Quel sera le profil du champion du monde dans cinq,
voire dix ans ? C’est la question que nous posons
aujourd’hui, dans ce nouvel épisode. Voyez-y là un exercice de
pensée basé sur des arguments plutôt qu’un pronostic sérieux :
Évidemment, 2030 est encore loin et qui sait à quoi
ressemblera le monde d’ici là.
Tous les sports mécaniques tendent vers le spectacle abordable, qui
répond aux nouvelles normes fixées par les réseaux sociaux. Selon
des études très sérieuses, notre temps d’attention est en chute
libre. Cette donnée a bien été comprise par les
« marketeux », qui privilégient des formats courts pour
promouvoir leur produit, sur des plateformes comme
TikTok par exemple. Quel est le rapport
avec le MotoGP, me direz-vous ?
En réalité, les organisations sportives ont déjà compris cela. En
football, l’idée de matchs plus courts pour coller aux attentes
« des jeunes » a déjà été avancée par Florentino
Pérez, président du Real Madrid. Les
sports mécaniques n’échappent pas à la règle : la durée d’un
Grand Prix de Formule 1 a considérablement diminué, et
l’introduction des courses sprint va bien évidemment dans ce sens.
Nul besoin de vous rappeler qu’en 2023, DORNA testera les sprint à
la sauce MotoGP.
Le but de tout cela est simple. Créer des temps
forts courts (alors que les Grands Prix motos étaient déjà
l’une des formules sportives les plus brèves sur terre, tous sports
confondus, seulement 45 minutes pour une manche), pour
faire accrocher le spectateur de bout en bout, et se servir de
l’action ainsi créée pour faire la publicité de la discipline.
Attention : Nous ne blâmons aucunement DORNA pour cela même si nous
avons déjà dit ce que nous pensions de ce nouveau format.
C’est une décision logique, dans le « sens de
l’histoire ».
Ainsi, le champion du futur devra étinceler sur des
périodes courtes, et donc, cela passe par la vitesse intrinsèque,
l’explosivité et tout ce qui est en rapport avec la vélocité
(poles, rythmes de course insoutenables). Il s’agira de sa
plus grande qualité, en sacrifiant la régularité. La sécurité
évoluera encore, et dans quelques années, le risque d’une chute qui
compromet une saison sera quasi-nul. Pas que les blessures
n’existeront plus, mais la peur des blessures sera bien moins
importante.
D’ailleurs, cette transition est déjà entamée.
Bagnaia est l’exemple le plus probant. En 2022, il
chutait, puis gagnait, puis rechutait, puis regagnait. Sa confiance
n’était aucunement altérée par ses chutes, elles ne représentaient
plus un « avertissement » comme c’était le cas auparavant. Marc Márquez n’y est pas pour rien
: c’est lui qui introduisit ce style empreint d’outrecuidance, pas
du tout partagé par un Valentino Rossi ou un
Jorge Lorenzo, qui se sont calmés après de
gros volumes.
Côté pilotage pur, il sera létal, dans la lignée d’un
Lorenzo. L’électronique est amenée à « aider »
davantage les pilotes, et nul doute qu’ils mettront à profit ces
progrès pour fluidifier leur style, le simplifier. C’est peut-être
un pari osé, mais nous pensons que les profils comme
Márquez ou Stoner vont totalement
disparaître. Ils sont trop propres à ces génies, et dépendent trop
de leur époque. Impossible, ou presque, de les dupliquer, et à
l’heure où ces lignes sont écrites, aucun engagé ne semble adopter
cette philosophie radicale. En revanche, Jorge Lorenzo avait un
temps d’avance. Son style naturellement rapide, porté par un énorme
Q.I. de la course ainsi qu’une régularité folle est repris par les
meilleurs. Vous pouvez aisément voir du « Por
Fuera » en Bagnaia, Quartararo et Martín.
Finalement, qui, aujourd’hui, incarne le pilote du
futur ? Plus ou moins ceux cités ci-dessus.
Martín, s’il n’a pas encore totalement explosé,
est l’archétype parfait de ce que DORNA voudrait voir au sommet. Il
est jeune (une dimension importante dans une catégorie à fort taux
de renouvellement), explosif, doté d’une culture des réseaux
sociaux, rapide, même s’il chute. Tout ce qu’il faut.
Bagnaia, Quartararo et
Bastianini (un cas un peu hybride) seront les
grands gagnants de cette mutation, au moins dans un futur proche.
Difficile de prévoir, pour l’instant, la percée d’un
Bezzecchi ou autre, qui, lui aussi, dispose d’un fort potentiel.
Tout le monde ne peut pas gagner.
Quels seront les grands perdants ? Même si ça nous fait mal de
le dire, certains profils ont déjà disparu des grilles. Nous
pensons à ceux qui, pour le moment, ne sont pas en mesure de
réaliser des coups d’éclats si essentiels pour leur survie au plus
haut niveau, mais qui délivrent des saisons très solides. Ce fut le
cas de
Bradley Smith par le passé, et de nos jours,
Luca Marini semble avoir pris ce rôle. Déjà en
2022, une ou deux bonnes performances par saison et rien à côté
semblaient valoir plus qu’une campagne d’apprentissage honnête sur
une machine inférieure. Malheureusement, nous voyons ce phénomène
s’amplifier dans les prochaines années, soit tendre vers le modèle
Formule 1. Difficile d’accabler quelqu’un dans l’histoire,
car le client reste le roi du marché, et les grandes marques
s’adaptent simplement à la demande. Nous sommes
particulièrement curieux de voir comment tout cela va évoluer avec
la société.
Qui voyez-vous dominer dans cinq ans ? Le sport moto va-t-il
radicalement se transformer ? Dites-le nous en
commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport