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Vous avez tous en tête une image de Márquez, de Jorge Lorenzo ou même de Fabio Quartararo avec le coude au sol. D’ailleurs, les pneumatiques toujours plus performants permettent même à nos héros d’approcher l’épaule des vibreurs, et ce, sans perdre de temps. Car oui, cela fait quelques années que certains défient les lois de la gravité pour le spectacle. En moto de vitesse, en vélo ou en Supermotard (discipline qui se prête à la prise d’angle démesurée), des acrobates à l’image de Scott Redding ont déjà fait frotter le casque. Mais saviez-vous qu’une partie de cette grande révolution est le fruit d’un Français ? L’anecdote est désormais relativement connue, mais c’est bien le pilote Yamaha Jean-Philippe Ruggia qui a posé son coude par terre le premier en 1988. Cependant, impossible de résumer sa carrière à ce simple accomplissement.

C’est son père, alors concessionnaire Yamaha, qui introduit Jean-Philippe à la compétition. Au début des années 1980, le toulonnais alors adolescent s’engage dans la coupe Yamaha réservée aux RD 350 LC, une formule qui avait été lancée quelques années auparavant. À l’époque, ces épreuves mono marques étaient populaires, et ont permis l’éclosion de nombreux talents. Ruggia s’y révèle, et remporte même l’édition 1985. Dès lors, il participe au championnat d’Europe 250cc, puis le championnat de France en quart de litre. Notre héros du jour rayonne.

Le talent ne passe jamais inaperçu, et il a l’occasion de disputer le mondial en 1987, toujours dans cette catégorie, avec une Yamaha compé client. Sans jamais avoir réalisé de wildcard auparavant, il échoue en 17e position mais a marqué les esprits au Mans, avec une belle 8e place. Comme souvent, Jean-Claude Olivier est l’homme providentiel. Importateur officiel Yamaha en France, mais aussi directeur de la prestigieuse équipe Sonauto – Yamaha en Grands Prix (entre autres), « JCO » est assurément l’un des grands de la moto dans l’hexagone.

Olivier recrute Ruggia et lui fournit une TZ250 bien plus performante. Immédiatement, on s’aperçoit de la maestria du bonhomme, qui, on l’espère, va suivre la trace de Christian Sarron titré avec cette même structure en 1984. Dès le troisième Grand Prix en Espagne, il grimpe sur le podium derrière Sito Pons et Joan Garriga. Malgré une belle régularité, il ne monte plus sur la boîte toute la saison durant. Cependant, à Donington, il est pris en train de poser le coude par terre, une première mondiale !

 

Un style novateur. Ici en 1990, sur une 500cc. Photo : Yamaha Community


La saison 1989 débute encore mieux, avec la deuxième place en Australie – la pole en prime, ainsi que deux autres podiums dans la saison. La blessure engendrée en fin d’année 1988 ne semble pas lui porter préjudice. Cependant, les Yamaha YZR250 ne peuvent soutenir le rythme des fabuleuses Honda. Malgré une nouvelle pole au Mans, il conserve le même classement que l’année précédente, à savoir 7e.

Sonauto – Yamaha organise son passage en 500cc dès 1990, aux côtés de Christian Sarron. La Yamaha YZR500 0WC1 est une bonne arme, plus puissante mais aussi plus stable que sa prédécesseuse. Alors que l’on pouvait légitimement penser que cette promotion était quelque peu précoce, Jean-Philippe relève le défi et ne tarde pas à se mettre dans le rythme. Toujours très régulier, il accroche même la deuxième place lors d’un pluvieux Grand Prix de Belgique. Il est seulement devancé par Wayne Rainey, futur champion du monde ! À la 8e place du général, et devant un Sarron certes diminué, Ruggia fait forte impression.

Il conserve son guidon pour l’année suivante, cette fois avec Adrien Morillas comme coéquipier. Les Yamaha YZR500 0WD3 préparées aux petits oignions marchent, mais l’équipe est relativement moins performante. En proie aux blessures, il passe à côté de sa campagne. Ceci motive un retour en 250cc, sa catégorie de prédilection qui l’avait révélé aux yeux du monde. Sur Gilera, la descente n’est pas aussi heureuse qu’espérée. Il enregistre sa pire saison en carrière, mais la force de caractère de Jean-Philippe plaît à Aprilia, qui le signe dans l’équipe officielle pour 1993. C’est mieux, certes, mais la forme des années Yamaha n’est pas retrouvée en début de saison. Ce n’est qu’à l’été qu’il réalise l’exploit fantastique tant attendu. Lors du Grand Prix de Grande-Bretagne, Jean-Philippe est le plus vite. Il distance ses concurrents, et s’impose devant Loris Capirossi et Loris Reggiani. Les Italiens, particulièrement performants en quart de litre, n’apprécient guère.

Mais pire encore : Au Mugello, jardin de ses adversaires, il fait la leçon aux deux Loris, même podium qu’à Donington ! Ces deux courses sensationnelles, couplées à un podium acquis en début d’année le propulsent à la 6e place du général. Lors de la saison suivante, il parvient de nouveau à s’imposer à Jerez. Régulier, il marque plus de points mais reste 6e. Une performance honorable, même comparée à son coéquipier Max Biaggi, champion du monde.

Pour 1995, Ruggia signe avec Elf-Tech3 Honda. La structure française désormais bien connue, proposait des NSR250 capables de belles choses. Hormis un abandon lors de la première manche en Australie, Jean-Philippe fait preuve d’une régularité exemplaire et termine toutes les courses suivantes dans les points. À 30 ans, il domine confortablement son coéquipier rookie, un certain Olivier Jacque. Ruggia est 5e, soit son meilleur classement en carrière.

 

Jean-Philippe Ruggia en 1996, au Grand Prix du Japon. Photo : Rikita


Déjà moins incisif et proche du podium en 1995, la campagne 1996 marque le début de la fin. Tandis que « Jacque Attack » signe des prouesses, Ruggia est dans le mal. Toujours bien placé quand il termine, il abandonne à cinq reprises, ce qui l’élimine de la course au top 5 à laquelle il était autrefois habitué. En réalité, il s’agit de sa dernière année au plus haut niveau. Il ne revint qu’en 1998, pour une course seulement, sur MuZ-Weber 500cc aux Pays-Bas, sans succès.

Avant de conclure, revenons rapidement sur son style de pilotage si particulier. Car oui, le coude de Ruggia ne frottait pas le sol uniquement pour la forme, et c’est ce que l’on a tendance à oublier. Quand vous voyiez évoluer le bonhomme, vous pouviez observer les fondations du pilotage moderne, au déhanché particulier, principalement incarné par Márquez de nos jours. C’est saisissant, car tellement anachronique. Ruggia, en précurseur, ne sortait pas exagérément le coude comme Ben Spies. C’est tout son corps et la machine qui prenaient un angle maximal.

Parler de la carrière de Jean-Philippe Ruggia est important, car il ne faut pas se souvenir de lui comme de la personne qui a simplement « posé son coude par terre en premier ». Il n’était pas, comme les anglophones aiment à dire, un one trick pony, que l’on pourrait traduire par « poney qui ne sait faire qu’une acrobatie ». Ruggia est un fier représentant de la « génération Sonauto », et a fait rêver de nombreux adolescents.

Quels souvenirs gardez-vous de ce grand pilote ? Dites-le nous en commentaires !

Photo de couverture : Ruggia à la remise des prix de la coupe RD 350 LC, en 1985. Photo : Yamaha Community

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