Ne vous inquiétez pas, je reviendrai ultérieurement sur son transfert chez Aprilia. Celui-ci mérite une analyse complète et détaillée, mais il y a le temps pour s’y pencher d’ici le prochain Grand Prix. C’est la première fois cette saison que l’on voit Jorge Martin commettre une erreur. Voire, plusieurs. Sur les deux courses, il n’a jamais été en mesure de ralentir Pecco Bagnaia, ni même d’entraver sa domination. C’est rare que ça se passe ainsi, et globalement, il semblait un peu moins incisif, aiguisé que d’habitude. Ça fait beaucoup d’informations, alors, qu’en tirer ?
Rendre à César ce qui lui appartient
Le Grand Prix d’Italie n’était pas raté pour Jorge Martin, qu’on se le dise. Déjà, le samedi, il a de nouveau brillé lors des qualifications pour aller chercher sa troisième pole de la saison. Encore une fois, un temps éclair qui cimente sa place parmi les meilleurs de l’histoire sur cet exercice. Maintenant, passons aux courses, et c’est là que le bât blesse. Déjà, pendant le Sprint, il ne put absolument rien faire face à un Pecco Bagnaia des grands jours. Il se dirigeait vers un nouveau podium sur le format court quand il commit une erreur dans San Donato, alors qu’il ne nous y avait pas habitué. Tenez-vous bien : il n’avait jamais manqué le top 3 d’un Sprint depuis celui du Grand Prix de Catalogne en 2023 (5e), et n’en avait jamais abandonné un seul depuis la création de cette course supplémentaire début 2023 (25 consécutifs) !
C’est donc une première, qui fait mal pour une raison simple ; en plus de laisser s’échapper quelques points, il relance ainsi l’appétence de Bagnaia pour ce format, bien qu’il ne pouvait rien faire pour le rattraper sur la piste. Martin n’est plus invincible le samedi. D’ailleurs, sur le début de la saison 2023, Bagnaia était meilleur que lui sur le format court, c’est un fait. Est-ce donc un revirement de situation ? Probablement pas, mais rien que le fait de pouvoir poser la question marque une différence notable par rapport au bilan de la semaine dernière.
Concernant l’accident avec Bastianini ; pour moi, la faute est davantage à celui qui tente le dépassement et qui vient se replacer sur la trajectoire, plutôt que sur le dépassé qui élargit. La première erreur de jugement est à mettre sur le compte de Bastianini. Mais bon, les commissaires ont statué sur un fait de course, et je suis d’accord. Rien à dire.
Battu
Puis, lors d’un Grand Prix assez calme finalement, il n’y avait rien à faire. Même la petite erreur de Bagnaia à trois tours de la fin ne lui permit pas de recoller, et pire, son rythme a encore baissé juste après. Il n’était pas en capacité de répondre, jamais. Dès le deuxième virage, c’était plié. J’aurais eu envie de l’accabler car c’est vrai qu’il laisse la porte ouverte à Bagnaia dans le virage n°2, mais en vérité, cela n’aurait fait que retarder l’ultime estocade pour la victoire.
En revanche, la perte de la deuxième place dans le dernier tournant, elle, est très dommageable. Déjà, elle permet à Bastianini de se relancer à domicile, car il s’est fait battre par son véritable rival, celui avec qui il a le plus souvent été en concurrence dans la hiérarchie Ducati. Mais surtout, c’est la manière qui pose question. Jorge Martin a laissé la porte ouverte dans un virage où il est déjà nécessaire d’élargir. Je pense que Bastianini n’en demandait pas tant, lui qui n’a même pas eu à forcer quoi que ce soit ; c’est presque ça le plus dingue. Certes, c’était osé mais tout à fait cordial.
THAT last-lap overtake from @Bestia23 🤯🤯🤯#ItalianGP 🇮🇹 pic.twitter.com/O8Qt6qaV12
— MotoGP™🏁 (@MotoGP) June 2, 2024
Il ne s’y attendait sûrement pas, et c’est d’autant plus étrange qu’il est l’un des pilotes avec la meilleure intelligence de course, couplée à un grand sens du dépassement. Fermer la porte à l’entrée était l’assurance d’une deuxième place, car contrairement à Jorge Lorenzo en 2016, les deux bénéficiaient plus ou moins de la même machine, donc, de la même traction en sortie de virage là où « Por Fuera » était parvenu, grâce aux qualités de sa YZR-M1, à conserver une vitesse folle en plus d’une excellente poussée. L’aspiration n’aurait jamais suffi jusqu’à la ligne, on a pu le constater tout le week-end.
Une mentalité inédite ?
Quelque chose me fascine avec Jorge Martin. Qu’il chute, qu’il se fasse battre ou qu’il gagne, il apparaît toujours souriant, comme si le MotoGP le touchait moins que d’autres – à l’image d’un Bagnaia dégoûté sur le podium au Mans. Je ne le critique aucunement pour ça, mais la manière dont il plaisante toujours avec les autres dans la pièce préparée pour les trois hommes du podium, ou alors, son langage corporel dans le parc fermé, m’interpellent. Pourquoi ? Car cela tranche avec son personnage de rockstar, son allure de beau-gosse, son visage de bad-boy. Son pilotage est l’expression même de ce paradoxe, car bien qu’il soit diablement rapide et explosif, il reste souvent très propre avec ses concurrents.
C’est bien de pouvoir se détacher de la situation, car c’est aussi grâce à cela qu’il revient toujours après un gros échec (sa victoire en Thaïlande après deux grosses désillusions en Indonésie et en Australie l’an passé le prouvent). La dynamique l’impacte pas, ou peu. Mais dans le même temps, je pense que le manque de grinta assumée lui a coûté le titre en 2023 : il a attendu le dernier GP pour faire un semblant d’intimidation psychologique sur Bagnaia, une arme qu’il aurait pu (dû?) utiliser bien avant, et qui est légion dans d’autres disciplines.
Ce dernier point n’était que spéculatif, et finalement, je pense qu’il n’y a pas une seule et unique manière d’entrer dans la légende. Jorge Martin en prend le chemin. Mais je voulais tout de même en parler car l’évolution de son personnage pourrait être intéressante au fil des années.
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Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.
Photo de couverture : Michelin Motorsport