C’est la grosse surprise de ce vendredi. Alors que j’avais déjà écrit et programmé deux articles concernant son potentiel transfert chez Aprilia – et pourquoi, selon moi, c’eût été un bon choix, le voilà qui me replace, humblement, devant mon écran pour traduire mon étonnement quant à sa décision ; je n’ai pas compris Fabio Quartararo. De ce que je vois depuis hier, je ne suis pas seul. Une analyse argumentée s’impose, mais toujours, en respectant la raison et la bienveillance.
Pour rappel, cette chronique ne reflète que la pensée de son auteur. Il s’agit d’un avis subjectif qui n’engage pas l’opinion de l’ensemble de la rédaction.
Pourquoi ?
Premièrement, penchons-nous sur le destin du Français. Nous reviendrons ultérieurement sur ce que Yamaha gagne dans l’affaire. Comme l’indique le titre de ce papier, sa décision est incompréhensible, au sens premier du terme. Ce n’est pas péjoratif ; Je ne la comprends pas. Tout semblait indiquer un transfert chez Aprilia, aussi bien les quelques rumeurs du paddock, mais aussi, la dynamique sportive. Après tout, les bruits de couloir étaient peut-être infondés, mais là n’est pas le problème. Je pense que Quartararo, en champion valeureux, pouvait trouver mieux ailleurs au vu du nombre de places disponibles à l’horizon 2025.
C’est pourquoi je suis un peu déçu, à titre personnel, bien sûr. Ce grand pilote MotoGP au demeurant, fait le choix de la sécurité, en restant dans une équipe qui tend à stagner plus loin dans le classement. Lui qui, il y a peu, se disait encore insatisfait du matériel proposé. Lui qui, si souvent, a publiquement pointé du doigt les dysfonctionnements de la Yamaha YZR-M1, notamment liés au moteur. Lui qui, après le Grand Prix du Portugal, confessait ne plus pouvoir attendre longtemps avant de prendre une décision, sous entendu, partir.
Le gâchis : c’est le sentiment qui prime à la lecture de toutes vos réactions sur les réseaux sociaux. « El Diablo », 24 ans seulement, renie une possibilité de jouir d’un meilleur matériel, et donc, de s’employer corps et âme pour revenir avec les meilleurs. Il n’a pas fait comme Marc Marquez par exemple, qui, lassé d’une situation inextricable chez Honda, a revu ses ambitions salariales à la baisse pour juste retrouver le plaisir de jouer devant.
Son prime, sa meilleure période en carrière, c’est maintenant. Et depuis mi-2022, au moins, il gâche ses années dorées pour un constructeur en constante perte de vitesse. Quand Bagnaia, Martin – pourtant plus vieux, et autres Bastianini se forgent un palmarès, entrent par la grande porte dans l’histoire motocycliste, le champion qu’est Quartararo n’est apparemment pas assez frustré pour se risquer à retrouver sa condition antérieure.
The Devil wears Yamaha! 😈@FabioQ20 and @YamahaMotoGP will keep making history together until 2026! 🤝#MotoGP pic.twitter.com/3MTmOBrRfC
— MotoGP™🏁 (@MotoGP) April 5, 2024
Quels étaient les arguments de Yamaha ?
Une question me taraude plus que les autres. Qu’ont dit les pontes de Yamaha pour qu’il reste ? On peut se demander ce que Yamaha lui a promis pour qu’il relance une pièce dans la machine. La puissance financière ? C’est tout à fait fallacieux, et il s’applique même pour la période de préparation en vue du prochain règlement. Aprilia, avec des petits moyens, est aujourd’hui l’une des firmes les plus avancées en matière d’aérodynamique. Et comme pour Honda, où était cette puissance financière lors des trois dernières saisons ? Comment Yamaha s’est fait doubler par tous les autres, s’ils possédaient plus de ressources ? Lorsqu’il est mal utilisé, l’argent ne sert à rien. D’ailleurs, la perte d’une équipe satellite fin 2022 va dans ce sens ; peut-être que les finances ne sont plus le point fort des monstres japonais.
Lui attribuer un meilleur coéquipier ? À part un Alex Rins désespéré après une année difficile chez LCR Honda malgré une victoire, aujourd’hui, quel jeune talent choisirait Yamaha plutôt qu’Aprilia ou Gresini Ducati ? Personne. Une grande moto pour l’année 2027 ? Son nouveau contrat ne va pas jusque là ! Chez Aprilia ou un autre d’ailleurs (je pense que toutes les options étaient meilleures), il aurait largement eu le temps de se refaire un nom, pour se présenter, à 27 ans, comme un taulier au moment de signer un nouveau contrat. Deux ans, c’est long. Mais deux saisons à la 10e position quand on a 24 printemps, ça l’est encore plus.
Le bon choix pour la firme aux diapasons ?
Un contrat, en MotoGP, lie deux parties. Le pilote et l’équipe. Je suis déjà revenu sur ce que cela engendrait pour Fabio Quartararo hier, alors, penchons-nous aujourd’hui sur le point de vue de Yamaha. Et pour une fois, je suis également surpris et déçu de ce choix. Je ne pense pas qu’il leur soit très bénéfique.
Dans le cas de Zarco, par exemple, j’imaginais que lui prenait une décision étrange, mais que LCR Honda se frottait les mains à l’idée de voir débarquer l’un des six à sept meilleurs pilotes du monde. Mais pour Quartararo, bien qu’il fasse partie du gratin lui aussi, je ne pense pas que son profil colle encore aux besoins de la firme d’Iwata. Certes, c’est un champion du monde, l’un des meilleurs pilotes du monde, et il faudrait être fou pour le refuser ; mais il faut se rendre à l’évidence. Yamaha n’est pas en mesure, à court terme de viser le titre ; le Français lui même l’a avoué en précisant qu’il y avait encore « un long chemin à parcourir ». De ce fait, je ne pense pas que Quartararo, actuellement, soit le pilote idoine sans lui enlever quelconque mérite.
Je m’explique. Depuis son fin 2021, la firme n’a fait que régresser. Certes, Quartararo est toujours capables de fulgurances, possesseur de l’âme d’un champion. Mais est-il celui à qui il faut confier les clés du camion, est-il celui qui instille réellement un esprit de dynamisme, de progression au sein du box Yamaha ? Ce ne sont ici que des questions tout à fait ouvertes et basées sur la courbe de progression de la YZR-M1 ces trois dernières années.
Avec Quartararo en pilote n°1, force est de constater que Yamaha ne progresse plus, et même, régresse. C’était particulièrement frappant l’an passé, quand, en Catalogne, les ingénieurs durent rétropédaler et ressortir un package daté. Dans son annonce de renouvellement, Fabio félicite l’esprit agressif et vangeur démontré cet hiver, mais les deux premières manches du championnat 2024 ne corroborent point son propos. Lui même, il y a une semaine de cela, affirmait être encore trop loin de la tête, se plaignant d’un rythme de course trop lloin des meilleurs. Au Portugal, le dimanche, il prenait une seconde au tour par Jorge Martin, et c’est lui qui a souligné ce fait à l’arrivée en dépit d’une belle septième place.
FABIO IS STAYING WITH US! 💙📣#MonsterYamaha | #MotoGP | #FQ20 | #FabioQuartararo | #ElDiablo | #YamahaFactoryRacing | #RevsYourHeart | @FabioQ20 pic.twitter.com/LQk8aa2GG5
— Monster Energy Yamaha MotoGP (@YamahaMotoGP) April 5, 2024
De mon humble avis, Yamaha, comme Honda, n’a pas besoin d’un performer, d’un pilote qui peut gagner. La moto doit d’abord progresser. Et ce qu’a fait le tandem Quarta/Yamaha depuis 2021 n’encourage pas à féliciter la firme pour son choix osé. L’addition sera d’autant plus salée si le Français ne parvient pas à préparer le terrain comme il se doit pour 2027.
Et Aprilia dans tout ça ?
J’aurai l’occasion de refaire le point sur Aprilia, et les pilotes qu’ils doivent cibler. Mais clairement, selon moi, la firme italienne passe à côté d’une belle occasion. Tous les signaux étaient au vert, et même si l’on exclut la dimension volatile des rumeurs de l’équation, Noale, il me semble, partait en pole position sur le dossier Quartararo, largement devant KTM par exemple.
Il aurait été parfait en pilote de pointe suppléé par Aleix Espargaro, leader incontesté du développement et de la direction à suivre. Aujourd’hui, Aprilia est en partie retenue par son manque de fiabilité, d’une part, mais aussi, par son duo qui a tendance à sous-performer. « El Diablo », qui a l’habitude d’extraire tout le potentiel de la Yamaha – et parfois plus – se serait à mon avis plu dans ce contexte, qui ne l’empêchait pas, deux ans plus tard, encore jeune et frais, de signer ailleurs et même de retrouver la firme aux diapasons.
Oui, remonter la pente avec Yamaha serait un grand accomplissement. Après tout, c’est ce que n’a pas réussi à faire Marc Marquez chez Honda si on prend le problème à l’envers. Mais est-ce là pertinent au vu de son âge et de son talent, sur le papier ? La route sera longue, et ce que nous avons vu toutes ces années durant n’est pas pour nous rassurer quant aux deux prochaines saisons. Une temporalité finalement difficile pour (re)faire de Yamaha une force majeure. Comme pour tous les autres pilotes, j’espère sincèrement qu’il me fera mentir, et qu’il pourra à nouveau briller. Croyez-moi, je serai le premier à l’en féliciter.
Qu’en pensez-vous ? Dites-le moi en commentaires, mais en restant cordiaux : laissons l’histoire se faire car le talent ne disparaît jamais.
Photo : Michelin Motorsport