Cet article me brûlait l’esprit. Je désire parler de ce qui cloche avec Jorge Martin et son équipe depuis longtemps en MotoGP, mais je n’avais pas eu assez d’exemples pour me convaincre de le coucher sur papier. Mais à la fin du Grand Prix du Japon, ils m’en donné plus que ce que j’espérais. Voyez-vous, le MotoGP, comme tout autre sport, a une importante dimension psychologique. Et c’est justement le point faible de l’Espagnol. Explications.
Des choses qu’il ne faut pas dire
Ça serait facile, pour moi, d’affirmer qu’« il n’aurait pas dû dire ça », ou qu’« il aurait mieux fait de faire ça comme ça ». Je vais essayer de ne pas tomber dans ce piège.
L’étude du comportement et du langage corporel est aussi intéressante qu’éclipsée dans les médias européens. Pourtant, quand une discipline est compétitive, ou le devient davantage spontanément (comme dans le cas d’une course au titre, par pur hasard), l’aspect psychologique devient critique. C’est souvent ce qui différencie les bons pilotes des champions. Et selon moi, Jorge Martin a montré qu’il avait de grosses lacunes dans ce domaine, ce qui n’enlève rien à son talent au guidon, bien sûr.
Trois éléments m’ont fait tiquer, si bien que j’ai dû revenir en arrière sur la vidéo pour m’assurer que j’avais bien entendu. Premièrement, les paroles de Jorge Martin dans sa déclaration d’après-course. Je ne vais pas vous refaire le match, le « Martinator » a terminé deuxième en s’élançant onzième : un beau week-end, dans l’ensemble. Cependant, il est arrivé ici avec 21 points d’avance, et repart avec 10 unités de mieux que Pecco Bagnaia, vainqueur des deux manches.
Il a d’abord commencé par un sommaire : « Pecco a dit qu’il aimerait bien qu’on se batte, alors, qu’il coupe les gaz ! », sur le ton de la rigolade. Ça, c’est « gentil », dirons-nous. En revanche, la suite pose question : « L’objectif est d’arriver à Valence avec la possibilité de gagner, mais j’espère le faire avant ». Selon moi, quelqu’un qui a de l’avance sur son rival ne peut pas se permettre de seulement vouloir une finale à Valence. Il s’est rattrapé sur la fin, en précisant qu’il aimerait clôturer le dossier avant, mais c’était trop tard. C’est comme s’il se voyait déjà battu lors des prochaines manches, attendant désespérément la finale à Valence pour une simple « possibilité », après avoir mené plus ou moins toute la saison aux points. Je n’en revenais pas. Il n’y a pas un seul autre sport où vous entendriez ça à un moment si critique.
Autant, Pecco Bagnaia est un incroyable adversaire en piste, autant il n’utilise pas non plus la pression psychologique. C’est un racer, un passionné de course, à l’ancienne. Mais cela ne l’a pas empêché de dire, dans la cooldown room (la pièce où les trois du podium revoient les meilleures actions) qu’il aimerait « une finale à Valence, où nous aurions le même nombre de points. Qui gagne l’emporte ». Imaginez le cran et la confiance en soi qu’il faut avoir pour balancer ça, en ayant autant chuté, et surtout, en étant toujours derrière au classement. À côté de ça, Martin veut « une possibilité de se battre à Valence » alors qu’il est dans la meilleure position ! Qui est le favori dans l’histoire ?
Match point at the last race on equal points? 🤔@PeccoBagnaia challenges @88jorgemartin and he signs it down! 👀#JapaneseGP 🇯🇵 pic.twitter.com/gySrGLQWIM
— MotoGP™🏁 (@MotoGP) October 6, 2024
Le commentaire qui n’aide pas
Ce n’est pas tout. Les consultants officiels ont interviewé Gino Borsoi, team manager de Pramac Racing. D’habitude, il est assez pertinent, il en veut. L’Italien avait déjà dit qu’ils visaient le titre pilote cette saison. Mais le voilà, après la course, qui déclare que cette deuxième place, finalement loin derrière Bagnaia, « était comme une victoire ». Les bras m’en sont tombés. Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’une deuxième place est OK, que ça convient ?
J’ai du mal à saisir l’intérêt de sa déclaration. D’accord, Martin a fait un beau GP, mais tout le monde savait qu’il allait revenir aux avant-postes. C’est l’un des deux meilleurs pilotes du monde, une onzième place en qualifications n’allait pas l’arrêter, comme ça aurait été le cas pour Pecco Bagnaia d’ailleurs. Voir Martin deuxième, peu importe la qualité de sa Q2, n’est pas une surprise en soi. Et pourtant, Borsoi avait l’air heureux. Tout va bien, j’imagine.
Le non verbal
Vient le dernier élément. Celui-ci sera plus court, car il concerne le langage corporel de Jorge Martin. Peu importe son résultat, il semble toujours heureux, prêt à s’excuser de s’être fait pousser dans le dernier tour à Misano par Enea Bastianini. Si vous voulez vous en convaincre, allez voir la différence de comportement sur le podium ou dans le parc fermé entre Martin deuxième au Japon et Bagnaia deuxième à Mandalika, ou troisième au Mans. L’Italien, pourtant pas plus hargneux que ça à l’échelle de l’histoire, est toujours fermé quand il ne gagne pas, car la victoire est son seul objectif.
Les leçons du passé
Si vous pensez que tout ça ne compte pas, vous vous trompez. L’année dernière, Jorge Martin avait tenté d’intimider Pecco Bagnaia à Valence : enfin, il activait le levier psychologique. Le pire, c’est que ça marchait lors de la Practice ! Le problème, c’est qu’il s’y était pris trop tard. On se dirige vers un remake de la saison 2023, car Martin ne fait pas plus attention que ça à ses déclarations, il ne joue pas avec la presse, il ne semble pas plus préoccupé par cette rivalité que ça. Les compliments sur Pecco Bagnaia pleuvent, encore et encore.
Personnellement, j’adorerais voir une nouvelle guerre psychologique, car c’est quand nos héros sont poussés dans leur retranchements qu’ils se révèlent. Ça appartient au passé, malheureusement. En deux années consécutives de rivalité, il n’y a rien eu, pas même une petite pique cinglante, si ce n’est pour ce GP de Valence l’année passée, qui relevait plus de l’élan désespéré que d’autre chose. Dans le cas de Bagnaia, je le comprends, car après tout, il est le plus fort, même s’il est derrière. Il peut laisser faire et puis, c’est un discret. Mais le personnage de Martin, si sûr de lui et presque arrogant en apparence, n’est absolument pas soutenu par ses propos. L’Espagnol est un vrai paradoxe.
Conclusion
Jorge Martin peut encore remporter ce titre mondial. L’histoire réserve bien des surprises. Son avantage à lui, c’est qu’il pilote merveilleusement bien. Malheureusement, j’ai comme l’impression qu’il ne met pas toutes les chances de son côté ; la pression psychologique, déterminante et utilisée dans tous les sports sauf le nôtre pour une raison qui m’est inconnue, pourrait lui être très utile face à un adversaire qui a déjà montré qu’il lui était sensible. Le problème, c’est qu’il pourrait ne pas rejouer le titre avant un petit moment avec Aprilia.
Après avoir pêché sur ce plan en 2023, je trouve vraiment dommage qu’il ne s’applique pas plus à cette tâche alors qu’il a une deuxième chance, bien plus prometteuse que la première, d’ailleurs. Aussi, d’un point de vue personnel, c’est encore plus dommage qu’une période de rivalité si intéressante ne soit que très peu animée par des personnages hauts en couleur. Donnez ce contexte à Jorge Lorenzo et Valentino Rossi, ils vous passionneront une nouvelle génération de gamins.
Dois-je définitivement enterrer l’espoir de revoir des pilotes marquants, qui savent célébrer, mettre la pression, et réaliser des grandes choses ? Peut-être pas. Pedro Acosta, dont nous reparlerons demain, est sensible à ces questions. Il sait que les fans aiment la rivalité. Son caractère me parle, naturellement. C’est aussi le cas pour le champion du monde Moto3 David Alonso, mais ces spécimens sont rares. Bagnaia, plus subtilement, a quelques petites phrases notables, mais j’attends beaucoup de sa saison 2025, lorsqu’il fera face au grand Marc Marquez, qui, lui, n’aura pas peur de le bousculer.
Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de toutes ces questions. Alors, dites-le moi en commentaires !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.
Photo de couverture : Michelin Motorsport