Parlons MotoGP : Vous n’avez pas compris Pedro Acosta

Heureusement qu’internet n’existait pas au début des années 1990 ou 2000. Depuis dimanche, Pedro Acosta est victime de harcèlement sur les réseaux sociaux ; non pas parce qu’il a chuté lors du Grand Prix de Thaïlande MotoGP, mais bien parce qu’il avait fait une blague à la télé pendant l’intersaison. Cette situation est plus alarmante que vous ne le croyez, alors une analyse s’impose.

 

L’entertainment

 

Pedro Acosta a beaucoup pris en maturité cet hiver, en personnalité également. Grosse coupe mulet à l’américaine, franc-parler au moment d’évoquer ses conquêtes… son personnage s’épaissit au fil du temps, ce qui est une bonne chose pour une discipline qui base une partie de son spectacle sur le caractère de ses protagonistes. À l’occasion d’une interview dans un talk-show espagnol (La Revuelta sur La 1), il a fait semblant de ne pas connaître Marc Marquez, en disant « qui ça ? » lorsque ce dernier fut évoqué. Cette « provocation » – nous y reviendrons – est courante aux États-Unis : faire semblant de ne pas connaître un rival est un moyen de l’inférioriser.

 

 

Et là, internet s’est enflammé. Les Espagnols et les Français, notamment, deux peuples extrêmement actifs et véhéments sur les réseaux sociaux – c’est un fait avéré – se sont acharnés sur lui. « Comment ose-t-il manquer de respect à Marc Marquez ? », «  Lui qui n’a encore rien gagné en MotoGP ? » J’ai pu moi-même le constater, car, comme vous le savez, j’essaie de m’imprégner de ce que disent les spectateurs, responsables de la pérennité du sport. Et je dois reconnaître que j’étais tout à fait choqué de certaines réactions.

C’était une blague. Tout ceci était de l’humour. La Revuelta est une émission humoristique, qui a remporté le prix du meilleur programme d’entertainment Ondas 2024. David Broncano, le présentateur qui a posé la question à Pedro Acosta, est un comédien. Acosta s’est livré au jeu du spectacle, en faisant une simple blague pour provoquer l’audience – blague d’ailleurs appuyée par un orchestre, comme c’est le cas dans certains talks américains. Cela m’attriste qu’autant de monde passe à côté du second degré. De plus, si l’on enlève la blague, ça ne faisait aucun sens, et je vais vous le prouver.

 

Non seulement il le connaît, mais il le respecte

 

Pedro Acosta n’aurait jamais manqué de respect à Marc Marquez de la sorte. D’abord, les deux ne se sont jamais directement affrontés en piste pour une place intéressante. Il n’y a pas d’antécédents, pas de piques lancées par médias interposés durant toute la saison 2024. Ensuite, je vous ai retrouvé une interview d’Acosta datée de 2021, où il encensait Marc Marquez. Interrogé sur ce qu’il prendrait des plus grands champions motocyclistes de tous les temps, voici ce qu’il répondait : « Je prendrais 90 % de Marc Marquez […] Quand il gagne, il est supérieur. Marc est différent du reste, on le voyait déjà en 125cc. L’étudier m’aide à améliorer mon pilotage ». Si ce n’est pas du respect, je ne sais pas ce que c’est !

 

 

Pourquoi une blague ?

 

Je me rends compte que c’est assez triste de devoir expliquer une blague qu’il avait le droit de faire – Marc Marquez reste un humain comme vous et moi –, mais je vais tenter d’expliquer pourquoi il l’a fait. En 2023, alors en Moto2, Pedro Acosta avait livré une interview très intéressante pour le média MotoGP.com. Il y disait que la catégorie reine manquait de rivalité, et que c’est exactement ce que les gens attendaient. Qu’il trouvait dommage, également, que tous soient « copains », bras dessus bras dessous sur les podiums ! Ce n’est donc pas étonnant qu’une fois pilote d’usine KTM, il se laisse aller au petit jeu des provocations, et c’est sans doute la raison pour laquelle il se donne plus de caractère depuis cet hiver.

Influencé par Kevin Schwantz, Casey Stoner – et, comme tous, même s’ils ne veulent pas l’admettre, Valentino Rossi –, Acosta sait que la personnalité est la clé de la légende. Tout le talent du monde n’est pas mémorable si la personne qui le porte n’est pas digne d’intérêt aux yeux de l’histoire. Moi qui, depuis des années, vous répète inlassablement que le MotoGP manque de rivalité et de piment, ne cache pas mon plaisir, car c’est comme ça que l’histoire des sports mécaniques fut écrite. J’adore ce qu’a fait Pedro Acosta, et j’aimerais que tous apprennent à jouer avec les médias de la sorte.

 

Pas de F1

 

 

Suite à mon article sur Marc Marquez paru lundi, beaucoup étaient d’accord avec moi concernant le paragraphe sur les pressions ; je vous remets le lien ici si vous l’avez manqué. Dedans, j’affirmais que la différence entre le MotoGP et la F1 résidait dans la simplicité du premier des deux sports, mais le caractère des pilotes est tout aussi important pour préserver cette unicité ! En F1, le spectacle est lisse, seulement relevé par Max Verstappen et son franc-parler. Mais avant qu’il ne s’oppose réellement à Lewis Hamilton en 2021, combien de temps a-t-il fallu pour que nous ayons un vrai « pilote-spectacle » à l’ancienne, du genre qui n’a pas froid aux yeux devant la caméra ? Et en MotoGP, depuis la retraite de Rossi, combien en avons-nous eu ? N’est-ce pas pour cette raison que Pecco Bagnaia ne réunit pas tant de fans, alors qu’il fait un magnifique double champion du monde ?

Acosta incarne l’espoir de retrouver un pilote avec de la gouaille, cette insolence bien placée Lorenzo-style dont l’énervement procuré est proportionnel au succès du pilote. Le pire, c’est que les fans de Marc Marquez qui sont tombés sur Acosta idolâtrent un pilote qui, lui-même, n’a pas eu peur de s’imposer face à Valentino Rossi avec une certaine arrogance ! J’ai déjà dit que j’avais du mal avec le fanatisme, mais heureusement, je sais que la majorité silencieuse ne valide pas ce phénomène, peu importe qui elle supporte.

Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de ces questions et de cet article, alors, dites-le-moi en commentaires.

 

 

Photo de couverture : KTM