Cette fin de saison révèle un pilote que l’on avait
rétrogradé au second plan. Pourtant, Jack
Miller, officiel Ducati, ne fera plus partie de l’escadron
l’an prochain. KTM, constructeur moins coté, s’est attribué ses
services en espérant passer un cap. Est-ce là une bonne
décision de la part de Ducati ?
I) Un cas très complexe
Deux faits pourtant liés sont à dissocier : relâcher
Miller, et faire monter
Bastianini. Aujourd’hui, nous n’allons pas étudier en
profondeur la décision de promouvoir Enea, mais
uniquement celle de laisser Jack à
KTM. Et en réalité, le choix de Ducati sur le plan
purement analytique est relativement difficile à comprendre. Avant
de donner notre avis, une mise en contexte est nécessaire.
Pour en saisir la complexité, nous devons d’abord nous questionner
sur le rôle d’un pilote d’usine. Certes, l’officiel doit
développer, essayer les pièces. Nous avons tous déjà entendu cette
explication. Certains, comme Shinichi
Itoh dans les années 1990, se sont d’ailleurs
illustrés de cette manière. Mais le plus important reste la
performance pure, la vitesse, la capacité de réaliser des coups
d’éclats. Depuis 2016 et l’ère de l’E.C.U
unique, la régularité n’est plus aussi importante
qu’avant car le nombre de points nécessaire pour être champion a
grandement diminué.
Si, depuis la création des sports mécaniques, les équipes de
deux ont toujours un privilégié, la Formule 1 moderne
nécessitait un hybride, un n°2 capable de jouer le n°1 quand il le
faut. S’il existe une pléthore d’exemples sur quatre
roues, nous pouvons évoquer Colin Edwards,
coéquipier de Valentino Rossi lors de ses
premières années Yamaha, clair second mais capable de jouer des
podiums. Ce phénomène s’est largement démocratisé en F1, mais reste
assez peu populaire en MotoGP.
Depuis 2013, une autre tendance a pointé le bout de son nez, mais
qui, en y pensant, suit la logique et respecte le sens de
l’histoire. Quand Suzuki développait la
RG500,
les pilotes de la fin des seventies disposaient tous d’une machine
compétitive. Puis, les équipes d’usine sont franchement passées
devant, et, comme nous l’avons mentionné à l’instant, des pilotes
« n°1,5 » ont fait leur apparition. Les
motos ont été développées en faveur d’un seul homme, en
l’occurrence, Marc Márquez. Quitte à
« sacrifier » les autres pilotes de la
marque, laissés avec une machine imprégnée d’une philosophie
singulière, pensée par un génie et à laquelle il est difficile de
s’adapter.
Cette stratégie est risquée mais payante en sports mécaniques,
alors qu’elle va finalement contre l’esprit de la course. Certes,
Honda peine énormément depuis la blessure de Marc à Jerez
en 2020. Mais pensez-vous un instant que la marque ailée
troquerait six titres pilotes contre une moto plus
polyvalente maintenant ? Yamaha et
Aprilia respectent, depuis plus récemment, le même
schéma avec un monstrueux Fabio en fer de lance et
un Aleix tantôt pilote tantôt développeur depuis
2017.
II) Un choix irraisonné à notre époque ?
Cette longue introduction nous donne désormais plus d’outils pour
appréhender le cas Miller. En disant au revoir à
« Jackass », Ducati se passe d’un des
meilleurs pilotes n°2 du plateau. Bagnaia est le clair
leader, ça ne fait aucun doute. Mais le choix de la firme
Italienne est étrange car Miller est parfait dans son rôle :
il dispose d’une bonne vitesse de pointe, juste assez pour bien se
qualifier mais pas trop pour inquiéter Pecco. Sa
force mentale est encore bonne, et Jack peut remporter deux, trois
voire quatre courses dans l’année sans trop de problèmes, ses
capacités sur le mouillé sont excellentes et son adaptation aux
circuits est correcte. Miller peut mener en solitaire, mais est
également à l’aise en paquet, ne commet pas trop d’erreurs en
bataille et prend des bons départs sans être le meilleur dans tous
ces domaines. De plus, et même si nous n’avons pas accès aux
informations en interne, l’Australien semble être intégré à la
famille Ducati et sa relation avec le reste des pilotes de la
marque ne posent, a priori, aucun problème.
Miller est bon en tout, et c’est sa polyvalence qui fait de
lui le coéquipier parfait. Son seul défaut majeur, sa
régularité au fil d’une saison, est atténué par le fait que depuis
2016, tous les pilotes ou presque sont atteints de ce syndrome.
III) Pourquoi donc Ducati et Miller se séparent-ils
?
Honnêtement, nous n’avons pas trouvé d’explications, tout du moins
sur le plan de la raison et des résultats uniquement. Miller, sans
être dans le top cinq des meilleurs « performers » du moment, fait
un très bon travail. Mais le plus surprenant reste la promotion de
Bastianini. Cette décision est tout à fait anachronique,
mais tellement belle.
Anachronique, tout d’abord, car il est rarissime, de nos jours, de voir évoluer deux top pilotes dans une équipe d’usine. Cela rappelle les saisons 2013 à 2015 chez Yamaha et le terrifiant combo Lorenzo/Rossi. Ce genre de team est amené à disparaître car il n’y a pas de clair n°2 et cela laisse la porte grande ouverte aux conflits en interne comme au partage des points.
Ensuite, beau, car tellement audacieux de la part de Ducati. Avoir les deux pilotes les plus rapides du monde sous les mêmes couleurs et dotés de la meilleure moto n’était plus arrivé depuis que Yamaha avait assemblé son équipe de rêve en 2009 et 2010. L’avantage d’un duo comme celui-ci est aussi son inconvénient. C’est très simple : les deux sont rapides, et aucun ne veut jouer le second, donc ça chauffe. La relation Lorenzo/Rossi a exposé le phénomène, et tout le monde a en tête les fameuses joutes verbales. Étonnement, l’on se rappelle moins des deux titres pilotes consécutifs.
Conclusion :
La question est complexe, mais difficile de justifier un tel choix, tant Miller est un « pilote n°1,5 » parfait, sans doute le meilleur sur la grille. En faisant monter Bastianini, nous verrons à coup sûr une équipe tonitruante, magnifique, mais moins dans l’ère du temps. Et honnêtement, ce n’est pas pour nous déplaire.
Que pensez-vous de cette (longue) analyse ? N’hésitez pas à nous le dire dans les commentaires, tous serons lus et débattus !
Photo : Michelin Motorsport