Il y a quelques jours de cela, une rumeur pour le moins intéressante pointait le bout de son nez. Jorge Martín, « retenu » chez Ducati Pramac, pourrait signer avec l’équipe officielle Yamaha en 2024. Mais qui a le plus à gagner ? Aujourd’hui, penchons-nous sur ce potentiel transfert, en analysant la question des deux côtés.

I) Yamaha n’en demande pas tant

Du point de vue de Yamaha, évidemment que c’est une bonne piste. Jorge Martín fait assurément partie des six à huit meilleurs pilotes du monde, et surtout, sa marge de progression est énorme. Comme nous l’avons étudié par le passé, il ne faut pas se laisser berner par son mauvais rendement et son irrégularité. Dans une ère qui récompense plus la vitesse que n’importe quel autre attribut, Martín est un privilégié.

De toute évidence, Franco Morbidelli va devoir quitter la firme d’Iwata, à moins d’un miracle. Sa saison 2022 était plus que décevante, mais nous n’allons pas tirer sur l’ambulance, surtout quand celle-ci a déjà deux pneus crevés. Dans le cas où il ne retrouverait pas sa forme de 2020, il y a de grandes chances pour que Franky dise « au revoir » à la structure officielle, nous ne vous apprenons rien. Ainsi, avoir le pouvoir de remplacer Morbidelli par Martín est presque une aubaine, Yamaha n’aurait pu rêver mieux. Si l’on devait classer les pilotes en fonction de leur « valeur » intrinsèque, prenant en compte la forme, le potentiel (ce que les américains appellent « valuable ») et l’impact qu’ils ont sur le sport, le « Martinator » n’est pas loin du sommet. Seuls Bastianini, Bagnaia, Quartararo seraient devant si l’on devait imaginer un classement pour le titre de Most Valuable Rider (pilote le plus impactant), basé d’après le modèle Américain.

 

Si Morbidelli revient en 2023, il s’agira d’une des plus belles histoires du MotoGP moderne. Photo : Michelin Motorsport


Mais n’est-ce pas dangereux d’associer Martín et Quartararo ensemble ? Finalement, il s’agit de deux jeunes très déterminés, rapides, aux profils différents. En vérité, l’assemblage d’un duo dynamique, ou power duo, est souvent payant à l’échelle de l’histoire des sports mécaniques,. Alors, certes, parfois l’entente n’est pas cordiale, mais contrairement à une croyance populaire, il n’est pas nécessaire que l’ambiance soit au beau fixe dans une équipe pour performer, et ce, peu importe le sport. Comment ne pas évoquer la relation Lorenzo – Rossi de 2008 à 2010, puis de 2013 à 2016. Dotés de forts égos, les deux officiels Yamaha n’arrivaient pas à s’accommoder et en sont même venus au clash à de nombreuses reprises, lors de leur première relation, mais aussi pendant la deuxième. Pourtant, l’on compte finalement quatre titres pilotes et une dynastie qui a marqué notre discipline.

Du côté de Yamaha, pas de problème. D’ailleurs, il faut sauter sur l’occasion si elle se présente.

II) Un dilemme pour Jorge Martín

À vrai dire, tout dépend du pilote. Jorge fait face à un véritable dilemme. D’un côté, avoir l’opportunité d’être pilote d’usine pour l’institution Yamaha, mais avec de grosses inconnues quant à la performance de son matériel. De l’autre, bénéficier de la meilleure machine du plateau, mais évoluer dans l’ombre des officiels.

Selon nous, un scénario est clairement plus risqué que l’autre, et nous allons l’illustrer avec un exemple simple, car croyez-le où non, la situation s’est déjà produite par le passé. Ne nous voilons pas la face, Martín a sans doute en travers la promotion de Bastianini, alors qu’il pouvait lui aussi légitimement prétendre à ce guidon, au moins au moment de la signature. Ensuite, l’écart avec Enea s’est considérablement accru. Nul doute que l’envie d’être pilote d’usine, au devant de la scène, trotte dans l’esprit d’un compétiteur comme le « Martinator ». De ce point de vue, Yamaha semble la porte de sortie idéale… Sauf que selon nous, cela ne vaut pas le coup. Voici pourquoi.

 

L’Intrépide. Photo : Michelin Motorsport


Tout d’abord, Yamaha n’est plus l’institution qu’elle était. Par la passé, personne n’aurait osé refuser un transfert chez les bleus, tout comme chez Honda. Pourtant, la dynamique s’est considérablement inversée depuis l’introduction de l’ECU unique, et a fortiori depuis 2021. Les Européens ont le vent en poupe, et leurs projets respectifs sont, selon nous, bien plus attractifs. En 2023, il est possible de dire « non » à Repsol Honda sans avoir à en rougir. L’aura institutionnelle des japonais n’est plus, soyons honnêtes.

Deuxièmement, car Fabio est déjà le maître à bord. Même si Jorge Martin fait une excellente saison 2023, il ne sera jamais que le numéro deux chez Yamaha. Pour l’instant, il n’a remporté « qu’une » seule course et gâche plus d’occasions qu’il n’en transforme. Quartararo porte le projet depuis 2021, et il est difficile d’imaginer Yamaha sacrifier son développement pour un pilote à haut potentiel, certes, mais de facto moins sûr. Ainsi, il faut d’abord que Martín passe un cap pour prétendre à une bonne place chez Yamaha. Et ce n’est pas gagné.

Troisièmement, parce qu’un pilote exceptionnel sur des machines privées, qui voulait passer dans une équipe d’usine quitte à appliquer une certaine pression sur son employeur, avec beaucoup de charisme, ne vous rappelle rien ? Cal Crutchlow est déjà passé par là. Sensationnel chez Tech3 en 2013 (Martín devra s’accrocher pour faire de même en 2023), Crutchlow en voulait davantage : Il désirait plus de gratitude de la part de l’usine Yamaha. Devant le manque d’opportunités, il signa chez Ducati pour un gros chèque. L’Anglais était enfin pilote officiel et l’on sentait ce désir de reconnaissance (qui est loin d’être un défaut). Mais l’expérience tourna au vinaigre. Dès 2015, on le retrouvait chez LCR Honda, qui était bien en dessous de Tech3.

Conclusion :

Il est préférable d’être numéro trois chez Ducati plutôt que numéro deux chez Yamaha. Si la marque japonaise peut s’améliorer la saison prochaine, nous n’imaginons pas un seul instant Ducati dégringoler en seulement une demi-saison, période où Martín pourrait prétendre à signer ailleurs. Certes, il sera difficile pour lui de jouer le titre, car Ducati préférera ses officiels, et c’est bien normal. Ceci n’est sans doute pas facile à digérer. Mais l’Espagnol est encore loin du sacre, et à 24 ans seulement, il est dans une excellente posture. Avec un salaire et une machine digne d’un pilote d’usine, nous pensons qu’il est trop tôt pour accepter un challenge comme celui-ci et ce peu importe le déroulement de la saison à venir. S’il continue sur cette lancée, il aura d’autres opportunités aussi, voire plus alléchantes dans le futur, c’est certain.

Que pensez-vous de la question ? Le « Martinator » doit-il risquer son confort pour une place dans une équipe d’usine ? Dites-le nous en commentaires !

 

Oui, nous ne sommes pas prêts de voir un pilote satellite champion du monde, mais de toute manière, le « Martinator » en est encore loin, à l’heure où ces lignes sont écrites. Photo : Michelin Motorsport

 

Photo de couverture : Michelin Motorsport