pas de bol en Allemagne,
pour la manche d’ouverture, Santi casse, et laisse la victoire au
champion du monde en titre
Kel Carruthers. Pire, au Mans, il chute, mais par
miracle, remonte deuxième, preuve de son immense talent.
Carruthers, lui, ne marque aucun point. La chance a tourné :
en Yougoslavie, c’est Kel qui serre le moteur de
sa Yamaha dans les derniers instants, offrant la victoire à
Herrero. Puis, le Tourist Trophy de l’île de Man est au
programme. Il y avait fini troisième en 1969.
Sa Ossa « monocasco » n°10 s’élance en direction
de Bray Hill. La chaleur est intense en ce mois de juin,
et le bitume fondant accentue encore la difficulté de l’épreuve,
comme si cela ne suffisait pas. Il chute à Braddan Bridge, mais
peut repartir, sans sa bulle protectrice. Au cinquième tour, il se
rapproche inexorablement des attardés. Au niveau de la 13th
milestone, un accident se produit. Lui et Stan Woods
ont chuté, mais les conditions exactes de l’accident sont
floues. Peut-être était-ce une collision, mais des
informations plus récentes précisent que Woods a chuté en voulant
éviter Herrero. Les deux sont blessés, mais bien vivants. Même si
un hélicoptère est réquisitionné pour évacuer Santiago, son état
est annoncé comme stable. Cependant, en arrivant à l’hôpital de
Douglas, les médecins constatent des blessures plus importantes.
Deux jours plus tard, on déclare son décès.
L’émotion s’empara du paddock comme rarement dans
l’histoire. Ossa décida de se retirer. On ne vit plus
jamais la firme espagnole au départ d’un Grand Prix. Le pays perdit
l’un de ses premiers génies, cet ange blond qui pouvait
définitivement aller chercher plusieurs couronnes mondiales, si ce
n’est le statut de légende. Il est important de ne pas
oublier ces héros, qui ont tant sacrifié pour leur passion et la
nôtre.
Connaissiez-vous Santiago Herrero ? Dites-le nous en
commentaires !
Photo de couverture : Montesita