Au sein des sports de tradition européenne comme le MotoGP, les statistiques sont souvent mises de côté. Certes, on voit l’émergence de nouveaux outils depuis quelques années mais globalement, les habitants du vieux continent ne se fient pas tant aux chiffres pour essayer de mieux comprendre leurs disciplines, à contrario des États-Unis qui regorgent de statistiques en tous genres. Parfois, elles aident, parfois, elles embrouillent. C’est pour ça qu’il faut les prendre avec des pincettes. Mais parfois, aussi, elles sont amusantes et nous font remarquer des tendances, des dynamiques relatives à un pilote ou une catégorie. C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui, avec un pilote Moto3 tout à fait respectable mais relativement discret : Jaume Masiá.
Qui est-il ?
Tout le monde ne regarde pas la plus petite des catégories, fournie en batailles serrées mais aussi parfois redondante. Ce n’est pas préjudiciable, et nous comprenons parfaitement que tous n’aient pas le temps de se poser, le dimanche matin à 11 heures, devant la course Moto3. Alors, présentons rapidement le larron.
Après une wildcard remarquée au Grand Prix d’Autriche Moto3 2017, l’Espagnol Jaume Masiá a rapidement intéressé une équipe pour un guidon à plein temps. Au sein de la formation KTM Bester Capital Dubaï, il s’est fait un nom qui lui permit de signer chez Honda Leopard Racing, très bonne structure, puis, chez Red Bull KTM Ajo, la meilleure équipe Moto3 où sont passés les Brad Binder, Pedro Acosta et autres Miguel Oliveira.
Depuis le début de saison 2023, il est de retour avec Leopard Racing, des 250cc quatre-temps reconnaissables grâce à leur robe cyan, beaucoup plus claires que l’origine du sponsor, une boisson énergisante que personne, ou presque, n’a jamais eu l’occasion de goûter. Toujours est-il que la formation a déjà couronné trois champions du monde depuis 2012, à savoir Danny Kent en 2015, Joan Mir en 2017 et Lorenzo Dalla Porta en 2019.
À 22 ans, il se fait vieux dans une catégorie très jeune mais reste parmi les meilleurs. D’ailleurs, il s’est imposé à Assen dans une course haletante, comme d’habitude. Autant d’années passées dans de si bonnes équipes lui ont permis, à défaut de remporter le titre mondial, d’engranger sept victoires, ce qui est énorme pour une classe de « transition », où les concurrents restent peu.
Jaume Masiá, le renard des surfaces
Maintenant que nous avons présenté le personnage, attaquons-nous à cette statistique folle. Si l’on cumule l’écart à l’arrivée entre lui et son plus proche poursuivant sur ses sept victoires, il n’est que de 0’’695 s, soit moins d’un centième d’écart en moyenne !
C’est absolument fou ! Certes, le Moto3 est une catégorie relativement serrée mais on a jamais vu des pilotes avec autant de victoires ou plus (Romano Fenati, Joan Mir, Brad Binder, Jorge Martín…) s’imposer avec si peu à chaque fois. Cela signifie que Jaume est toujours vainqueur d’une de ces courses à suspens, qui se décide au dernier virage. Un homme au sang froid ? Nous pouvons désormais l’affirmer !
Revenons sur chacun de ces succès en détail. Lors du Grand Prix d’Argentine 2019, sa première victoire, il s’impose pour seulement 0’’108 s face à Darryn Binder mais cette fois en position de défense, se protégeant notamment des attaques de Gabriel Rodrigo. Puis, il fallut attendre Aragón 2020 pour une nouvelle victoire, cette fois, en dépassant Raúl Fernández dans l’avant dernière ligne droite ! Darryn Binder, aspiré et encore deuxième, finit à 0’’091 s. Une semaine plus tard, sur le même circuit mais cette fois dans le cadre du Grand Prix de Teruel, Jaume remet ça en passant Albert Arenas dans la ligne droite de retour, et s’impose face à Ayumu Sasaki pour seulement 0’’051 s.
En 2021, Jaume Masiá remporte le premier Grand Prix de la saison au Qatar, 0’’042 s devant son coéquipier Pedro Acosta qui tentait de lui faire une « Masiá » dans le bout droit des stands. Ensuite, à Austin, en 2022, l’Espagnol remit ça avec une victoire « large » dans ses standards, soit 0’’172 s d’avance sur Dennis Foggia. Dans l’avant dernier virage, Andrea Migno avait manqué de lui faire la leçon. Décidément, il ne jouit d’aucun répit. Puis, la même année, il s’est imposé au Mans, en dépassant Ayumu Sasaki au raccordement, s’offrant un matelas de 0’’150 s dans les derniers instants. Et enfin, à Assen, cette année, où il doubla Sasaki (sa victime préférée) dans la dernière chicane pour prendre le drapeau à damier en premier, seulement 0’’081 s devant le Japonais.
Qu’est ce que cela signifie
Cette statistique amusante au premier abord est assez utile pour déceler une qualité chez ce pilote. Dans les situations sous pression, il faut compter sur lui. Jaume Masiá gagne ainsi depuis cinq ans, ce qui montre une réelle régularité dans ce domaine, ce n’est aucunement de la chance. Les tueurs en son genre se font rares, même en MotoGP. Un vrai renard des surfaces comme savait l’être Jorge Lorenzo (quand il ne gagnait pas avec deux secondes d’avance), ou, plus récemment, Enea Bastianini qui n’a pas besoin de mener pour être dangereux.
Jaume est donc doté d’un sang froid exceptionnel qui pourrait grandement lui servir par la suite, s’il vient à accéder, enfin, à la catégorie Moto2 dans les années qui viennent. Ce Filippo Inzaghi sur deux roues pourrait bien se révéler plus tard et se servir de son grand sens du dépassement pour faire la différence à motos égales. Cette année, la situation semble mal embarquée pour la course au titre tant Daniel Holgado, le pilote Red Bull KTM Tech3, est bien placé. Mais qui sait ? Rien n’est encore joué, et comptez sur Jaume Masiá pour créer l’exploit dans les derniers instants.
Aviez-vous remarqué ce fait étrange relatif à ce pilote ? Dites-le nous en commentaires !
Photo de couverture : Leopard Racing