Il y a bientôt quinze jours, le champion du monde en titre était de retour en MotoGP ; Jorge Martin s’est remis en selle au Qatar, mais s’est de nouveau blessé lors du Grand Prix. Mais au fait… pourquoi est-il revenu ? Je n’ai pas la réponse. Et c’est justement ce qui m’attriste.
Rien à gagner
Cela fait maintenant plusieurs années que je suis perplexe face à ces décisions. Je n’ai jamais compris pourquoi Marc Marquez a directement essayé de piloter après sa chute au Grand Prix d’Espagne 2020, ni pourquoi, en 2022, il a laissé traîner une blessure pendant cinq courses avant de se faire ré-opérer. N’est-ce pas là cinq fois plus de chances de tomber lourdement et d’empirer la situation ? Des carrières sont en jeu, j’ai l’impression que tous n’en ont pas conscience.

Après tout, il n’a manqué que trois Grands Prix, ce qui est relativement peu. Miguel Oliveira en a raté cinq l’année dernière, par exemple. Son absence n’était même pas longue. Photo : Michelin Motorsport
Ne prenez pas l’exemple de Jorge Lorenzo en 2013, ou d’autres héros qui ont tenté cela par le passé. Oui, le quintuple champion du monde espagnol a pris ce même risque à Assen, en courant avec une épaule fraîchement opérée. Mais lui jouait le titre mondial ! Là, qu’est-ce que Jorge Martin faisait sur la piste, lui qui est déjà éliminé de tout débat intéressant cette année ? Franchement, je ne comprends pas.
Le « Martinator » n’avait rien à gagner en revenant si tôt. Pour rappel, il s’est blessé deux fois aux mains cet hiver, d’abord en essais à Sepang, puis en s’entraînant. Il s’agit là de fractures difficiles à soigner, qui requièrent beaucoup de repos. Après trois Grands Prix manqués, il a tenu à participer à la manche qatarie, terrible décision.
Il n’existe pas de scénario où cela aurait pu bien se terminer. Dans le meilleur des cas, que pouvait-il espérer ? Une apparition dans le top 10, au prix d’une douleur extrême ? Cherchait-il à limiter la casse au championnat, alors qu’un seul pilote valide dans l’histoire a réussi à rattraper autant de points sur le leader ? Marc Marquez et d’autres lui avaient conseillé de prendre son temps, mais le voilà, quinze jours plus tard, avec un nouveau problème physique.
Vous me direz peut-être qu’il voulait prendre la mesure de l’Aprilia RS-GP25, qu’il n’a jamais vraiment eu l’occasion de tester jusqu’à maintenant. Est-ce si important ? Je veux dire, ne devrait-il pas attendre d’être en meilleure condition pour apprécier le travail des ingénieurs ? Au Qatar, il disait « comprendre la moto, notamment au freinage », mais trois minutes plus tard, avouait adopter une position tout sauf naturelle sur l’Aprilia ! On peut légitimement questionner la pertinence de ses analyses dans ces conditions.
Malheureusement prévisible
Le MotoGP actuel est marqué par les lourdes chutes, notamment parce que les pilotes sont plus que jamais à l’attaque sur les phases de départ. Heureusement, Martin n’a pas été victime d’un accrochage dans les deux premiers virages. Il faisait une course tranquille lorsqu’il chuta, puis fut percuté, au sol, par Fabio Di Giannantonio. Résultat : une multitude de côtes cassées et un pneumothorax, une grave affection de la plèvre. Ça paraît fou de dire ça, mais il a été chanceux, car les percussions au sol sont de loin les accidents les plus dangereux en sports motocyclistes.

S’il avait franchi la ligne dimanche, qu’est ce que ça lui aurait apporté ? Il aurait remis ça à Jerez, avec le même risque ? Photo : Michelin Motorsport
C’est dommage, parce que c’était prévisible. Certains pourraient penser qu’il allait bien, qu’il était remis. D’ailleurs, les responsables médicaux lui ont autorisé à prendre le départ. Pourquoi le blâmerait-on ? La vérité, c’est qu’il n’allait pas bien du tout. Sa blessure ne le gênait pas, elle le torturait. Lisez plutôt ce qu’il a déclaré à l’issue de la première journée de compétition, sa première en 2025 : « Je souffre, ça fait un mal de chien. Et pas seulement de la douleur de la blessure, parce que je dois compenser avec le reste du corps, et c’est ça le pire. Ce matin, j’ai fait deux tours d’affilée et j’ai dû m’arrêter pour respirer un coup. Pendant la Practice, j’ai pu en faire quatre ou cinq, ce qui était déjà mieux ».
Il a déclaré ça le vendredi soir, à l’issue de deux séances. Comment peut-on laisser participer un concurrent qui tient de tels propos ? En plus, s’il voulait vraiment courir, il aurait tout intérêt à dédramatiser la situation pour, justement, ne pas alerter les médecins. Mais un pilote peut ouvertement dire qu’il n’arrive pas à faire cinq ou six tours sans que cela n’alerte personne. D’un côté ou de l’autre – et sans doute des deux –, il y a eu un manque de responsabilité probant.
Ce n’est pas la première fois que les hautes instances attirent mon attention sur ce point. Lors du Grand Prix d’Espagne 2023, Marco Bezzecchi, qui avait lourdement chuté au départ, est tout de suite remonté en selle pour la deuxième extinction des feux qui suivait un drapeau rouge. Mais allait-il seulement bien ? On le voyait boiter à l’image. N’était-ce pas dangereux pour lui et les autres ? Comment pouvait-on s’assurer de sa lucidité après une telle chute ? Le cas Jorge Martin rejoint celui-ci, car je ne vois pas comment personne ne peut dire stop à un pilote qui agit de la sorte.
Comment faire ?
C’est bien beau de dire ça après coup, mais qu’aurait-il dû faire ? Suivre l’exemple de Fabio Di Giannantonio, voilà tout. L’année dernière, l’Italien a fait le choix inverse : se retirer lui-même du championnat pour prendre le temps de se soigner correctement. Blessé à l’épaule depuis l’Autriche, le pilote Ducati VR46 souffrait mais restait quand même très performant, sans mettre en danger sa santé. Après deux merveilleuses quatrièmes places consécutives, il a décidé de mettre fin à sa saison suite au Grand Prix de Thaïlande pour mieux préparer 2025. Il a été malchanceux cet hiver car il est tombé de nouveau, mais je pense que son approche beaucoup plus raisonnable était la bonne.
Jorge Martin a une belle page d’histoire à écrire avec Aprilia, d’autant plus que celle-ci est plutôt performante. Ne faudrait-il pas qu’il revienne uniquement à 100 %, pour comprendre et exploiter au mieux sa monture, quitte à manquer cette saison entière ? Comme l’ont souligné des légendes de notre sport, il y a une vie après les Grands Prix, alors j’espère sincèrement qu’il ne gâchera pas la sienne pour quelques points.
Plus que jamais, je suis curieux d’avoir votre avis en commentaires. A-t-il eu raison de revenir si tôt ?
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.

Après tout, le pilote est toujours d’accord pour prendre des risques. D’autres doivent l’arrêter. Photo : Michelin Motorsport
Photo de couverture : Michelin Motorsport