Durant les années 1930, le sport joue un grand rôle dans la
propagande nazie. Adolf Hitler n’hésite pas à
s’appuyer sur les disciplines représentant le courage, l’abnégation
et la puissance du Troisième Reich, telles que le
rugby, l’athlétisme ou l’alpinisme. Bien entendu, les sports
mécaniques n’y échappent pas. Ainsi, tous les pilotes allemands –
sous bannière nazie – seront utilisés au profit du régime.
Hermann Paul Müller faisait partie de cet
escadron. Voici son histoire.
Né en 1909 au sein du Royaume de Prusse, Hermann
s’intéresse d’abord aux side-cars un peu avant ses vingt ans. Il
remporte le championnat national de la discipline en 1931, doté
d’un Victoria 600cc. Auto Union (consortium de
quatre firmes allemandes) lui propose, en 1935, une DKW préparée
pour la catégorie 500cc. Avec cette machine, Müller s’impose
également sur deux roues dans le championnat national.
Sa capacité d’adaptation est tout bonnement impressionnante.
Derrière les engagements sportifs d’Auto Union se cache le NSKK
(pour Nationalsozialistisches Kraftfahrkorps, ou corps de
transport national-socialiste), dirigé par Adolf
Hühnlein. L’idée du régime était simple : doter deux
firmes de moyens quasi-illimités – Mercedes-Benz et Auto
Union – afin de dominer le prestigieux championnat
d’Europe des pilotes. Problème : cette compétition se dispute sur
quatre roues.
En effet, ce championnat chapeauté par l’AIACR
(Association Internationale des Automobiles Clubs Reconnus,
l’ancêtre de la Fédération Internationale de l’Automobile) est
l’équivalent de la Formule 1 actuelle. Les nazis
se mettent donc en tête d’écraser toute concurrence afin de prouver
leur supériorité. Les deux firmes financées par l’état ne lésinent
pas sur le recrutement. Les superstars Rudolf
Caracciola, Hermann Lang, Bernd
Rosemeyer ou l’Italien Luigi Fagioli sont
engagés afin de faire rayonner les couleurs du drapeau à la croix
gammée.
Auto Union, à la recherche d’un pilote de réserve pour 1937,
s’intéresse à Hermann Paul Müller. Après une année
correcte, il devient titulaire et se bat avec les cadors. En 1939,
il remporte même le Grand Prix de France, et termine champion
d’Europe des pilotes ! C’est alors sa troisième victoire
majeure dans trois disciplines distinctes. Malheureusement pour
lui, son titre ne lui sera jamais décerné en raison de l’éclatement
de la Seconde Guerre mondiale.
Comme une grande partie de ses compatriotes, Hermann est enrôlé. Il
est lieutenant de la Luftwaffe et travaille dans
une usine de moteurs à Łódź, en Pologne actuelle,
sans jamais participer frontalement au combat. Lors de
l’effondrement du régime, le champion est fait prisonnier par les
soviétiques. Müller n’a d’autres choix que d’effectuer des travaux
forcés – du bûcheronnage – à Chemnitz.
Puis vient sa libération en 1946. Sans le sou, il retourne habiter
chez ses parents, fermiers, non loin de Bielefeld.
Chez un particulier, il repère une moto : une DKW 250 SS, qui
avait survécu à la guerre cachée dans une cave blottie dans des
couvertures de laine. Dans ces temps précaires, il propose un
échange audacieux. La machine contre un sac de farine, douze livres
de lentilles et une tranche de lard. Affaire
conclue.
La même année, il s’inscrit au Grand Prix de
Brunswick (organisé sur une autoroute avec les moyens du
bord) mais est contraint à l’abandon. Cependant, il reprend goût à
la compétition malgré ses 37 ans.
Assisté par sa femme dans les stands, il remporte le championnat
allemand 250cc en 1947 et 1948 ; c’est la résurrection. Ironie
du sort, il est de nouveau engagé par l’usine DKW,
comme en 1935. « Happi » récidive en 1951, en s’imposant
en 125cc, toujours sur le plan national.
Ces excellents résultats sont la porte d’entrée du récent
championnat du monde (1949), d’abord avec des machines privées
Mondial, Horex ou MV
Agusta, puis avec NSU. La firme
allemande, fondée en 1873, est l’une des institutions du pays.
Müller fut donc naturellement sélectionné afin de mettre un pied
dans le monde de la compétition. En 1954, l’équipe inscrit un
triplé en 250cc mais notre larron n’est que troisième, derrière
Werner Haas et Rupert Hollaus.
Même résultat en 125cc.
Haas s’étant écarté du monde de la compétition, H.P
Müller demeure l’unique représentant important de NSU en
quart de litre pour 1955. L’incroyable se produit. Il s’impose lors
du Grand Prix d’Allemagne et devient champion du monde à 45
ans et 287 jours ! Ce record n’a jamais été battu
depuis (et cela ne risque pas d’arriver de si tôt).
L’âge de la retraite à sonné. Après tant
d’épreuves traversées, « Happi » mit fin à sa carrière mais sans
s’éloigner des moteurs. En effet, il signe un record sur le lac
salé de Bonneville un an plus tard et restera à jamais lié à Auto
Union, pour qui il travaillera longtemps après. Cet homme a la
destinée incroyable nous quitta en 1975, âgé de 66 ans.
Ceci doit nous faire réfléchir sur la portée des
sports. En effet, il s’agit d’un domaine tout à fait
particulier, hors du temps et des conflits. Pour preuve, dans les
années 1950, vous pouviez trouver un ex-Nazi rouler aux côtés d’un
ancien résistant et espion anglais en la personne de
Fergus Anderson, dont le nom était cité dans
« le livre noir » d’Adolf Hitler. C’est
là toute la beauté du sport ; en ces temps difficiles, la
préserver en toute circonstance doit rester un enjeu
primordial.
Photo de couverture : Audi MediaCenter