Avant même que vous n’alliez plus loin, je vous le concède : le timing de cet article n’est pas idéal. Mais cette idée m’est venue d’une réflexion simple, car justement, même si Pedro Acosta tombe très régulièrement ces derniers temps, sans même évoquer de sa blessure à Phillip Island, on en parle tout de même plus que Brad Binder. Alors qu’il ne reste plus que trois courses à disputer et que tout le monde a pu prendre la mesure du talent d’Acosta, la question est légitime. Fait-il de l’ombre à Binder ? Pour moi, oui. Je vais tenter de vous convaincre.
En guise de petite introduction, laissez-moi vous dire pourquoi, selon moi, la comparaison se tient. On a tendance à l’oublier, mais Brad Binder, lorsqu’il est arrivé en MotoGP lors de la saison 2020, était aussi considéré comme un génie. Issu de la formation KTM (comme Acosta), il a fait un brillant champion du monde Moto3 (comme Acosta) et s’est retrouvé propulsé dans la plus prestigieuse des catégories toujours chez KTM. Là encore, comme Acosta, mais pas tout à fait. Lui était imputé d’une mission plus difficile encore, car il jouissait du statut de pilote d’usine. Le challenge fut brillamment relevé, car lui, contrairement à Acosta cette fois, s’est imposé dès sa première année, à Brno. Ainsi, cet article compare deux wonderboys assez similaires.
La réalité mathématique
Commençons avec l’argument qui pèse le plus lourd : le classement général. On aura beau retourner la question dans tous les sens ; si on appréhende le contexte de la bonne manière, il est difficile de contredire cet outil. Pour rappel, ils bénéficient de la même machine, à savoir la KTM RC16 dernière génération. Binder la roule depuis 2020, donc, sans discontinuer. C’est assez fou, d’ailleurs, car il n’a jamais manqué une seule course depuis son arrivée en MotoGP.
Quand on se penche sur le classement, force est de constater que Pedro tient la dragée haute à Brad. Avant le début de saison, je vous prévenais de ce phénomène : oui, Binder est un grand pilote, mais il n’a jamais été confronté à un homme de son niveau chez KTM. Miguel Oliveira, qui a connu une saison 2022 plus remarquable à mon sens, n’était certainement pas aussi régulier. Pedro Acosta représente son premier vrai challenge interne, et malgré cette différence d’expérience, le rookie n’a pas à rougir.
À l’heure où ces lignes sont écrites, Binder est devant au championnat en cinquième place, oui, mais d’un rien. Acosta n’a que 11 points de retard, alors qu’il n’a pas terminé la moindre course au Japon comme en Australie. Binder compte seulement un podium, contre quatre pour Acosta, dont des récents. Le pilote Tech3 a quatre top 3 en Sprint contre un seul pour Binder. Acosta s’est même qualifié en pole position au Japon, un exploit que n’a jamais réussi à faire Binder depuis 2020 ! Sans parler des meilleurs tours en course : Acosta en compte deux contre aucun pour Binder.
Clairement, si l’on prend l’ensemble de la saison, qui n’est d’ailleurs pas terminée, je pense que Pedro Acosta est déjà le meilleur pilote chez KTM. S’il revient fort, il pourra viser cette cinquième place qui lui tendait les bras il y a de ça deux courses.
Une différence d’approche
Maintenant, pourquoi Binder ne joue-t-il plus devant comme l’année dernière ? C’est un fait, le Sud-Africain a nettement régressé par rapport à la saison 2023, ou plutôt, il a (re)changé d’approche. Comme en 2022, il a adopté une philosophie beaucoup plus conservatrice, il chute moins, il est un peu plus propre. D’une régularité assez impressionnante, il parvient à se faufiler dans les places qui comptent sans faire le moindre bruit. En effet, les caméras sont souvent braquées sur le top 3, et vu que les courses ne sont pas serrées en 2024, Binder n’est pas souvent sous le feu des projecteurs.
Up seven places! 🚀
Great start to the race from @BradBinder_33 but he loses a position there as he goes wide! #AustralianGP 🇦🇺 pic.twitter.com/vrehoLqMrk
— MotoGP™🏁 (@MotoGP) October 20, 2024
Acosta, comme tout rookie qui se respecte, se donne à fond. Il risque moins que Binder, en un sens, car c’est son année d’apprentissage. S’il doit tomber, essayer, faire parler son génie de la manière la plus pure, c’est maintenant. Les deux approches se respectent et ont fait leurs preuves dans l’histoire. Mais dans le MotoGP moderne, les conservateurs comme l’est redevenu Binder n’ont plus la cote. D’ailleurs, cela s’en ressent au classement : il était beaucoup mieux placé l’année dernière. Acosta, pourtant 11 points derrière, est plus offensif, et donc, plus présent que Binder dans le paysage MotoGP. Sur ce point, il l’éclipse au sens premier du terme, c’est à n’en pas douter. Et si une stratégie est payante, c’est bien celle d’Acosta, comme le prouvent les champions du monde depuis 2021 et les quatre principaux animateurs de ce championnat 2024. L’époque réclame de la flamboyance.
Un pilote d’usine satellite
Dernier argument en faveur de Pedro Acosta : son poids chez KTM. Un détail m’a toujours frustré avec Brad Binder. Je ne sais pas si c’est de la timidité ou de la crainte envers les médias, mais c’est assurément l’un des pilotes les moins loquaces de toute la grille. Chacune de ses interventions est lisse, sans grande saveur, et peu informative par dessus le marché. Cela ne veut pas dire que c’est la même chose avec ses ingénieurs ; je ne remets pas en question son statut de pilote d’usine largement mérité. Mais être officiel, c’est aussi incarner la marque, dans les médias comme sur les réseaux sociaux. Pedro Acosta est fait pour ça. Chaque fois qu’il prend la parole, ça fait mouche.
Et cela semble aussi se traduire derrière les épais rideaux de chez Tech3. Hervé Poncharal déclarait récemment qu’il était celui qui « indiquait très clairement la direction à suivre pour l’année prochaine », alors qu’il n’est encore qu’un pilote satellite ! Rarement avons-nous entendu pareilles éloges à l’égard de Brad Binder, qui, soit dit en passant, n’a pas encore fait passer KTM dans la dimension Ducati malgré ses cinq saisons d’exercice.
Un pilote d’usine doit incarner l’ambition, non pas d’une équipe, mais d’une marque toute entière. Il doit avoir les épaules pour supporter les questions les plus acerbes en conférence de presse. Il doit aussi avoir une sensibilité technique, en plus, bien sûr, d’être un excellent pilote. Je pense que Pedro Acosta coche toutes les cases, alors que Brad Binder, d’un point de vue objectif, ne semble pas aussi affirmé en tant qu’officiel. L’année prochaine, le pilote n°1 chez KTM pourrait bien être espagnol.
Je suis curieux de savoir ce que vous en pensez. Êtes-vous d’accord avec moi ? Dites-le moi en commentaires !
Photo de couverture : KTM