Dans le cadre de mon 400e article, j’ai décidé de
revenir sur un problème latent qui touche l’écosystème
MotoGP. En effet, nous allons évoquer un sujet jamais
discuté jusqu’alors : le renouvellement de l’environnement
en Grands Prix.
I) Qu’est ce que c’est ?
Le renouvellement de l’écosystème est un sujet qui touche tous les
sports professionnels, sans exception. Pour faire simple, il s’agit
de l’ensemble des moyens mis en œuvre par les organisateurs (à
travers les règlements) afin de maintenir un environnement cohérent
et compétitif sur le long terme. En football, le système de ligues
permet une rotation des équipes dans les divisions les plus cotées.
Le phénomène de relégation/promotion est de mise en Europe, y
compris en sports mécaniques pour les pilotes. Aux États-Unis,
c’est différent. Les équipes sont franchisées et une fois crées, ne
peuvent plus être délogées à moins d’un retrait volontaire. Le
système de « draft » compense en injectant tous les ans
de nouveaux talents.
Bref, il existe différentes manières de maintenir durablement la
compétition au sein d’une ligue ou d’un championnat, dans le but
d’éviter toute domination outrancière. Ici, nous n’allons pas
discuter de cet équilibre précieux liés aux entités participantes,
et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’histoire des sports
mécaniques est empreinte de domination liée aux constructeurs.
L’activité coûte très cher, et « personne ne peut
empêcher quiconque de dépenser son argent ».
Deuxièmement, DORNA a très largement œuvré à cela depuis
l’introduction
des CRT/Open, puis de l’ECU unique en 2016. Rappelons
que nous avons eu quatre constructeurs différents titrés au
championnat pilotes sur ces quatre dernières années, un nouveau
record. Les concessions et les différentes aides permettent aux
plus petites équipes de rivaliser avec les plus gros budgets.
II) Mais alors, quel est le problème ?
Qui, dans les faits, fait évoluer cet environnement ? Les pilotes.
Et un énorme changement a lieu de ce point de vue. C’est de cela
que nous allons parler. Le fait que KTM se sépare d’un
champion Moto2 un an après son accession en catégorie reine est
problématique, peu importe son résultat. C’est presque
impossible à croire, mais il y a trop de pilotes excellents en
Grands Prix. Si c’est une bonne chose pour le spectacle, cela
pourrait bien devenir un souci à long terme. Explications.
Tout part, une fois de plus, de 2016 et de l’introduction de
l’électronique standardisée. Désormais, tous, ou
presque, peuvent jouer le podium. Nous avions, dès 2016, neuf
pilotes vainqueurs différents, record égalé en 2020. Cette année,
pas moins de 14 pilotes sont montés sur la boite, répartis sur les
six marques qui occupent la grille.
En Moto2, le futur de la MotoGP, on pousse fort. Rien que cette
saison,
Augusto Fernández, Celestino
Vietti, Ai Ogura, Alonso
López et Tony Arbolino ont crevé l’écran
sans parler du prodige Pedro Acosta. Les jeunes
sont de plus en plus forts, et la grille MotoGP a un nombre de
places limité. Vous imaginez bien le problème que cela pose. Dans
les faits, la transition est déjà entamée. Pour preuve, l’âge moyen
de la catégorie reine ne fait que diminuer et, sans que l’on puisse
rien y faire, continuera à baisser dans les prochaines années.
Alors, oui, nous sommes contents de voir une poignée de jeunes
loups se disputer la victoire dès leur première et deuxième année,
chose impossible à imaginer il y a 10 ans.
Mais comment va-t-on faire pour maîtriser cette nouvelle
vague ? Jusqu’à maintenant, l’environnement était
plutôt stable mais le cas Gardner nous alerte. Sa saison, aussi
poussive soit-elle, n’était que sa première en MotoGP. Raúl
Fernández aussi connut des déboires. Mais c’est tout à
fait normal, surtout sur une machine si récalcitrante. En début
d’année, nous interrogions le niveau de cette cuvée de rookie, mais
nous avons aussi été victimes de l’illusion. Non,
Jorge Martín n’est pas « normal », pas plus
que Bastianini, Brad Binder ou
Fabio Quartararo.
Les rookies et autres juniors (dans leur deuxième année) sont
d’une vitesse folle et n’ont quasiment aucun défaut sur des motos
toujours plus véloces, stables et aiguisées.
Pourquoi est-on si dur avec Jorge Martín ? Il n’a même
pas 35 Grands Prix dans les pattes, mais devrait jouer le podium au
championnat, alors qu’il compte déjà neuf poles et une vitesse
ahurissante. Encore heureux qu’il fasse des erreurs ! C’est la même
chose pour les autres pilotes cités précédemment, qui ont été forts
dès leur arrivée.
III) Pourquoi c’est dangereux
En réalité, DORNA ne peut pas faire grand-chose pour contrecarrer
le talent des jeunes. En revanche, des mesures peuvent être prises
pour éviter de se rapprocher, une fois de plus, du modèle à l’œuvre
en Formule 1. Car c’est là que nous
voulons en venir. Aujourd’hui, Remy
Gardner ne trouve pas de guidon en MotoGP. Demain,
exclurons-nous Augusto Fernández en plein milieu
de saison pour le remplacer par un Pedro Acosta,
et ainsi de suite ? Si Bastianini n’arrive pas à
tenir la dragée haute à Bagnaia, sera-t-il
rétrogradé chez Pramac au bout d’un an pour faire monter un Martín
ou un autre pilote encore plus jeune, encore plus rapide
? Si un autre est champion du monde Moto2 mais sans
briller comme Acosta ou Gardner,
sera-t-il recalé en catégorie reine comme l’est souvent le champion
du monde Formule 2 ?
Les programmes affiliés (KTM/Ajo, Pramac/Ducati
Corse) sont en partie « responsables » de ces
agissements, exactement comme en Formule 1. KTM cultive ses talents
depuis la Moto3, mais en dispose de plus qu’ils n’en ont besoin.
Attention ! Cela n’est pas nouveau, et il n’était pas rare de
voir Honda Repsol (en particulier) et même Yamaha signer des géants
avant qu’ils n’arrivent à maturité. Malgré tout, le
phénomène est aujourd’hui plus répandu.
Tout cela signifie que si vous n’êtes pas capables de jouer le
podium même lors de votre deuxième année, alors votre place est
compromise. Le fait que le talent de Johann Zarco
soit parfois remis en cause par les fans est caractéristique de
l’évolution des mentalités. Dans les faits, le Français est
toujours très bon malgré sa fin de saison en demi-teinte et
évidemment, il a sa place en MotoGP.
Mais cela suffira-t-il face à Acosta,
Arbolino, ou un nouveau génie dont nous n’avons
pas encore connaissance ? Espérons que le modèle Formule 1,
avec tout ce qu’il comporte (ruptures de contrats abusives,
promotion et relégation dans l’équipe sœur en milieu de saison,
carrières parrainées depuis l’âge de quatre ans) ne se
manifeste pas, car c’est aujourd’hui l’un des points faibles de ce
sport.
Conclusion :
Trouver des solutions est assez périlleux car une fois la boîte de
Pandore ouverte, difficile de faire machine arrière.
Contrôler la fertilité d’une telle organisation,
quasi-culturelle dans certaines contrées, est de facto
impossible, le talent existe et doit s’exprimer.
Cependant, avant l’ECU unique, il était normal pour un rookie de
galérer, et parfois, il pouvait réaliser un coup d’éclat, puis
espérer signer dans une équipe plus performante et cette fois jouer
la gagne. Repasser à un modèle plus coûteux est sans doute trop
dangereux pour l’équilibre des marques cette fois, mais nous
pourrions facilement imaginer une différence plus marquée entre les
équipes d’usine et les satellites. Les jeunes n’ont plus droit à
l’erreur. Le cas de Fabio Di Giannantonio est
criant, lui qui a déclaré ne pas prendre autant de plaisir que
prévu et subir une saison finalement difficile alors qu’il n’en est
rien, il apprend.
En tout cas, c’est un point important à surveiller dans les
prochaines années. Que pensez-vous de l’épineuse
question ? Dites-le nous en commentaires.
Pour ma part, je veux encore vous remercier, ainsi que
votre indéfectible soutien concernant cette rubrique. C’est un
véritable plaisir d’écrire ces articles, et c’est encore plus
plaisant d’en lire les commentaires.
Photo de couverture : Michelin Motorsport