Chaque saison, les marques européennes se montrent de
plus en plus redoutables. Assiste-t-on a un véritablement
changement en MotoGP ? Alors que la saison 2023 approche à grands
pas, nous vous présentons dix sujets à surveiller tout au long de
l’année. Cela peut concerner des pilotes, des équipes ou d’autres
thématiques, avec, à chaque fois, un avis relativement tranché :
Ici, on se mouille. Bien sûr, vous êtes invités à
dire ce que vous en pensez en commentaires.
Avant-hier,
nous sommes revenus sur le cas d’Álex Rins, une analyse que vous
pouvez retrouver en cliquant sur cette phrase en
surbrillance.
Pour bien comprendre, un petit retour en arrière s’impose.
Depuis leur arrivée dans les années 1960, les
constructeurs japonais ont plus ou moins dominé les Grands Prix
motos. On leur doit l’apparition de grandes nouveautés, et même, le
recrutement osé de stars européennes à l’image de
Giacomo Agostini avec Yamaha. Finalement, en quelques
années, le Japon s’est installé durablement comme le pays n°1 en
sports motos, jusqu’à nos jours. Que ce soit avec
Honda, Yamaha,
Suzuki ou encore Kawasaki en
petites catégories, ils ont gagné partout où ils sont passés.
Au fil du temps, ces équipes sont devenues de véritables
institutions caractérisées par l’innovation, le progrès et la
performance pure. Honda, Yamaha et Suzuki écœuraient les Européens
qui ne rivalisaient plus avec ces gigantesques entreprises. Les
succès à répétition ont engendré la naissance d’une vraie passion
pour la moto sur l’archipel à la fin des années 1980. Au
milieu des années 1990, les grilles étaient peuplées de Japonais
tous aussi forts les uns que les autres.
Les titre constructeurs et pilotes de Ducati en 2007 n’y
changèrent rien, Honda et Yamaha étaient encore les deux
équipes fortes avec des officiels mais aussi des pilotes satellites
aux avant-postes. Mais depuis quelques années, c’est le
néant. En tout et pour tout, on compte deux voire trois
japonais aux avant-postes toutes catégories confondues, et les
constructeurs sont à la peine face aux Européens désormais plus
nombreux. Est-ce que cela va continuer en 2023 et dans les
prochaines années ? Selon nous, oui.
Quand ce phénomène s’est-il vérifié ? C’est
difficile à dater précisément, mais nous sommes certains que la
réglementation de 2016 y a joué pour beaucoup, même si ce n’est pas
le seul facteur comme nous le verrons dans quelques instants.
DORNA, peinée par la domination des équipes d’usine (de fait
japonaises), introduisit un E.C.U. unique afin de resserrer les
rangs.
Une décision que nous avons longuement détaillée dans d’autres
articles. Courir en MotoGP coûtait beaucoup moins cher
et comme c’est toujours le cas en sports mécaniques, la diminution
des budgets se traduisit par une percée des constructeurs
innovants. L’innovation est généralement forcée par la
sévérité du règlement.
Mais les Japonais n’ont pas surfé sur cette vague et se sont
reposés sur leurs lauriers, soit leurs pilotes talentueux. Le
meilleur exemple n’est autre que Marc Márquez avec
Honda. Accrochez-vous : depuis 2016, seuls quatre pilotes ont
remporté au moins une course avec une RC213V : Jack
Miller, Cal Crutchlow, Dani
Pedrosa et bien sûr, le sextuple champion du monde MotoGP.
En 2022, trois pilotes différents se sont imposés au guidon de la
Desmosedici.
Pourquoi donc les constructeurs japonais n’ont pas répondu à ce
moment là ? Après tout, et bien que Ducati
appartienne au groupe Volkswagen, les moyens ne
manquent pas chez Honda. Tout simplement parce que
les performances des nippons en Grands Prix sont le reflet du
déclassement du pays tout entier, un phénomène que nous,
occidentaux, avons du mal à appréhender.
Il faut savoir que la situation est gravissime au
Japon. Outre le problème majeur lié à la faible natalité,
l’industrie principalement composée d’immenses conglomérats est en
train de s’effondrer. L’économie japonaise est régie par les fameux
Keiretsu, ces ensembles d’entreprises présentes dans
différents domaines d’activité (Kawasaki, Honda,
Mitsubishi…). Autrefois glorieuses, ces dernières sont en
chute libre et posent de multiples problèmes. Premièrement, elles
n’innovent plus. Les firmes comme Sharp,
Sony, Toshiba,
Hitachi, Panasonic et autres sont
nulle part sur leurs marchés respectifs. Les entreprises
américaines et sud-coréennes sont passées devant.
Comme un Français résidant actuellement au Japon nous l’a
confié, il semblerait que ces entreprises poussiéreuses soient
restées bloquées à l’âge d’or de l’industrie japonaise. Ils
ont beaucoup innové il y a quelques décennies, et n’ont pas ce
réflexe très américain de poursuivre en ce sens afin de rester au
sommet de la pyramide. Deuxièmement, la présence de ces
mastodontes en perte de vitesse empêche des petits industriels
ingénieux de se lancer.
Revenons-en aux Grands Prix motos. Depuis 2016, il
est possible pour une « petite » équipe
comme Aprilia de rivaliser avec Honda ou Yamaha. Le vieux continent
est empreint de cette « tradition
garagiste », qui valorise l’innovation à petite
échelle. Dans ce contexte, ces derniers sont gagnants, et sont
amenés à l’être encore davantage. Voici notre pari sur
l’avenir.
Logiquement, le sport devrait changer considérablement dans les
prochaines années. Comme
on l’a expliqué dans une précédente analyse,
DORNA ne peut plus se permettre de laisser une
marque dominer dans une ère où le grand public se lasse aussi
facilement. Les Européens sont infiniment plus à même de gagner
cette bataille future.
Un autre point est particulièrement marquant : le manque
d’ambition. C’est sans doute une conséquence de ce que
nous avons étudié jusqu’ici. On a l’impression que
Honda et Yamaha n’en veulent pas
autant que Ducati ou Aprilia (qui
ont apporté des solutions aérodynamiques radicales). C’est visible
en posant le regard sur les motos, mais pas que. Les
recrutements et la gestion des programmes sportifs font
peur.
Un de ces indicateurs est la nomination de Joan
Mir chez Honda Repsol, entre autres. Ce
n’est pas un mauvais pilote, mais aux côtés de Marc Márquez,
pourquoi ne pas faire un pari osé : Ai Ogura ou
Raúl Fernández auraient pu faire l’affaire quitte
à rouler une machine difficile avec un besoin de se
renouveler, d’apporter de la fraîcheur. Idem pour Yamaha,
qui laisse filer Valentino Rossi monter son équipe
satellite avec Ducati, jusqu’à ne plus en avoir en
2023 ! Sans parler des incessantes défaites de Honda face à
KTM en Moto3, ou de la
demande formulée à Kalex pour un châssis… affaire à
suivre.
En conclusion, nous imaginons des Japonais encore sur le déclin en
2023, mais maintenus en vie par deux talents immenses,
Fabio Quartararo et Marc Márquez.
Il faudra garder un œil sur ce phénomène inquiétant, car bien
qu’aucune équipe ne soit là pour toujours, la perte de Honda et/ou
Yamaha en plus de celle de Suzuki pourrait bien
mettre à mal l’équilibre du championnat MotoGP.
Que pensez-vous de cette épineuse question ? Dites-le
nous en commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport