C’est officiel : Jorge Martín joue le titre MotoGP 2023, au grand dam de Ducati. Alors que l’on pensait à un possible changement de dynamique à Motegi – l’un de ceux auxquels Pecco Bagnaia nous a habitué – l’Espagnol a démontré qu’il en avait encore sous le pied. Pole, deux victoires avec un véritable sentiment d’invincibilité. Même la pluie n’y put rien. Mais sa situation est plus qu’embarrassante pour Ducati, beaucoup plus qu’on ne le pense. Explications.
Faire le bon choix
Ça ne vous aura pas échappé, la firme italienne équipe les deux pilotes en question. Maintenant, le statut d’officiel dont jouit Bagnaia lui donne un avantage certain ; tant au niveau du salaire que de la préférence naturelle de la marque. Considérée comme une « équipe sœur » plutôt que cliente, Pramac Racing n’a pas à jouer le titre comme l’assurait le « Martinator » à l’issue du Grand Prix de Saint-Marin.
Oui mais voilà. Maintenant qu’il est plus proche que jamais, la question se pose nécessairement à Borgo Panigale. On pourrait croire que c’est un détail, que Ducati est gagnant peu importe l’issue. Mais c’est loin d’être le cas. Les sponsors payent cher pour être vus sur la machine d’usine, aussi car elle est favorite au titre. Se faire battre par un client est un affront, ni plus, ni moins. Pour vous prouver à quel point ces questions sont importantes pour les marques, laissez-moi vous conter une histoire.
En Formule 1, lors de la saison 1999, le titre se jouait entre les pilotes Ferrari Michael Schumacher et Eddie Irvine, ainsi que le pilote McLaren Mika Häkkinen. Sauf qu’à mi-saison, au Grand Prix de Grande-Bretagne, Schumi tira tout droit au bout de la ligne droite principale, se blessant lourdement aux jambes. Contraint à plusieurs mois d’absence, il était exclu de cette course au sacre. Cependant, le projet de Jean Todt reposait sur l’Allemand depuis 1996, et pour des raisons commerciales, il fallait que ce soit ce dernier, une superstar déjà double championne du monde chez Benetton, qui remporte le premier titre pilote de la Scuderia depuis 1979. L’Irlandais Eddie Irvine se retrouvait donc seul face à Häkkinen, et faisait bonne figure. Cependant, chez Ferrari, on espérait perdre et que le finlandais soit titré car Schumacher seul devait incarner ce renouveau, pas un Irvine qui avouait préférer la bière à l’entraînement ! Tout cela pour vous dire que l’image est très importante, pour Ducati, comme pour Ferrari à la fin du XXe siècle. Ces scénarios sont étudiés, et ce, depuis le début de saison. Rien n’est laissé au hasard, Pecco Bagnaia doit être couronné pour faire rayonner la marque, les « motos rouges ».
Jorge Martín, Ducati et les consignes d’équipe en MotoGP
Après cette longue introduction, passons maintenant au vif du sujet. Que peut faire Ducati ? La première solution est la plus évidente ; mettre en place des consignes d’équipe. Clairement, dire à Jorge Martín de ne pas attaquer Pecco Bagnaia. Alors que c’est légion en F1 depuis la création du championnat, c’est la fausse bonne idée sur deux roues. Déjà, l’absence d’arrêts aux stands et de communication directe avec les pilotes empêche de dissimuler une stratégie. Ensuite, Jorge Martín est sans doute le dernier pilote qui acceptera de ralentir en cas de consignes sur le panneau. Et puis, troisièmement, c’est extrêmement mal vu car c’est une altération directe du spectacle. Les marques se soucient beaucoup du regard des gens, et c’est l’une des règles du marketing ; pour vendre, mieux vaut avoir une bonne communication qu’un bon produit. C’est pour cette raison que le budget alloué à la com’ sur de nombreux projets, audiovisuels notamment, est plus important que celui dédié au développement et à la production.
Annoncer publiquement la mise en place de consignes serait contre-productif car l’image de Ducati en prendrait un coup. C’est aussi totalement desservir Pecco Bagnaia, qui a définitivement le talent pour s’imposer tout seul, sans aide. Ainsi, la construction de sa légende (dans laquelle son employeur a aussi une grande part de responsabilité) s’en voit entachée, pour de nombreuses années. On se souviendrait toujours de Pecco comme du « faux champion ».
La deuxième solution n’est pas beaucoup plus glorieuse, je vous l’accorde. Il s’agit d’altérer le matériel de Jorge Martín pour qu’il soit moins performant, en secret. Cela peut vous paraître barbare, mais quand l’on voit ce qui est déjà arrivé dans l’histoire des sports mécaniques (en particulier en F1), cela n’aurait rien d’exceptionnel. De plus, on ne peut pas le prouver. Objectivement, c’est une meilleure solution mais elle est très risquée. Si une personne révèle ceci dans plusieurs années, cela pourrait conduire à un passage au Tribunal Arbitral du Sport, et à une lourde amende. Contrairement aux consignes classiques, c’est une tricherie.
Face à ces deux « solutions », vous vous rendez-compte que Ducati est pris au piège.
À part prier…
Je vais être très clair ; Jorge Martín a mis Ducati dans l’embarras, pour ne pas utiliser un terme plus vulgaire. Ceci est la conséquence de plusieurs facteurs ; déjà, de la mise en place de l’E.C.U unique en 2016, qui a rapproché les satellites des usines. Mais aussi, de la politique de Ducati, qui n’hésite pas à équiper du meilleur matériel des jeunes pilotes exceptionnels. C’est un jeu qui s’est avéré payant, mais dangereux.
In the most bizarre of circumstances, @88jorgemartin completes the Motegi double! 🥇🥇
He closes the championship gap to just three points! ⚔️#JapaneseGP 🇯🇵 pic.twitter.com/PNqDXfOgcP
— MotoGP™🏁 (@MotoGP) October 1, 2023
Il n’y a qu’un seul scénario où Ducati sort gagnant ; si Pecco Bagnaia se réveille et parvient à reprendre l’avantage sur le « Martinator », de lui même. Si la firme n’a pas besoin d’intervenir, alors c’est gagné. Mais le problème, c’est qu’à la moindre contre-performance de Jorge Martín, aux moindres qualifications ratées, alors les doutes envahiront la planète moto.
Mais alors, que faire si ce n’est pas le cas et que Jorge continue d’enfoncer le clou ? Rien. Selon moi, il vaut mieux laisser un titre échapper à Bagnaia et largement communiquer dessus quand même (après tout, ça reste une Ducati). Les fans apprécieraient, la marque en sortirait vainqueur sur le plan commercial, et Pecco Bagnaia, grandi. Mais ne croyez-pas que c’est une décision facile à prendre, car les enjeux financiers sont absolument énormes, en plus de l’image.
En tout cas, j’attends particulièrement le dénouement et je ne manquerai pas d’en reparler ! Que feriez-vous à la place des décisionnaires Ducati ? Dites-le moi en commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport