Il y a quatorze ans, une avalanche déferla sur le paddock MotoGP. L’éclosion d’un monstre, d’un prototype tout droit sorti d’un laboratoire. Ensemble, revivons la saison individuelle de Jorge Lorenzo en 2010, l’un des plus grands exploits de l’histoire des sports mécaniques.
En 2008, un nouveau nom fait son apparition en catégorie reine. Remplaçant de Colin Edwards chez Fiat Yamaha Team – aux côtés de Valentino Rossi, le jeune Jorge Lorenzo impressionne. Double champion du monde 250cc en titre, rien que ça. Pour sa toute première apparition en MotoGP, le Majorquin casse le chronomètre : pole position et 2e place à l’arrivée au Qatar. Un mois plus tard, il remporte sa première course à Estoril. Surdoué.
L’audience est stupéfaite, mais la phase d’apprentissage est longue. De nombreuses chutes, parfois lourdes, mettent à mal le prodige et ralentissent son accession au sommet. Valentino Rossi, lui, renaît durant cette période, empochant deux titres coup sur coup en 2008 et 2009. À l’entame de la saison 2010, tout semble calme. « The Doctor » reste le grand favori, devant un Lorenzo en perte de vitesse fin 2009. Honda, porté par le duo Pedrosa/Dovizioso, reste en embuscade, tout comme la Ducati de Casey Stoner. L’australien, référence absolue un peu plus tôt, n’écrase plus la concurrence. Sa Desmosedici est moins performante, seul son talent peut le sauver un tant soit peu. Suzuki ne devrait pas représenter plus de danger.
Lors de la manche d’ouverture à Losail, Rossi prend fermement les commandes en s’attribuant la victoire, devant son dauphin Lorenzo. Les deux officiels Yamaha profitent largement de la chute de Stoner, alors en tête de la course.
À Jerez, Lorenzo frappe fort. Engagé dans un duel à couper le souffle avec son meilleur ennemi Dani Pedrosa, il tire le meilleur de sa Yamaha pour s’imposer dans les derniers instants. Rossi conclut le podium à moins d’une seconde. C’est au Mans que les choses se gâtent pour la concurrence. Jusqu’ici, le style coulé, sans erreurs, précis au possible de « Por Fuera » n’avait échappé à personne. Pourtant, quelle ne fut pas la surprise des spectateurs français devant la leçon de pilotage du jour.
Oui, une leçon. Parti deuxième derrière son coéquipier, Jorge colle près de six secondes, sur le sec, à Valentino Rossi lui même. Pour enfoncer le clou, il célébre de manière arrogante, sur une chaise de camping avec du pop-corn. Le caractère bien trempé de l’espagnol tranchait avec tout ce que l’on avait l’habitude de voir, du moins depuis le Rossi du début des années 2000. D’ailleurs, si les deux ne s’aiment pas tant que ça, il n’est pas difficile de constater l’admiration qu’éprouve Jorge Lorenzo à l’égard de la légende italienne.
En attendant, il y avait un « nouveau shérif en ville ». Au Mugello, la saison bascule. Rossi se blesse lourdement aux essais, ce qui compromet le reste de son exercice. Lorenzo à le champ libre, et la victoire de Pedrosa en Italie n’y change rien. Inutile de créer du faux suspens ; le reste de la saison de « Por Fuera » est une masterclass. Vainqueur à Silverstone (+7.0s d’avance), à Assen (+3.0s), en Catalogne (+4.7s), avant de retomber deuxième au Sachsenring, son « circuit maudit ».
Une fois débarqué sur le continent américain, il écrase de nouveau Casey Stoner à Laguna Seca. Sa célébration, raccord avec son casque « Lorenzo Moon », est désormais iconique. Dans le Corkscrew, il simule les pas d’un astronaute sur la lune avant de planter le drapeau « Lorenzo’s land », psychologiquement terrible pour tous ses adversaires. Son arrogance ne collait pas avec son style de pilotage, et c’est exactement pourquoi Lorenzo divisait autant. L’homme avait le sang chaud, n’hésitait pas à dire ce qu’il pensait, allait au clash, célèbrait ses victoires, mais était un chirurgien en piste, froid comme le temps.
De retour en Europe, il écœure Dani Pedrosa à Brno (+5.0s), avant de glisser en troisième place à l’occasion du Grand Prix d’Indianapolis. En vérité, ni Pedrosa ni Stoner ne font une mauvaise saison, juste moins bonne que celle de Lorenzo. Le week-end de Misano, d’habitude si festif, fut entaché par la mort de Shoya Tomziawa en Moto2. C’est encore Pedrosa, sur un énorme rythme, qui remporte la course juste devant… Lorenzo.
Les premiers signes de faiblesses apparaissent à Aragon, puis à Motegi. Jorge signe deux quatrièmes places, soit son pire résultat cette année-là (!). En effet, et vous l’avez peut-être remarqué précédemment ; il n’était pas descendu du podium jusqu’ici. Vient la Malaisie, où une troisième place suffit à le titrer pour la première fois. Ironiquement, c’est Rossi qui remporte la manche, sa première depuis son énorme blessure du début de saison. Les deux sont des compétiteurs, pas de grands amis, mais se respectent énormément. D’ailleurs, Lorenzo eut un message de soutien pour Rossi sur la grille du Grand Prix d’Italie, un geste trop souvent oublié.
Le Majorquin aurait aimé triompher à Phillip Island, devant Stoner, l’un de ses grands rivaux. Mais l’australien y était trop à l’aise. L’avant dernière manche de la saison à Estoril ne laisse pas plus de suspens. Le circuit favorisait le style de pilotage de Lorenzo. C’était son préféré, son terrain de jeu. Sans faire de sentiment, il met 8,6s à Rossi et prit une nouvelle fois la première place. Même résultat à Valence, quelques semaines plus tard, avec Casey dans le rôle de Vale’.
Vous vous en souvenez peut-être, mais « Por Fuera » avait opté pour un casque plaqué or incrusté de cristaux Swarovski, flashy et représentatif du personnage. Qu’on l’aime ou pas, on ne peut pas nier son apport majeur à la discipline au fil de ces dix dernières années. Aujourd’hui, les célébrations, les décorations de casques significatives et avec du sens – parfois philosophique, comme « Lorenzo Moon » évoqué plus tôt – manquent cruellement au MotoGP. Il était celui que l’on adorait détester, mais aussi le plus fort du monde, du moins en 2010.
À l’heure des comptes, le bilan est sans équivoque. 383 points (nouveau record à l’époque), contre 245 pour son plus proche poursuivant. Neuf victoires, six poles positions, quatre meilleurs tours en course mais surtout 16 podiums en 18 courses. Seuls les grands de ce sport – Duke, Agostini, Hailwood, Surtees, Rossi, Doohan – parvinrent à faire aussi bien. Au sein de cette caste, Lorenzo est comme un poisson dans l’eau. Pire, ce n’était que le début.
Quels souvenirs gardez-vous de cette saison 2010 signée Lorenzo ? Dites-le moi en commentaires !
Photo de couverture : Morten Jensen