Par le biais d’un entretien avec Claudio Rainato, l’ingénieur en électronique d’Andrea Iannone, le team Suzuki Ecstar a publié un intéressant texte résumant les grandes lignes de l’électronique en MotoGP. Un sujet que nous avions déjà abordé avec Maxime Reysz (Monster Yamaha Tech3) en début d’année dernière.
En voici notre traduction intégrale.
En 2016, un an seulement après le retour de Suzuki en MotoGP, une nouvelle règle est entrée en vigueur, introduisant ce que l’on appelle un « logiciel unique ». Cela a jeté les bases de l’électronique partagée par toutes les équipes et, bien sûr, a changé la façon de gérer l’électronique sur les GSX-RR.
Parlons avec Claudio Rainato, Ingénieur Electronique travaillant avec Andrea Iannone.
Qu’entend-on par « électronique » en MotoGP ?
« Tout d’abord, définissons ce que nous entendons par ‘électronique’ en MotoGP : à la différence de la Formule 1, en MotoGP, la télémétrie (transmission des données en direct) n’est pas autorisée, ce qui signifie qu’il n’y a pas de transfert en temps réel des informations ou données numériques entre les motos pendant qu’elles roulent. Nos motos sont équipés de capteurs, de câbles et d’un calculateur qui recueillent les données, et nous ne pouvons les télécharger qu’une fois la moto de retour au garage, via une connexion filaire. En même temps, nous téléchargeons les cartographies et les instructions avant que la moto ne quitte le garage pour retourner sur la piste. »
Pourquoi parle-t-on de « logiciel unique » si chacun peut personnaliser ses propres paramètres ?
« On l’appelle logiciel unique parce qu’il existe un fournisseur unique pour le matériel, Magneti Marelli, et une partie de la logique du logiciel est la même pour tous. Chaque fabricant peut alors compléter, intégrer et interpréter ces logiques de base et les enrichir en fonction de son expérience, de ses besoins et des demandes des pilotes. La première grande partie se fait au Japon, mais ensuite tout est vérifié et finalisé sur les circuits par les ingénieurs de l’équipe. »
Comment fonctionne l’électronique ?
« Pour nous, l’électronique signifie essentiellement deux choses : les données, avec la collecte d’informations sur la dynamique du véhicule, et la gestion du moteur. La première est un processus unidirectionnel : de la machine à nos ordinateurs, et cela représente une collecte d’informations concernant la dynamique de la moto et le comportement du moteur ; la seconde est un système bidirectionnel : nous recueillons des informations du moteur mais nous envoyons également des instructions à l’ECU pour lui dire comment se comporter, par exemple concernant la puissance, le traction control, l’anti-wheelie et l’anti-patinage. C’est ce qu’on appelle la « cartographie » : l’ensemble des instructions avec lesquelles l’ECU gère le moteur. »
Comment se déroule votre travail habituel ?
« La préparation de la course commence quand nous sommes encore à la maison, avec quelques paramètres génériques à régler en fonction des caractéristiques de la piste et de notre expérience. Ensuite, nous arrivons sur le circuit et vérifions la piste, pour voir s’il y a quelque chose de différent de l’année précédente ou de l’essai, si nous avons testé quelques semaines auparavant. Un nouvel asphalte, par exemple, peut fortement affecter nos paramètres de base. Ensuite, nous commençons le travail de finalisation avec le pilote pendant les séances d’essais libres. Fondamentalement, lorsque le pilote revient d’une séance, nous téléchargeons les données et comparons les informations avec ce que le pilote nous dit à propos de son ressenti. Ensuite, nous ajustons les cartographies pour améliorer le comportement de la machine sur deux aspects principaux : l’accélération, avec la gestion de la puissance et l’antipatinage, et le freinage avec le frein moteur. A cet égard, nous avons une assez grande précision car nous pouvons changer le comportement de la moto virage par virage. »
Comment le pilote peut-il modifier l’électronique en roulant ?
« Le pilote a trois boutons sur son guidon gauche et, avec ces derniers, il peut changer les cartographies, changer la sensibilité de l’antipatinage, et augmenter ou diminuer le frein moteur. Les cartographies sont prédéfinies par nous, ce qui signifie qu’il ne peut pas changer les paramètres individuels de la cartographie, mais qu’il peut seulement passer à des configurations différentes. Alors que dans le box nous pouvons changer la cartographie virage par virage, une fois que la cartographie est insérée dans l’ECU de la moto, elle ne peut pas être modifiée, donc si par exemple le pilote augmente la sensibilité de l’anti-patinage, cela affecte le comportement de l’anti-patinage sur tout le circuit et pas à un seul endroit sur la piste. »
Le pilote est-il toujours important ?
« Malgré le fait que nos calculs tendent à être très précis, nous ne pouvons pas avoir de machines automatiques capables de rouler toutes seules. Je dirais qu’aujourd’hui l’importance de l’électronique est de 50/50 avec la dynamique du véhicule, mais les deux conjuguées représentent encore moins de la moitié de l’importance du pilote. Je dirais que sur un seul tour, l’électronique n’est pas si importante que cela par rapport à la dynamique, mais sur la distance de course, une bonne configuration électronique pourra aider la gestion des pneus et le comportement du châssis à gagner en importance, tour après tour, jusqu’à 50/50. Fondamentalement, notre objectif final est de permettre au pilote de gérer l’accélérateur à 100% aussi souvent que possible, pour permettre une référence de performance et mettre une limite qui pourra aider à prévenir les chutes afin que le pilote puisse se concentrer sur le pilotage le plus efficace. Pendant que le pilote s’approche de la limite, nous l’aidons à la trouver sans se blesser. »
Quelle est la relation avec le pilote ?
« Pendant les séances, l’électronicien et le chef d’équipe sont les deux personnes qui ont la communication la plus intense avec le pilote. Nous devons l’écouter, mais aussi lui expliquer ce que nous avons fait et lui faire comprendre ce qui se passe. Le fait d’être moi-même un pilote m’aide un peu parce que cela facilite la compréhension de certaines de ses sensations, en me rappelant certaines des expériences que j’ai vécues en pilotant, malgré le fait d’être beaucoup moins compétitif ! »
STATS
– Nombre approximatif de capteurs : 50
– Nombre approximatif de canaux (capteurs + données) : 1000, dont
600 gérés par le calculateur, 400 gérés par le logiciel.
– Quantité approximative de données gérées pour chaque session : 60
Go
– Temps approximatif de déchargement par cartographie : 1
minute
– Temps approximatif d’insertion d’une cartographie : 10
secondes
– Longueur approximative du câblage sur une moto : 200 mètres
TYPE DE CAPTEURS
Position : Mesurer la distance ou la course des éléments
mobiles.
Exemples, débattement de la suspension, course des leviers
d’embrayage / frein, ouverture/rotation des corps de papillon,
ouverture des gaz, débattement du sélecteur de boîte de
vitesses.
Vitesse : Mesurer la vitesse des éléments en rotation. Exemples, régime moteur, vitesse de rotation des roues.
Accélération : Mesurer les vitesses d’accélération et les oscillations vibratoires du véhicule. Exemples, accéléromètres de roue, IMU.
Inclinaison : Estimation du roulis et du cabrage de la moto (wheelie). Exemples, plate-forme inertielle, la mesure s’effectue en combinant accéléromètres et gyroscopes, un par axe (XYZ)
Températures : Mesure des températures de fonctionnement du moteur et d’autres systèmes. Exemples, température de l’eau, huile, des freins, de l’ECU.
Pression : Mesure de la pression du moteur, des éléments hydrauliques et de l’environnement. Exemples, pression d’huile, de freins, d’embrayage, d’air.
Force / Couple : Mesure des forces appliquées par le pilote et le moteur. Exemples, force appliquée au levier de changement de vitesses par le pilote pour changer de vitesses, mesure du couple fourni par le moteur.
GPS : Uniquement pour les essais réglementaires. Exemple, mesure de la trajectoire de la moto sur le circuit.
Voir le sujet abordé avec Maxime Reysz (Monster Yamaha Tech3)