Installez vous confortablement pour ce nouveau volet de « Parlons MotoGP ». Aujourd’hui, nous allons revenir en long, en large, et en travers sur l’accident du virage n°1 en Catalogne. Cinq pilotes sont partis au tapis, pour un blessé, en la personne d’Enea Bastianini. Qu’en penser ? Faut-il changer les règles du MotoGP pour tenter de limiter ces carnages ? Voici tout ce que nous en pensons, sous plusieurs angles.
Qui est responsable ?
C’est triste, mais le premier point de cette analyse se devine aisément. Cette fois, la réponse est évidente ; Enea Bastianini a justement été jugé coupable de ce strike, et d’ailleurs, la décision n’a pas fait débat. L’Italien arrivait bien trop à l’intérieur pour ne pas rencontrer un autre pilote sur sa trajectoire, et ne pouvait faire autrement que de percuter de plein fouet ses adversaires. Sa responsabilité a aussi été appuyée par Johann Zarco, autre victime, précisant qu’« il a fait de la merde ». Bastianini essuie une nouvelle blessure au pire moment de la saison, au vu du rythme auquel vont s’enchaîner les Grands Prix sur cette fin d’exercice 2023.
Une pénalité justifiée ?
Selon nous, oui. L’incident est similaire à celui que nous avons vécu il y a deux semaines, en Autriche. Un pilote est optimiste et tente de s’engouffrer à l’intérieur, initie le contact avec d’autres, qui eux, tournent pour prendre le virage. Le contact sur Johann Zarco puis Álex Márquez est dur, mais sans qu’Enea Bastianini perde totalement le contrôle de sa machine. Ainsi, si cette percussion est similaire à celle de Jorge Martín sur Fabio Quartararo en Autriche, elle n’est pas aussi perpendiculaire, sèche, et hors de la trajectoire que le découpage de Miguel Oliveira par Marc Márquez au Portugal. Pour rappel, il est essentiel de juger l’acte et non la conséquence, peu importe le nombre de pilotes à terre.
Dès lors, nous pensons que le long lap de pénalité à purger dès son retour est suffisant. De plus, la décision a été prise rapidement, ce qui était l’une de nos demandes après le Grand Prix d’Autriche, que nous – et de nombreux pilotes – avions qualifié de mal géré par la direction de course. Quand les commissaires sportifs prennent des décisions en dépit du bon sens, nous le soulignons, mais il faut également féliciter leur efficacité quand celle-ci est avérée.
Parlons MotoGP ou Parlons philosophie ?
Voici la raison pour laquelle nous désirions faire cet article.
Comme après chaque événement de ce genre, les commentaires ne
tardent pas : « Qu’attend la DORNA pour
réagir » a-t-on pu lire ici et là sur internet. Ces
réactions sont tout à fait légitimes, et d’ailleurs, de nombreux
pilotes, les principaux concernés, partagent cet avis. Après la
course, un témoignage sortait du lot ; celui de Miguel
Oliveira. « La seule chose qui pourrait être faite pour
améliorer la situation est d’interdire les dispositifs qui
influencent la hauteur de la moto. Il faut freiner très fort et
très tard pour désactiver cette aide au démarrage. Mais
comme nous débutons avec de faibles pressions d’air, le pneu n’est
pas encore prêt à supporter de telles charges »
disait-il.
Comme d’habitude, ses commentaires sont pertinents mais pourtant,
il n’a qu’à moitié raison.
Depuis tragique Paris-Madrid 1903, épreuve automobile qui coûta la vie à plus de dix personnes dont le célèbre Marcel Renault, on cherche toujours des responsables aux accidents pourtant inhérents aux sports mécaniques. C’est difficile à entendre, mais c’est pourtant la froide vérité. Les pilotes continueront, quoi qu’il arrive, à vouloir être devant dans les premiers virages. Après 2016 et l’introduction de l’ECU unique, tous, ou presque, peuvent jouer le podium. Ainsi, il est parfaitement normal que ceux qui partent du fond de grille tentent de se projeter le plus rapidement possible pour bien se placer.
Que l’on change les pneus, l’aéro, le holeshot device, la distance séparant la ligne de départ et le premier virage (idée émise par Loris Baz il y a peu) ou même, les pilotes, les accidents de ce type arriveront toujours, parce que c’est la course. Vouloir altérer une dimension intrinsèque aux sports mécaniques et a fortiori aux sports motocyclistes n’est pas la solution. C’est malheureux, mais c’est ainsi. Même sans holeshot device et avec plus de pression dans les pneus, Enea Bastianini « n’aurait pas pu tourner au vu de l’angle avec lequel il arrivait dans le virage » comme le soulignait très justement Álex Márquez. Sinon, quoi, mettrons-nous bientôt des lignes au sol pour que les pilotes restent dans un couloir avant d’arriver au premier freinage ?
Bien sûr, nous pouvons essayer de trouver des explications rationnelles à chacun de ces accidents, car ils sont, de fait, plus nombreux cette année. Pour notre part, nous misons sur deux éléments distincts. D’abord, le bouleversement de la hiérarchie en MotoGP. Cette saison, particulièrement, de nombreux pilotes ne sont pas à leurs places, ou ne disposent pas d’un matériel en adéquation avec leur talent. Dès lors, ils tentent de compenser en attaquant outre-mesure, notamment au départ, le moment où il est le plus opportun pour grappiller des positions. C’est pourquoi Enea Bastianini a tenté cette manœuvre, lui qui avait écopé, de surcroît, de trois places de pénalité sur la grille. Ce fut aussi le cas de Marc Márquez au Portugal, et, dans une autre mesure, lors des qualifications en Allemagne, ou de Takaaki Nakagami en Argentine.
La deuxième théorie est plus philosophique. Depuis la fin du IVe siècle avant J.-C, mais plus précisément – et concisément – depuis le Ier siècle, les stoïciens enseignent que certains événements surviennent, et qu’il est parfaitement futile que de chercher une explication pour chacun d’entre eux ; mais aussi, d’avoir une opinion sur ceux-ci. Que l’on soit d’accord avec les principes chers à l’école du Portique ou plutôt épicurien, cette notion trouve de nombreuses applications en sports mécaniques. Certains faits ne s’expliquent pas, ne se contrôlent pas, des saisons sont marquées par des chutes, parfois mortelles, d’autres, non. L’imprévisibilité et le danger composent l’essence de notre sport préféré, entre autres dimensions. Pourquoi Enea Bastianini a-t-il pris l’intérieur de cette façon en Catalogne et pas d’une autre ? Parce qu’il était là pour remplir son rôle. Cela ne l’excuse point, sa culpabilité est avérée. Mais il est inutile de chercher plus loin, et surtout, de vouloir changer l’âme d’un sport parce que «Bestia » joua en accord avec l’esprit de la discipline, et donc, de l’ordre des choses.
Qu’en pensez-vous ? Dites-le nous en commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport