Quelle performance démentielle de Jorge Martín à Misano. L’Espagnol n’a laissé aucune chance à la concurrence, le samedi matin comme l’après-midi, puis le dimanche. Il réalise ici sa deuxième performance-référence de l’année après le Sachsenring. À l’heure où ces lignes sont écrites, il pointe à 36 points du leader Pecco Bagnaia. Il sera difficile de rattraper l’officiel Ducati au général, mais le « Martinator » a le droit de rêver. Analyse complète d’un coup de maître.
Showstopper
Ne vous-y trompez pas ; le titre de cette partie ne fait pas référence à une certaine mission dans un obscur palais parisien. Ce terme fréquemment utilisé par les analystes américains n’a pas d’équivalent en français, mais c’est le plus adapté pour décrire Jorge Martín en tant que pilote. Un showstopper, dans ce contexte, est un pilote qui peut mettre fin au spectacle en un éclair. Souvent, dans le football, on parle de « climatisation » quand un équipe marque contre le cours du jeu, souvent, à l’extérieur. Tout le monde y croit, puis en fait, non.
C’est exactement ce qu’il s’est passé en qualifications à Misano. Oui, on connaît la vélocité de Marco Bezzecchi sur un tour, elle est loin d’être ridicule. De plus, il joue à la maison, dans l’antre de la VR46, un circuit qu’il connaît comme sa poche – la différence entre les pilotes de l’académie et le reste dans le troisième secteur, précisément, était impressionnante. Oui, Pecco Bagnaia est blessé, mais il n’en reste pas moins l’un des pilotes les plus rapides de tous les temps. Oui, l’Aprilia est de retour parmi l’élite après un début de saison délicat. Oui, mais en fait, non. 1’30.390, Bezzecchi à quatre dixièmes. C’est terminé, tout le monde peut remballer.
Sa capacité à éteindre une qualif’ est unique. Lui et Pecco Bagnaia, dans une moindre mesure, peuvent aligner deux tours parfaits en deux runs sans commettre la moindre erreur. Comme s’ils le réalisaient sur commande, exactement comme en Formule 1. Nous l’avions déjà constaté l’an dernier, lorsque le « Martinator » enchaînait les poles sur la fin de saison, et son tour du samedi nous le confirme. Il est à part, et cela eut un rôle majeur dans ses deux victoires.
Jorge Martín est imprenable
En digne descendant de Jorge Lorenzo, il est absolument injouable quand les planètes s’alignent. Comme avec « Por Fuera », cela a ses limites, mais quand ça fonctionne, c’est difficile pour la concurrence. Notez qu’il a mené tous les tours des deux courses, sans fautes. Seul un Pecco Bagnaia à 100 % peut rivaliser, et d’ailleurs, les deux ont des profils très similaires. Ils sont les seuls à pouvoir dominer à ce point toute une manche, à jouir d’une telle régularité sur un Grand Prix, mais aussi, à dépasser de manière clinique. En effet, même si nous n’avons pas eu l’occasion de le voir à Misano, l’un comme l’autre sont excellents en bagarre et possèdent un grand sens du dépassement, un talent qui se perd à l’heure des blockpass à outrance. Revoyez l’extérieur de Bagnaia sur Bezzecchi au départ du Sprint pour vous en convaincre.
De fait, il est impossible de battre un pilote aussi rapide, explosif, régulier, et intelligent. Quand Jorge Lorenzo s’envolait, même les plus naturellement doués à l’image de Casey Stoner ou Marc Márquez ne pouvaient le contenir ; ce Jorge Martín donne une impression similaire. Celle du « pilote parfait », sans défaut. Dès vendredi, il exprimait clairement ses envies de victoire ; il savait qu’il pouvait aller sous les 1’31 (barre qu’il franchit largement). Comme le confiait son team manager Gino Borsoi, cette assurance lui manque encore trop souvent mais gardons à l’esprit qu’il n’a que 25 ans. Si elle se manifeste plus fréquemment et qu’elle nourrit son image de superstar, alors il pourrait, sans problème, devenir un danger pour la catégorie.
La clé du championnat MotoGP 2023
Si vous revenez au titre de cet article, vous noterez l’adjectif démonstratif « ce ». Cela ne fait aucun doute ; un Jorge Martín comme à Misano est un pilote « titrable ». Mais faut-il pouvoir réitérer de tels exploits. Pecco Bagnaia, encore 36 points devant, a déjà été au moins aussi bon à quatre reprises cette saison. Nous pensons au Portugal, à Jerez (la plus grande performance de l’année pour l’instant, selon nous), à l’Italie ainsi qu’à l’Autriche. La question décisive est la suivante : Jorge Martín peut-il se transcender plus souvent que Bagnaia ? Là est la clé du championnat.
Nous pensons que non, car ses coups de maître sont encore trop épisodiques. Il ne faut plus dire : « sera-t-il plus régulier que Bagnaia ? » mais plutôt « sera-t-il plus souvent devant Bagnaia ? ». Tel est l’enseignement principal de cette analyse ; le MotoGP moderne se moque des trop nombreux abandons, il faut gagner. Pour s’en persuader, il y a juste à étudier les profils des cinq premiers au général pour constater l’absence d’épiciers. Ou juste, calculer la moyenne de points par course des champions du monde depuis 2020 et la comparer avec celle d’il y a 15 ans.
En soi, ça n’est qu’un pari lié à un point de vue argumenté ! N’hésitez pas à nous dire le votre en commentaires, nous serons heureux d’en discuter.
Photo de couverture : Michelin Motorsport