Jorge Lorenzo tient une place particulière dans
l’histoire du sport moto. Il a longtemps été l’antagoniste
principal, le « mauvais garçon » dans le récit. Mais
finalement, qu’est ce qui le rendait si spécial et pourquoi
manque-t-il au MotoGP actuel ? Ensemble, tentons de
répondre à cette question.
I) Un pilotage parfait ?
Commençons par là. Lorenzo, c’était avant tout un
talent sans commune mesure. Son pilotage sans défaut lui permettait
de réaliser des prouesses. Dans un bon jour, personne ne pouvait
rien contre « Por fuera », et nombreux s’y
sont cassés les dents. Grosso modo, son style consistait
en une forme pure, sans à-coups, avec, comme résultat, une vitesse
de passage en courbe effarante. Les qualités du quatre cylindres en
ligne crossplane Yamaha lui permettaient d’être inatteignable en
virages. Jorge pouvait passer tous les tours au même endroit, et
cela était particulièrement marquant depuis le bord de piste.
Sa régularité est à étudier dans toutes lés écoles de
pilotage, toujours dans le même dixième de seconde sur plus de
vingt boucles.
Des qualités de métronome qu’il a su adapter aux pneus Michelin et
à l’E.C.U
unique en 2016 (victoires au Qatar, au Mans et au
Mugello avec la manière, entre autres), mais aussi à
la Ducati, qui, une fois ajustée selon ses envies, était une
prétendante à la victoire. Quand tout allait bien et qu’il se
trouvait sur l’un de ses circuits favoris, il était quasiment
impossible de le dépasser. D’ailleurs, sur la période
2009-2015, tous y sont passés et personne n’a vraiment trouvé la
solution. Bien sûr, cela pouvait se gâter quand le weekend
n’allait pas dans son sens, notamment sous la pluie après son
accident à Assen en 2013. Mais globalement, il ne comptait aucun
point faible : vitesse intrinsèque (qualifications comme rythme de
course), dépassements (un aspect très sous-côté de son profil),
fort sur les freins mais aussi à l’accélération, l’un des
meilleurs Q.I course de tous les temps… il était en avance
sur son époque. Aujourd’hui, nombreux sont les pilotes qui
jouissent de caractéristiques similaires, et l’on retrouve
facilement du Lorenzo en Quartararo,
Bagnaia et Martín.
II) Une image soignée
La principale différence avec tous les pilotes actuels se trouve
ici. Lorenzo, sans doute inspiré par Valentino
Rossi, était très penché sur l’esthétique. Ainsi, il
développa un univers visuel fort, marqué, auquel il était facile de
s’identifier. Nous pouvons le passer en revue, à commencer par son
signe distinctif, une croix entourée d’une flèche. Ces marques
datent d’un autre temps, où les pilotes de Grands Prix (motos et
autos) apposaient une signature particulière sur le casque pour
qu’il soit reconnaissable immédiatement, sans sponsors. Cet
insigne, le « Por fuera » (« par
l’extérieur » en français) rappelait son dépassement sensationnel
lors du Grand Prix du Brésil 2003, où il passa
plusieurs pilotes par l’extérieur.
Ensuite, le folklore Lorenzo s’élargit avec le
Mamba, ce serpent très dangereux qui inspira la
légende du basketball Kobe Bryant. Il déclina ses
casques en rapport au reptile en deux versions, à savoir le
« Black Mamba » et le
« Green Mamba » quelques années plus
tard. Globalement, seul Rossi rivalise avec ses décorations de
casque. Nous ne comptons pas les références à l’espace, avec, cela
va sans dire, le « Lorenzo moon »,
directement copié sur le design d’un casque d’astronaute, et repris
à Indianapolis en 2015 pour une deuxième version. Le développement
de cet univers se poursuit jusqu’à l’établissement d’une
philosophie, à savoir le « marteau et le
beurre », ou « martillo y
mantequilla » en espagnol. Lorenzo se voulait souple
comme le beurre, mais aussi dur comme le marteau quand il
s’agissait d’asséner un coup à toute la grille. Une symbolique qui
a peut-être inspiré Lewis Hamilton et son
« Hammer time ». Nous ne pouvons même
pas évoquer ses célébrations, aussi iconiques les unes que les
autres, du « man on the
moon » à
Laguna Seca jusqu’au spectateur de cinéma au Mans.
Aujourd’hui, les pilotes pensent moins à façonner leur image et
c’est assez dommage, car cela permet d’ancrer des souvenirs forts
dans les mémoires des fans, et de durer même après la retraite.
Jorge n’a pas simplement traversé les années, il a fait
plus que cela, en marquant une époque de son empreinte
originale.
III) Son caractère
De nos jours, beaucoup déplorent le manque de rivalité en
MotoGP. D’ailleurs, nous reviendrons bientôt sur cette
question que nous estimons particulièrement importante. Lorenzo
avait un caractère à part ; il ne désirait pas plaire au plus
grand nombre, et se moquait d’être vu comme le méchant. Sa rivalité
avec Rossi (sans aucun doute le pilote le plus adulé de toute
l’histoire des Grands Prix) est encore dans toutes les têtes. Mais
cela n’a été possible que grâce au talent de Jorge, d’une part,
mais aussi à son caractère. En effet, Valentino a trouvé
son adversaire parfait en Lorenzo.
Contrairement à Márquez, « Por Fuera »
n’hésitait pas à chatouiller Vale’ sur son propre terrain, en
conférence de presse, devant tout le monde. Sifflé sur tous les
podiums, il n’en avait que faire, et incarnait le rôle du méchant à
la perfection. Cet aspect presque théâtral était générateur de
passion, car nous avions l’impression d’assister à une bataille de
géants au vu du niveau affiché. Cette arrogance maîtrisée
couplée à ce soupçon de mauvaise foi profitait au spectacle MotoGP,
qui n’est pas qu’une question de dépassements.
C’est pour cette même raison que Rossi a toujours respecté Lorenzo,
et que les deux se sont « officiellement » réconciliés après le
Grand Prix de Catalogne 2018. Aujourd’hui, soit près de 10 ans plus
tard, nous affirmons que cette rivalité est la deuxième plus grande
de l’histoire des sports mécaniques derrière celle de
Senna et Prost, et pas seulement
parce que Rossi et Lorenzo s’échangeaient les coups en piste :
Jorge s’est élevé, seul contre tous, face au plus
grand.
Voici quelques éléments qui peuvent vous aider à comprendre qui
était Jorge Lorenzo, et encore, nous n’avons pas parlé de son
palmarès incroyable, ses exploits (Le Mans 2008, Assen 2013, entre
autres) ou de son autre grande rivalité avec Dani
Pedrosa, beaucoup plus profonde. Peut-être pour un
autre épisode ? Dites-nous ce que vous pensiez de Jorge en
commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport