Oui, la monde est penché sur la bataille pour le titre entre Pecco Bagnaia et Jorge Martín, et oui, c’est tout à fait logique. Mais aujourd’hui, « Parlons MotoGP » désire se concentrer sur l’un des plus grands exploits du XXIe siècle, synonyme d’ère moderne de la catégorie reine ; une course maîtrisée d’une main de maître par un pilote aussi flamboyant qu’anecdotique. J’ai nommé : Fabio Di Giannantonio, le héros du désert. Retour sur la performance d’une vie.
Pardon
Premièrement, je voudrais m’excuser. Après le Grand Prix d’Indonésie, qu’il l’avait, en quelque sorte, révélé, j’avais publié une analyse s’intitulant « Le rêve d’un homme s’éteint ». J’avais beau retourner le problème dans tous les sens, oser les comparaisons avec les autres pilotes, mais je ne voyais pas comment Fabio Di Giannantonio pouvait oser espérer conserver sa place sur la grille MotoGP. Ainsi, cette quatrième place acquise à Mandalika scellait, en quelque sorte, son rêve. Il a toujours été très vocal sur ce que les Grands Prix représentaient pour lui, jusqu’à presque craquer, sur son compte Instagram, fin 2022.
Et puis, il ne s’agissait « que » d’une quatrième place. Pour rappel, depuis 2016 et l’introduction de l’ECU unique, il n’est pas rare de voir treize à seize pilotes différents monter sur la boîte. Donc un tel accomplissement, au bout de deux années au plus haut niveau avec une machine dominante, ne justifiait pas un renouvellement. Puis, il y eut ce podium en Australie. Mais là encore, toujours en le félicitant chaleureusement, je ne voyais pas comment il pouvait faire mieux, frapper encore plus fort. L’histoire nous l’avait déjà appris : la vérité de Phillip Island, avec sa météo atypique et ses batailles serrées, n’est pas toujours celle du reste de la saison.
Puis, il délivra un bijou au Qatar. Et là, je n’ai rien d’autre à faire que de me taire. Je n’ai aucun mal à le reconnaître ; je m’étais trompé sur son cas, je ne le pensais pas capable de réaliser l’une des meilleures performances que j’ai eu l’occasion de voir.
Samedi ET dimanche
J’insiste bien sur la trame chronologique. Beaucoup, à raison, vont retenir la course du dimanche comme la référence de « Diggia » en carrière. Mais tout son week-end est absolument invraisemblable. Premièrement, il partait deuxième. Certes, il avait déjà réalisé une pole position au Mugello en 2022, mais sous la pluie. Puis, lors du Sprint, il tint la dragée haute aux meilleurs pilotes du monde, et notamment, à Jorge Martín. On l’a vu tenter, proactif, en confiance, porté par la passion. Du grand art. Finalement, il est deuxième à moins d’une demi-seconde sur la ligne. À bien des égards, ce Sprint est encore plus impressionnant que le Grand Prix dominical, même si c’est celui-ci que l’on retiendra.
MAMMA MIA DIGGIAAAAAAAAAA ❤️❤️❤️❤️❤️❤️ pic.twitter.com/V5QxYGoNZw
— Gresini Racing (@GresiniRacing) November 19, 2023
Car face à Pecco Bagnaia, le meilleur pilote du monde, il n’a pas rougi. Même, il a été meilleur, dans tous les compartiments. Il s’est d’abord rapproché, non sans avoir fait des dépassements de grande classe, puis, a étudié, et finalement, a dépassé. Il était plus rapide, il n’y avait rien à faire. Consignes ou pas, il a eu raison de les ignorer et recommencerait s’il le fallait. Encore une belle illustration du momentum ; au moment où on l’a vu s’approcher de l’officiel Ducati pour la première fois, on savait qu’il allait au bout. C’était grand.
Bien sûr, il doit rester en MotoGP
La partie précédente avait un but clair ; vous aider à réaliser qu’il n’est pas un « vainqueur par hasard », comme c’est parfois arrivé dans l’histoire. Tous les succès ne se valent pas. Certes, il n’a pas été très bon lors de sa première saison et demie au plus haut niveau. Oui, mais à ce stade, et au vu des faibles écarts, un simple réglage peut tout changer. Regardez Jorge Lorenzo en 2018, du moment où il fut suffisamment à l’aise sur la Desmosedici.
De toute manière, c’est la seule théorie. Car jamais je n’avais vu un pilote aussi moyen se transformer de cette manière en si peu de temps, jusqu’à faire la nique aux deux premiers du championnat sur tout un week-end. Selon moi, le fait de se voir lâcher par Gresini, son équipe de toujours, et en plus, de manière légitime, a été un électrochoc. Simplement, à quand remonte une telle performance d’un pilote hors du top 5 au classement de la saison en cours ? Miguel Oliveira en Thaïlande l’an passé ? Peut-être, mais il pleuvait, et il n’avait pas été brillant en qualifications. Álex Rins en Australie lors de l’exercice 2022, ou à Austin cette saison ? Elles étaient belles, oui, mais plus spontanés, moins construits. Ici, pendant trois jours, Fabio Di Giannantonio faisait partie du gratin, il n’est pas arrivé sans que personne ne s’y attende.
Et pourtant, malgré toutes les louanges, il y a un monde où ce dernier n’est pas présent en MotoGP l’an prochain. En Moto2, Fermín Aldeguer pousse fort et vient d’ailleurs de gagner pour la troisième fois consécutive. Mooney VR46 Racing Team lorgne sur lui, alors que Luca Marini devrait débarquer chez Honda Repsol dans quelques semaines. Il y a trois jours à peine « Uccio » Salucci, ami de Valentino Rossi, a déclaré ne pas tant s’intéresser à « Di Gia » et jeter son dévolu sur un talent du Moto2. Aïe. Mais il reste une possibilité.
L’air du proche orient réussit aux audacieux
Sauf que dans son malheur – le fait de se réveiller si tard dans sa carrière, Fabio Di Giannantonio a de la chance ; Honda Repsol patauge. Alberto Puig, très peu inspiré sur l’ensemble de ses recrutements depuis 2018, n’a toujours pas de titulaire pour 2024 alors que la saison commence officieusement dans une semaine ! La plus grande équipe de l’histoire de notre sport est dans les cordes, et cela pourrait profiter à Di Giannantonio.
La situation me rappelle énormément celle de Sergio Pérez fin 2020 en Formule 1. Sans contrat à quelques courses de la fin, une victoire XXL à Bahreïn lui permit de rebondir in extremis chez Red Bull Racing, l’une des meilleures équipes du plateau. Il faisait nuit, et les deux pays sont très similaires, en plus d’être proches géographiquement. Les deux étaient des outsiders sans victoires auparavant, et les deux étaient au pied du mur. Mais pourtant, cela s’est débloqué pour le Mexicain.
Certes, il y a une différence de taille entre les deux larrons ; l’un avait Telcel comme sponsor personnel, le plus grand opérateur téléphonique du Mexique. Mais de manière générale, il est très improbable qu’une équipe MotoGP ou Formule 1 omette un pilote vainqueur de l’équation. Maintenant qu’il a remporté une course avec la manière, comment Mooney VR46 pourrait préférer Aldeguer à Di Giannantonio ? En trois jours, tout a changé.
Alors, selon-vous, la VR46 (ou Honda Repsol, encore plus fou) doit-elle se concentrer sur l’Italien ? Dites-le nous en commentaires ! En tout cas, j’en profite pour féliciter de nouveau Di Giannantonio, héros du Qatar. Un pays qui réussit bien à Gresini, et nul doute que Fausto, vingt mois plus tard, est toujours aussi fier.
Photo de couverture : Michelin Motorsport