De nombreuses courses ont marquées la décennie
passée. Mais peu atteignirent l’intensité de la bataille
d’Italie, tenue le 22 mai 2016. Pour avoir une grande course, un
savant mélange est requis. Tout d’abord, prenez de la rivalité,
voire beaucoup de rivalité. Ajoutez-y des pilotes légendaires, sur
des machines au top. Pour finir, agrémentez le tout d’un circuit et
d’un environnement parfait. Vous l’avez.
Pour bien comprendre la course, il est nécessaire de revenir
quelques temps en arrière. Valentino Rossi,
Marc Márquez et Jorge Lorenzo se
sont âprement disputés le titre 2015, dans ce
qui reste l’explication la plus controversée de l’histoire des
Grands Prix.
Changement majeur pour la nouvelle saison : L’introduction de
l’E.C.U unique. Magneti Marelli fournira toutes
les équipes de la grille avec le même boîtier gérant l’électronique
de la moto. Le niveau sur la grille devrait ainsi être plus
homogène, mettant le pilotage au centre des débats. Le fournisseur
pneumatique change également, passant de Bridgestone à
Michelin.
Les trois héros se partagent le gâteau du début de saison. Márquez
triomphe en Argentine et aux États-Unis, tandis que Rossi s’impose
à Jerez, parti de la pole position. Au Mans, Lorenzo
confirme son bon état de forme et prend les rennes du
championnat.
Vient la manche italienne. Chaque année, le Mugello fascine. C’est sans doute la course reine de ce calendrier avec Assen. Des dizaines de milliers de tifosi viennent acclamer Valentino Rossi, leur idole. Contrairement à Lorenzo et ses quatre succès, Márquez ne remporta qu’une seule édition du Grand Prix d’Italie, lors de sa folle saison 2014. Avec sept unités, Rossi reste le chef des lieux.
Des le samedi, les hostilités sont lancées. Valentino Rossi sort
un tour absolument inouï et parvient à arracher la pole position. «
Por Fuera » et Márquez, des spécialistes de l’exercice, n’y peuvent
rien. Le dimanche matin, un fait à première vue anodin se produit.
Pourtant, ce dernier aura une incidence majeure à la fin de la
journée. Lorenzo voit son moteur littéralement partir en fumée. Les
casses moteurs sont plutôt rares de nos jours, mais surviennent
encore.
Qu’importe. À quelques minutes du départ, la
tension est palpable, pesante, l’atmosphère lourde. Dès
l’extinction des feux, la Yamaha n° 99 prend la tête. Le majorquin
espère bien réaliser une course « à la Lorenzo » : Partir en tête
et franchir la ligne d’arrivée avec cinq secondes d’avance.
Rossi conteste, et reste dans ses échappements. Márquez est, quant
à lui, plus en retrait et doit se défaire d’un impressionnant
Aleix Espargaró sur Suzuki. Tout à coup, le public
retient son souffle. Rossi se rate à l’entrée de Materassi,
mais il semble préoccupé par sa YZR-M1.
Le suspens ne dure que quelques secondes. Une épaisse fumée blanche
s’échappe de son quatre-en-un Akrapovič, quelques heures seulement
après l’explosion du moteur de Lorenzo. Le ciel vient de
s’abattre sur la Toscane.
La course doit continuer. Le reste n’est qu’histoire. La bataille
fait rage de tous les côtés. Le duo Ducati
Iannone/Dovizioso doit contenir l’inévitable Dani
Pedrosa, tandis que Márquez remonte Lorenzo.
Rapidement au contact, il tente une attaque.
Infructueuse. Les deux hommes se partagent la
piste, mais en viennent à se toucher au freinage de San Donato,
l’un des plus techniques sur le globe ! Cinq titres
mondiaux s’affrontent jusqu’au dernier virage.
Márquez l’aborde en tête, car Lorenzo tente l’impossible dans le
pif-paf précédent. Ce long gauche légèrement en dévers est
impardonnable, impitoyable. Il requiert une trajectoire millimétrée
pour sortir avec le plus de vitesse possible. Lorenzo décide de ne
pas tenter le carreau, et se concentre sur la sortie. Márquez
s’extirpe du virage en tête, avec la ligne d’arrivée en vue.
Son équipe est sur le muret, prête à célébrer.
Seulement voilà. La ligne est loin. Immensément
loin. Lorenzo, blotti dans sa bulle, a privilégié le
dernier virage au profit d’une sortie explosive. Dans l’aspiration,
il parvient à recoller et réalise l’impensable. Doubler
Márquez sur la ligne.
Un moment absolument hors du temps, éternel. Pour 0,019 s,
Jorge réalise l’un de ses derniers coups de maître. Touché
par la grâce, tout simplement. Les dieux de la moto en avaient
décidé ainsi. C’est l’histoire d’une bataille de titans, de trois
champions. C’est l’histoire de notre sport qui s’est écrit sous nos
yeux.
Photo de couverture : Michelin Motorsport