Personne ne s’y attendait. Peu après le Grand Prix de
France,
Pecco Bagnaia a pris la parole sur un sujet relativement
sensible, à savoir l’écart de performance entre les privés et
les officiels. En effet, depuis 2016 et l’introduction de l’ECU
unique, les pilotes évoluant sur des machines satellites peuvent
enfin prétendre à la victoire. Le champion du monde en titre s’est
exposé en proférant telle opinion, et ses contradicteurs n’ont pas
tardé à lui tomber dessus. Analyse en plusieurs
points.
I) Une prise de parole respectable
Nous désirions féliciter Pecco Bagnaia pour sa
prise de parole. Nous ne sommes pas d’accord avec son
constat, mais dans une ère ou tout est policé, il faut soutenir ces
initiatives car elles permettent au sport en question d’évoluer.
L’Italien, qui affirme frontalement ceci face à la caméra, sait
pertinemment que son opinion est impopulaire et qu’il devra faire
face à la critique.
Bien sûr, quelques jours plus tard, le voilà qui rétropédale
quelque peu en prétextant une sortie de contexte, mais
ses propos étaient pourtant limpides.
II) Il y a du vrai dans ce que dit Pecco
Avant de passer à ce qui nous a moins plu, nous avons relevé un
argument intéressant. Dans sa sortie, Pecco parle du « Big Four »
Jorge Lorenzo, Casey Stoner,
Valentino Rossi et Dani Pedrosa,
et à quel point le statut de pilote officiel permettait aux mêmes
hommes de se battre, weekend après weekend. Cela façonna ainsi les
rivalités propices à l’expansion du MotoGP. Sur ce point
précis, nous sommes totalement d’accord avec lui.
Nous avons eu l’occasion d’y revenir dans de nombreux articles,
mais l’introduction de l’ECU unique a largement limité les
rivalités car la performance est devenue bien plus
aléatoire. En 2016, nous avions neuf vainqueurs
différents, comme en 2020. Parfois, certains de ces
exploits sont absolument inexplicables et défient toute
logique.
Par le fait, des pilotes auparavant plus discrets se mirent à
gagner, et cela ôta du temps d’antenne aux ténors. Qui dit
moins de présence des mêmes pilotes aux avant-postes dit moins de
batailles récurrentes, ce qui résulte en une baisse de
l’audience. C’est notre thèse depuis plusieurs années.
Nous sommes convaincus que l’introduction de l’ECU unique, entre
autres mesure, est en partie responsable de la baisse de
fréquentation au bord des pistes. Imaginez que depuis 2021,
Fabio Quartararo et Pecco Bagnaia
se disputent toutes les victoires. Forcément, une rivalité
en naîtra.
Si Jorge Lorenzo et Valentino Rossi avaient été
régulièrement battus par Randy De Puniet ou Álvaro Bautista, leurs
joutes n’auraient pas eu la même saveur.
III) A-t-il déjà peur ?
Globalement, nous sommes largement en désaccord avec son
intervention, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il est mal placé pour évoquer cela comme l’a très
justement rappelé Hervé Poncharal. Pecco est monté en
MotoGP chez Pramac Racing, qui est l’équipe privée la plus proche
d’un team d’usine sur la grille si l’on excepte GASGAS. Davide
Tardozzi le rappelait au Grand Prix de Catalogne 2022, Pramac est
une « écurie sœur ». Par le fait, un homme qui a
bénéficié de ce statut ne peut pas affirmer qu’il aurait aimé être
moins performant.
De plus, Pecco Bagnaia n’a même pas été si bon
lors de ses deux saisons chez Pramac alors que la machine
rivalisait avec celle utilisée par Andrea
Dovizioso et Danilo Petrucci. Nous ne
saurons jamais s’il aurait pu signer au sein de l’équipe officielle
sans ce paramètre, et qu’un autre pilote d’usine, lui bénéficiant
d’une machine des plus performantes, aurait pris sa place.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier pourquoi Pecco Bagnaia
prenait la parole. En effet, on parle ici de l’agressivité
des pilotes qui veulent se projeter vers l’avant le plus rapidement
possible, pendant le Sprint ou le Grand Prix. Si c’est vérifié pour
certains d’entre eux, en particulier Álex Márquez,
la majorité des accrochages majeurs en ce début de saison étaient
le fait de pilotes officiels.
Marc Márquez, en particulier, est très dur sur l’homme,
toujours à la limite sur chaque dépassement ; nous
reviendrons sur son cas dans quelques jours. Brad Binder
s’est plaint de Maverick Viñales en Argentine, tout comme Luca
Marini s’est plaint du Sud-Africain au Mans ! À
Jerez, DORNA a sanctionné les deux pilotes officiels Yamaha, à
chaque fois jugés responsables du déploiement des drapeaux rouges.
Lors du rendez-vous andalou, Jack Miller a pesté contre
Pecco Bagnaia et ce dernier, au Mans, a fait le même geste contre
Marc Márquez pendant le Sprint ! Durant la course du
dimanche, l’officiel Ducati s’est accroché avec… Maverick Viñales.
Bref, vous l’aurez compris, c’est le serpent qui se mort la
queue. Toujours est-il que l’ambiance tendue en piste
n’est pas uniquement le fait des pilotes satellites, c’est une
certitude.
Troisièmement, cette déclaration ne le met pas dans une bonne
posture. Désormais, les pilotes et spectateurs vont scruter chacun
de ses dépassements, afin de vérifier qu’il ne se contredit pas lui
même. Avec un peu de recul, on pourrait croire que sa
sortie traduit de la peur, alors que nous pensons qu’il n’a aucune
raison de s’inquiéter de Marco Bezzecchi, encore vainqueur en
Sarthe. Pourtant, affirmer que les privés sont trop
proches peut difficilement être interprété différemment. C’est
presque dommage qu’un pilote de sa trempe s’abaisse à ce débat,
mais comme Jorge Lorenzo avant lui, il crie haut
et fort ses craintes. Cela peut lui valoir une très
mauvaise image dans un sport « de durs », ou justement, il faut
sans cesse rappeler que l’on adore les contacts sous peine d’être
conspué.
Que pensez-vous de sa déclaration ? Est-elle
si mal venue ? Dites-le nous en
commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport