« Je suis un petit peu déçu. On s’attendait à beaucoup mieux, notamment sur la vitesse. » Tels étaient les mots forts employés par le champion du monde MotoGP 2021 à l’issue des premiers tests de post-saison. Cette année déjà, la Yamaha YZR-M1 n’était certainement pas au niveau de sa rivale italienne, et cela joua nécessairement un rôle dans la course au titre. Mais Fabio Quartararo a-t-il le choix ? Une analyse s’impose.
Avant de répondre à la principale interrogation, nous devons préciser le propos en préambule. Afin de comprendre les enjeux de cet article, nous vous recommandons la lecture de celui publié hier à la même heure. Vous pouvez le retrouver en cliquant sur cette phrase en surbrillance.
I) Les conséquences directes de « l’effet Marc Márquez »
L’effet Márquez est simple à comprendre. Avant, les pilotes orientaient les ingénieurs dans leurs recherches, afin de créer une machine globalement compétitive. Ainsi, les deux au sein d’une même équipe étaient globalement performants. Nous pouvons citer, dans l’ère 800cc (2007-2011), trois exemples différents. Premièrement, le trio Honda Repsol composé de Casey Stoner, Andrea Dovizioso et Dani Pedrosa. Tous les trois bénéficiaient d’un bon package et pouvaient s’illustrer de temps en temps. Deuxièmement, la paire Rossi/Hayden, sur Ducati. Là encore, et bien que les résultats n’étaient pas exceptionnels, le duo se contentait d’une machine similaire. Troisièmement, une paire déséquilibrée, Lorenzo/Spies, mais où les deux pouvaient faire des coups d’éclats, seulement séparés par le talent.
Puis, Marc Márquez est arrivé. Dès lors, la philosophie a changé. Son style de pilotage si unique et dévastateur conduisit Honda à développer une machine pour le génie espagnol, et non plus pour une équipe. Le « tous pour un », depuis longtemps utilisé en Formule 1, ne s’était jamais autant affirmé dans la MotoGP moderne. Seul problème : la stratégie a fonctionné. En résulta six titres pilotes et une domination sans partage.
II) L’ECU unique, encore lui
Nous parlons souvent de l’électronique standardisée, car c’est sans doute la plus grande altération que connut le mondial depuis son avènement en 1949. Depuis 2016, toutes les équipes peuvent jouer un top 5 sur une course.
Alors, comment se démarquer ? Est-il encore possible de dominer le sport ? Pour répondre à ces deux questions, nous devons évoquer le renouvellement de l’écosystème en Grands Prix. Pour faire simple, étant donné que tous les pilotes sont rapides et peuvent prétendre au podium, on cherche constamment la perle rare, un pilote encore plus jeune, véloce et incisif. Mais il y en a tellement. Encore cette année en Moto2, au moins cinq larrons différents se sont illustrés et ont montré à la planète MotoGP qu’il faudra compter sur eux dans les années à venir. L’âge moyen en catégorie reine ne fait que diminuer, et les jeunes loups ont de moins en moins la possibilité de se rater.
Maintenant que le décor est posé, qu’en est-il de Fabio Quartararo ?
III) Piégé ?
Pour appréhender au mieux la situation d’« El diablo », il faut revenir à la question précédente : Comment se démarquer dans un environnement aussi homogène ? Deux solutions permettent de profiter de la fertilité des catégories inférieures.
Premièrement, vous pouvez miser sur des programmes affiliés, comme KTM ou Ducati. Avec les équipes Ajo et Pramac, entre autres, les deux firmes ont de quoi voir venir. Pour Ducati, c’est encore plus marqué, car ils ont la meilleure machine du plateau. Ainsi, vous pouvez vous permettre de créer des « super teams » Bastianini/Bagnaia et d’avoir encore Jorge Martín et Marco Bezzecchi sous le coude.
Deuxièmement, créer des « combos » machine/pilote. Si vous n’avez pas la force de frappe de l’adversaire et que vous devez gagner rapidement, alors il faut s’inspirer du modèle démocratisé par Marc Márquez. Privilégier un pilote. C’est ce qu’a choisi Yamaha. Ainsi, vous profitez du renouvellement rapide de la grille en mettant toutes vos billes sur un jeune, en espérant que ça marche. Après tout, ça l’a fait pour Honda, alors pourquoi pas pour vous ?
IV) Stratégie risquée
L’année prochaine, seul Ducati Corse n’appliquera pas cette philosophie. Maverick Viñales ne s’en sort pas trop mal sur l’Aprilia, mais l’on sent bien que c’est Aleix Espargaró qui donne le « la ». Honda, malgré trois années mitigées en raison de l’absence de Márquez (le gros défaut de cette stratégie), n’en démord pas et persiste avec son poulain, qui dispose d’une machine bien différente de ses coéquipiers. KTM a choisi Brad Binder et a remplacé Miguel Oliveira par Jack Miller, un deuxième pilote parfait qui saura épauler le Sud-Africain.
C’est pour cette raison que Quartararo devra faire avec. Malgré son immense talent, aucune équipe d’usine ne peut se permettre de changer radicalement son approche et de tout recommencer avec le français, ou un autre d’ailleurs. Même pour Marc Márquez, pilote le plus coté du monde, il serait en réalité difficile de trouver un autre guidon d’importance qui lui assurerait d’être performant instantanément.
La grille est quelque peu bouchée, comme en Formule 1. Chez Ducati, ce sont les seuls à préférer miser sur une machine exceptionnelle, qu’ils ont développé avec de nombreux échecs depuis fin 2013, et pouvant accueillir plus ou moins n’importe quel pilote. Mais si Bastianini n’y arrive pas et ne se montre pas à la hauteur de son coéquipier, il y a de fortes chances pour que Bagnaia devienne le clair leader de la marque dans les années à venir. Et il est impossible pour la firme de Borgo Panigale de prendre le risque de faire venir Quartararo à ses côtés.
Conclusion :
Malgré les déboires et le coup de pression après Valence, Quartararo n’a d’autres choix que de faire avec. Lui même sait, sans doute, qu’il ne pourra pas trouver de meilleure situation ailleurs. Comme en Formule 1, le renouvellement rapide de la grille va déboucher sur des contrats de plus en plus longs, afin de confiner ces talents sur lesquels on a misé le développement d’une seule machine sur des années.
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Photo de couverture : Michelin Motorsport