La plupart des articles que nous diffusons ne demandent généralement pas d’autre investissement personnel de notre part que du temps et du travail. Certains peu, d’autres beaucoup plus, mais, globalement, nous n’avons pas d’autre rôle que celui de reporter l’information.
Mais parfois, et c’est aussi ce qui fait l’intensité et la beauté de ce sport, il nous arrive de vivre des moments particulièrement forts, qu’ils soient heureux ou malheureux. C’était le cas dimanche soir au Qatar.
En toute franchise, quand Johann Zarco a pris le commandement du Grand prix du Qatar, des larmes nous sont montées aux yeux. Excès de fatigue ? Sensiblerie ? Peut-être, mais aussi et surtout le fait que nous connaissons personnellement et depuis longtemps toutes les personnes impliquées dans cet exploit. À commencer par Johann Zarco lui-même, sur lequel nous allons vous révéler une petite anecdote afin de bien comprendre à quel point on ne peut omettre le côté émotionnel quand on parle du pilote français.
Valence 2011, vendredi. Johann Zarco réalise le troisième temps de la FP2 avec sa Derbi du team Ajo. Nous le croisons sur son scooter dans le paddock et lui montrons simplement notre pouce levé. Une réaction que vous jugerez peut-être plutôt sobre, mais il n’est pas dans notre nature de subitement devenir » ami volubile » avec un pilote parce qu’il fait, soudainement ou enfin, de bons résultats. D’ailleurs, il a déjà Laurent Fellon pour cela, le côté versatile en moins… 🙂
Nous connaissons Johann depuis 2009 et son intégration dans le team WTR San Marino, et il nous connaît aussi, mais nous avons néanmoins toujours des scrupules à accaparer quelques-unes de ces précieuses minutes, d’autant que nous sommes les spectateurs permanents des passionnés qui lui demandent sans cesse un autographe, ainsi que des journalistes qui sont les premiers à le côtoyer pour l’encenser… après l’avoir dénigré quelques mois ou années plus tôt. Bref, notre pouce en l’air suffisait alors pour montrer notre soutien et nous n’attendions pas d’autre réaction de sa part que le petit signe de la main et le sourire que nous avons obtenus en retour.
Oui, mais voilà, si Johann a incontestablement un côté cartésien et rationnel, il fonctionne aussi à l’émotion, et quelle ne fut pas notre surprise quand, après avoir fait demi-tour avec son scooter, il nous a rejoint alors que nous avions déjà entamé une conversation avec quelqu’un d’autre. Là, discrètement, il nous a pris le bras dans un geste de remerciement et nous avons simplement échangé un regard avant qu’il ne reparte à ses activités. Quand on est sur la même longueur d’ondes, les mots sont parfois superflus.
Johann Zarco, c’est ça : un talent, un cerveau, des convictions et un cœur. Pas besoin de le flatter, vous perdez votre temps s’il perçoit que vous n’êtes qu’un opportuniste. Mais si vous savez être discret et le respecter, sans l’assaillir de questions à la moindre occasion, il ne vous refusera jamais une interview, voire plus. En résumé, Zarco est tout sauf un idiot !
Aussi, quand dimanche soir nous l’avons vu prendre la tête du Grand Prix, c’est vrai : nos yeux se sont embués de joie car nous avions bien conscience de la situation exceptionnelle qu’il vivait, et que nous vivions par procuration.
Et puis, trop vite, la chute.
En toute franchise, ce retour à la réalité ne nous a pas étonnés. Nous l’attendions, même : c’était trop beau, ce n’était pas possible, cela ne pouvait pas aller jusqu’au bout, il n’y avait pas de logique à ce qu’un Rookie domine toutes les stars du plateau ! Bien sûr, nous souhaitions complètement le contraire et nous voulions de tout notre cœur que Johann Zarco soulève toutes les montagnes afin d’y graver son nom dans le marbre dont sont constitués les exploits. Mais, sans doute par superstition, nous ne voulions pas y croire tant que ce n’était pas fait.
Quand Johann est tombé, donc, des larmes se sont séchées et nos pensées se sont dirigées, non pas vers le pilote qui, sans nul doute, s’était rassuré sur sa capacité à aller vite, mais sur son Team manager dont les caméras montraient l’effondrement en direct.
Hervé Poncharal a beau diriger le team privé le plus ancien en MotoGP, il a conservé complètement intact sa passion de la course, et attend chaque week-end de pouvoir revivre la joie procurée par Olivier Jacque.
Après toutes les perturbations, discussions, annulations, négociations parfois houleuses, reports, dus à la météo, et après les émotions en montagnes russes procurées par Johann Zarco, il n’était pas question pour nous de le déranger alors que nous savions qu’il avait être assailli par tous les journalistes présents, et ce même si nous avons l’habitude de débriefer avec lui chaque journée de Grand Prix. Aussi nous sommes nous contentés de lui envoyer un petit message lui assurant de tout notre soutien avant de retourner à nos tâches rédactionnelles. Les jeux étaient faits, et le reste pouvait attendre…
Aussi, quelle ne fut pas notre surprise, et notre plaisir, quand, quelques heures plus tard, notre téléphone a sonné. La voix était fatiguée et le débit plus lent que d’habitude, mais Hervé Poncharal tenait à partager ses émotions avec nous, avant de reprendre l’avion pour revenir en France.
C’est donc dans ce contexte émotionnel très chargé que le boss du team Tech3 s’est exprimé : » vous savez, vu de l’extérieur, tout le monde peut penser que Johann était un peu au-dessus de ses pompes et que ce qui devait arriver était arrivé. Mais ce n’est pas tout à fait ça qui s’est passé. Vous avez vu la course comme moi : Johann est parti et quand je l’ai vu aussi agressif, aussi propre et aussi sûr de lui dans les premiers tours, je me suis dit « ouhaaaa… « . Et puis, au bout de deux tours, quand il était devant, on regardait les temps, et il était 0.5, 0.6 plus vite, alors que derrière, c’était quand même Márquez, Dovizioso, etc.
Dans les premiers tours, tu ne peux pas dire un pilote » ralentis « , d’autant que Johann c’est quand même un double champion du monde. En plus, j’étais à côté de Randy Mamola et on se disait que les autres avaient l’air de plus galérer que lui. Ils se battaient plus avec leur machine que lui. Mamola me disait : » non, mais regarde, il est propre, il n’y a pas de problème, il est à l’aise « . Alors je me suis dit « si Mamola me dit des choses que moi je vois, même si je ne suis pas très objectif, ça doit être vrai « .
Donc, on commence à se mettre à y croire. Alors la seule chose que l’on pouvait faire, c’était de lui mettre l’écart avec ses poursuivants. Comme ça, il pouvait voir qu’il était à +1, puis au tour d’après à 1,6. À ce moment, il nous l’a rapporté par la suite, il s’est dit » bon, je suis dans une bonne position, je suis bien, mais maintenant il faut que je me relaxe, que je sois cool « . Puis, il a continué : » au moment où je me suis dit ça, j’ai fait une micro-erreur, je suis sorti un tout petit peu trop large dans le virage #2 qui est de toute façon le pire virage du circuit, et j’ai quitté la trajectoire propre pour me retrouver sur un endroit sale « .
C’est ça qui est encore plus rageant, car s’il était parti en se disant » je vais faire le show, je vais tout donner, puis on va voir ce que ça va donner « , bon, ben là il aurait joué, un peu comme cela avait été le cas avec Guintoli et De Puniet au Grand Prix de France 2007. Mais là, il a dit » j’étais en total contrôle « . Bon, de toute façon, on ne saura jamais ce que cela aurait fait. C’est lui qui a le meilleur tour en course… C’est le seul à être passé sous les 1’56. Moi, franchement, pourtant je suis toujours prudent, mais quand je le voyais comme ça, je me suis dit » mais, ils ne le rattraperont jamais ! « .
C’était incroyable, et on avait les larmes aux yeux…
» Moi, je n’avais pas des larmes aux yeux, mais j’étais dans une espèce d’état second parce que je n’avais pas l’impression de vivre un truc réel. Je n’y croyais pas. C’était tellement beau. C’était une histoire qui n’était même pas envisagée. «
On imagine que vous êtes immensément déçu, mais comme vous nous l’avez dit vous-même, l’important c’est que vous avez un pilote exceptionnel et que, tôt ou tard, cela se concrétisera.
» Oui, une immense déception, comme vous pouvez l’imaginer. Encore une fois, tout ce que je peux dire, c’est que ce mec est un… je n’aime pas dire extraterrestre, mais est vraiment quelqu’un de surprenant et de bluffant. Parce que, quand il est rentré, au lieu de faire comme n’importe quel Rookie dans sa position qui aurait jeté son casque par terre, shooté dans le box et gueulé, mais lui non, il a été hyper calme et il a posé son casque. Il a regardé son cuir et Laurent (Fellon) lui a dit » ce que tu as fait, c’est bien. Ferme ton cuir et souris « . Il l’a fait. On a discuté et il a été d’une honnêteté absolue ! D’abord, il a tout vécu au ralenti, donc il nous a expliqué, au ralenti, ce que je vous ai dit tout à l’heure. Une honnêteté totale. Il y en a qui auraient accusé la suspension, la moto, le pneu ou n’importe quel truc. Une honnêteté totale, et surtout, le truc qui m’a le plus bluffé, c’est qu’il m’a dit : » c’est super ce qu’on a fait. Ça m’a rendu plus fort. Ça m’a donné la confiance. Maintenant, je sais que je peux rouler devant, je sais que je peux me battre avec ces gens-là. Et des situations comme celle que l’on a vécue ce soir, il y en aura d’autres ! »
Et là, les bras t’en tombent. Car moi, ce que je trouvais tellement beau, c’est que c’était » la chance de ta vie « . Parce que c’est le Qatar, parce qu’il est super bien et que, aujourd’hui, dans ce moment M, tous les trucs sont mis bout à bout pour qu’on se retrouve là, mais peut-être que ça n’arrivera jamais plus. Mais lui, il est super calme et il te dit » non, non, ça va se reproduire… « . C’est incroyable, quoi ! Et même s’il est déçu, il s’occupe de ses bottes, de son cuir, il range tout ça et il sourit. Tu sens le gars qui ne doute pas. «
C’est une libération pour lui. Par rapport aux essais où il y avait toujours Folger devant lui, là, il prend la tête de la course et largue tout le monde… On l’a tous vu, il a largué tout le monde pour sa première course !
» Putain, c’est incroyable. C’est incroyable ! Et surtout, ce qui met un peu les boules, c’est qu’on n’a pas fait une seule chute de l’hiver. «
On comprend parfaitement votre déception car c’était peut-être LA chance de l’année. On n’en sait rien et on verra, mais restons positifs : ce qu’il a fait, c’était juste magnifique, et il l’a fait !
» Il paraît que Rossi a fait beaucoup de compliments. Il a dit, avec son humour, que Zarco avait été son cauchemar pendant tout l’hiver, parce que pendant tout l’hiver Zarco avait été plus vite que lui. «
Avec le pilote que vous avez, vous allez sans doute encore vivre de grandes émotions cette année…
» Je pense, et je l’espère, mais là je suis un peu à plat. Le week-end a été long et difficile, mais j’ai une pensée pour Adrien Protat, car son père a été pilote Tech3 en 1994. Il a fait une saison de Grands Prix chez nous en 250 cm³. Après Anthony Delhalle, pfffff….. ça a mis un énorme coup sur la tête à tout le monde. Je l’ai juste appris avant le départ de la course. Évidemment, on est tous focalisés sur ce que l’on fait, ça te bouffe 120 % de ton cœur, de ta passion, de ta vie et de tes tripes, mais ça a marqué tout le monde et nous a dévastés. Je pense très fort à Fred et à Léa, la maman, avec qui j’ai partagé une année complète. «
Un dimanche soir sur la terre…