Nous y sommes presque. Seulement 17 points séparent les deux protagonistes de cette saison MotoGP 2024, mais pourtant, il manque définitivement quelque chose à cette course au titre. Pourtant, l’histoire a réuni tous les ingrédients nécessaires : deux pilotes qui se connaissent depuis très longtemps et qui se sont déjà affrontés pour une couronne l’année dernière, qui roulent la même machine mais dans deux équipes différentes, et même le duel de nationalité rappelle des heures glorieuses de notre championnat. Mais la tension n’y est pas. Pourquoi ? Qu’est ce qu’il manque à cette saison pour qu’elle devienne légendaire ? Analysons tout ça.
Alex Rins, il y a quelques jours, constatait également l’absence de tension dans cette course au titre. Je sais que beaucoup défendent cette saison 2024 car elle symbolise aussi le MotoGP à l’ère moderne, totalement dénué de rivalité, de conflits (plus que de combats). Mais ceux qui ont connu des grandes saisons comme 2015 ou 2013 savent que le millésime 2024 ne tient pas la comparaison.
Le manque d’interactions entre les deux
Beaucoup soulignent qu’il n’y a pas de bataille en piste entre Pecco Bagnaia et Jorge Martin. C’est totalement vrai, mais ça n’explique pas tout. Avoir des joutes magnifiques aide à personnifier une époque, d’une part, la rendre spéciale, unique, mais pousse aussi à la rivalité car à ce niveau de la compétition, tous les coups – ou presque – sont permis. Cette saison, nous n’avons eu aucun affrontement direct entre Martin et Bagnaia, et plutôt des grands écarts en faveur de l’un ou de l’autre. L’année passée, c’était beaucoup moins serré aux points et pourtant, les deux nous avaient offert du grand spectacle en Allemagne comme en Thaïlande. Compte tenu du fait qu’il y a désormais 40 courses par an, beaucoup s’attendaient à mieux.
Je suis totalement d’accord avec cette analyse, mais pour moi, elle est incomplète. L’histoire nous montre que les batailles rapprochées contribuent au spectacle, mais qu’elle ne sont pas tout. J’en prends pour exemple 2017 et cette pseudo-rivalité entre Andrea Dovizioso et Marc Marquez. Les deux étaient proches et ont disputé de belles joutes, mais la tension n’y était pas. Dès fois, j’oublie carrément que ça s’est joué à Valence tant Marquez était plus fort que « Desmosdovi » dans mon esprit. En revanche, en 2015 – pour moi la plus grande saison de l’histoire de notre sport, Valentino Rossi et Jorge Lorenzo ne croisaient pas tant le fer sur le bitume. À l’époque, il était fréquent que Lorenzo parte loin devant et ne se fasse jamais rattraper, ou que Marc Marquez soit celui qui dispute les victoires à l’un et à l’autre.
Non, ce qui a rendu cet exercice si légendaire, ce sont les interactions entre Lorenzo, Marquez et Rossi. Que ce soit pour une chute, un dépassement, un accrochage ou une phrase acerbe en conférence de presse. Tout était sujet à tension, elle était partout, tout le temps. Et les éternels rabat-joies vous diront que c’est mieux sans Rossi, car il y a moins de polémiques, et puis, que Lorenzo était arrogant. Mais l’histoire a besoin de personnages de ce genre. Ce sont des moments comme ça qui font un sport, des Suzuka 1989, des Abu Dhabi 2021, des Sepang 2015, des Fuji 1976, des RAC 1995. Et d’ailleurs, je peux assurer à ceux qui ont découvert le sport plus tardivement que ce n’est nullement de la nostalgie : après Phillip Island et Sepang, le monde nous regardait en 2015.
It's time for take two 🎬#TheRematch 🏁 pic.twitter.com/DsDhYDtKGR
— MotoGP™🏁 (@MotoGP) October 27, 2024
Ici, Martin et Bagnaia n’interagissent que très peu entre eux, si ce n’est pour quelques déclarations ici et là. Pourtant, un peu comme Lorenzo et Rossi (ou comme Rosberg et Hamilton), il y a une histoire entre les deux : ils étaient déjà coéquipiers chez Aspar en Moto3 lors de la saison 2016. Mais bon, on ne peut pas les forcer à se détester juste pour l’entertainment, même si je regrette que les deux n’aient pas le sens du spectacle si cher au pays de l’Oncle Sam. Les célébrations ont disparues, et seul David Alonso, en Moto3, semble être conscient de leur potentiel. Idem pour les provocations amicales, les décorations de casque osées… ça s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large, à savoir, la dépersonnalisation du sport et des athlètes au profit des ligues et de leur contrôle de leur image.
Des caractères peu propices
Dans ma théorie, l’intensité d’une course au titre dépend aussi et surtout des caractères de ceux qui l’entretiennent. Et pour le coup, on est loin d’un Lorenzo et d’un Rossi. D’un côté, on a Jorge Martin, qui, selon moi, est un vrai paradoxe. Des fois, il est très arrogant (un compliment dans ma bouche – ou sur ma feuille – vous l’aurez compris), en affirmant qu’il est le meilleur. Mais la majorité du temps, il célèbre des deuxièmes places comme si c’étaient des victoires, congratule Bagnaia encore et encore, sans doute plus que ce que l’Italien en demanderait. Sur les réseaux sociaux, c’est un bad boy, avec une gueule dure qui aurait sa place dans Vogue. Sur la piste, il est extrêmement propre, réfléchi, souvent très juste et respectueux. C’est un pilote incroyable, mais pas aussi électrique que ne le laisse imaginer sa vitesse.
De l’autre, Pecco Bagnaia, génie le dimanche et disciple de Marc-Aurèle le lundi. L’Italien est proprement imperturbable. Il sourit légèrement, ne pense qu’à la course : toutes ses déclarations rappellent celle d’un pilote des années 1980. Lui se fiche des communications radios à venir, des consignes de course. Il veut juste courir et gagner. Pecco fait la tronche quand il perd, et ferait un bon antagoniste… si seulement il était un peu plus vocal. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il me semble que Bagnaia a plus de potentiel spectaculaire que Martin, que ce soit en piste grâce à son style d’attaquant ou en conférence de presse avec quelques phrases bien senties. J’espère que Marc Marquez va le pousser dans ses retranchements en 2025 afin qu’il se révèle, car un grand cœur de racer passionné se cache sous cet épais costume stoïcien.
Vous l’aurez compris, les deux font la paire, et ne sont pas prêts de se provoquer. Espérons que cela se produise à Sepang, qu’on ait quelque chose à raconter à nos enfants de cette saison 2024.
La DORNA responsable ?
J’étais obligé de placer un petit mot pour la DORNA, car après tout, l’organisation a un rôle crucial à jouer dans ces scénarios. Par exemple, je suis en mesure d’affirmer qu’en présence d’un producteur américain, cette saison 2024 nous tiendrait davantage en haleine. Il faut tout de même reconnaître qu’ils essayent des choses, avec des affiches et des reportages sur leur passé commun. Mais est-ce que c’est suffisant, et surtout, où son potentiel maximum d’influence sur la dimension spectaculaire s’arrête-t-il ? Il est difficile de faire mieux que la loi de la course elle-même.
Il faut reconnaître, et ce sera là mon dernier argument, que ce championnat 2024 a davantage été nivelé par le bas que l’inverse. Ce sont surtout des erreurs – parfois grossières – à des moments cruciaux qui ont créé ce faible écart, plutôt que des exploits homériques des deux protagonistes. En cela, c’est très différent de 2013 et 2015. Peut-être est-ce par manque de confiance que les deux acteurs n’osent pas utiliser le levier psychologique ? Après tout, Martin a révélé après le Japon qu’il avait eu du mal à gérer la pression en 2023. Bagnaia, même s’il a progressé sur ce point et reste bon dos au mur comme il l’a démontré en 2022 et 2023, reste loin d’un Lorenzo niveau confiance.
Voilà, selon-moi, pourquoi ce championnat ne génère pas autant de passion que le faible écart aux points pourrait le laisser penser. Bien sûr, il s’agit là de mon point de vue uniquement, donc je suis curieux de savoir si vous avez le même ressenti que moi.
Dites-le moi en commentaires !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.
Photo de couverture : Michelin Motorsport