C’en est trop. En Allemagne, encore une fois, les pilotes se sont attendus en qualification, et cela a mené à un imbroglio complet sur une séance autrefois haletante jusqu’au bout. Cette saison 2024 est marquée par ce phénomène qui doit cesser, pour le bien des trois catégories. Analyse.
De pire en pire
Depuis début 2023 et l’introduction des Sprints, la séance de qualification revêt d’une importance de premier plan. L’un des grands enjeux du week-end est d’abord de passer en Q2, puis, d’avoir la meilleure place au départ car une grande partie de la course se joue dans les premiers virages.
Le fait que les pilotes veulent une roue n’est pas nouveau. D’ailleurs, Hector Barbera en son temps était un spécialiste de cette discipline. Mais désormais, c’est le festival à chaque session qualificative. Ils s’attendent, s’arrêtent presque sur la piste, parfois au ralenti sur la trajectoire – comme Stefan Bradl au Sachsenring), se percutent (comme Jorge Martin et Raul Fernandez à Assen), tout ça pour bénéficier d’un avantage assez incertain. En plus de rendre la séance dangereuse au possible, cela décrédibilise un tant soit peu ceux qui semblent incapables de faire un tour par eux-mêmes.
D’un point de vue totalement extérieur, et en m’appuyant sur des exemples historiques, je ne vois pas trop l’avantage qu’il y a, sur les pentes du Sachsenring plus qu’ailleurs, à vouloir désespérément une roue. J’imagine un gain potentiel au Mugello, à Austin ou au Qatar, là où de grandes lignes droites profitent à ceux qui bénéficient d’une aspiration. De mémoire d’homme, cela a toujours été le cas sur ces tracés, mais depuis deux ans, c’est partout, tout le temps !
Apparemment, ça aide d’avoir une référence plus rapide devant soi. Par ailleurs, cela devrait suffire à contredire ceux qui rabâchent les prétendus dommages de « l’air sale » à longueur de temps. Mais pourtant, dans les faits, beaucoup de tentatives se terminent par le ralentissement soudain de celui qui est en tête de file, et qui en a marre, légitimement, de servir de lièvre à tout le monde. Les deux pilotes les plus rapides, Pecco Bagnaia et Jorge Martin, font la majorité de leurs tours seuls, sans la moindre aide forcée.
Un changement de mentalité ?
D’où cela vient-il, et comment cela a-t-il évolué au fil du temps ? Depuis une paire d’années maintenant, s’attendre est devenu monnaie courante en Moto3. Les pénalités pleuvent tous les week-ends car il y a un réel avantage, à vitesse moins élevée, à avoir quelqu’un devant soi. Le phénomène d’aspiration n’est que plus important pour les jeunes loups qui, en plus, disposent presque tous du même matériel. Ainsi, les pilotes Moto3 ont toujours cherché à grappiller quelques millièmes de la sorte.
En MotoGP, c’est devenu la même chose. Sauf qu’avant, comme le rappelait très justement Simon Crafar pour le site officiel MotoGP, les pilotes qui refusaient qu’on les suive étaient respectés. Non, c’était non. Ces principes de gentlemen sont désormais balayés. Pour preuve, Pecco Bagnaia qui quitte son box, mais qui est contraint de s’arrêter dans la pit-lane quelques mètres plus tard, voyant l’essaim de concurrents sortis juste derrière lui en Allemagne. Mais alors, peut-on simplement attribuer ce changement de mentalité à l’introduction des Sprints ? Pas tout à fait.
Très personnellement, je pense que Marc Marquez a eu un rôle immense dans la démocratisation de cette pratique. Depuis courant 2021 – quand il était là, il évoluait avec une Honda RC213V sous-performante. Mais Marquez étant Marquez, il voulait toujours chercher des bons résultats ; ça, on ne peut pas lui reprocher. Dès lors, il s’est mis à suivre les meilleurs pilotes, mais à un point qui dépassait l’entendement. Il accompagnait à quelques dizaines de centimètres, ce qui donnait l’impression aux autres que ça relevait de la provocation. Plusieurs se sont énervés – je pense à Joan Mir et Pecco Bagnaia, entre autres, et c’est parfois allé au contact tant il était près des favoris pour bénéficier d’une roue – rappelez-vous de cette touchette grotesque avec Enea Bastianini aux Pays-Bas l’an dernier.
Il se défendait en disant qu’il ne pouvait pas faire autrement s’il désirait une bonne place au départ. D’ailleurs, de mémoire, c’est comme ça qu’il décrocha sa dernière pole en MotoGP à compter de ce jour, au Portugal l’an passé.
Qu’en penser ?
C’est assez délicat, car tout le monde aura son avis sur la question. Puisque vous êtes familiers avec l’essence de cette chronique, je vais vous donner le mien. Deux choses l’une. Je pense que ça ne devrait pas être interdit, car j’en ai ma claque des interdictions prononcées à tout bout de champ. Mais dans le même temps, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça reste une sorte de coup bas, un aveu de faiblesse. C’est même petit, et encore plus pour Marc Marquez, huit fois titré (!). Qu’un pilote en manque de vitesse ou dans une situation contractuelle difficile le fasse, d’accord, pourquoi pas. Si Augusto Fernandez cherchait désespérément la roue de Bagnaia ou de Martin, ça ne me gênerait pas tant que ça bien que ça reste une pratique assez dangereuse.
Mais quand Marquez le fait, cette fois doté d’une très performante Ducati Desmosedici GP23 – certes pas au niveau de la GP24, mais qui permet tout de même de se qualifier très haut comme l’ont montré ceux qui la montent également, c’est bas. Lui comme un autre prétendant au titre d’ailleurs.
Ce n’est pas un article à charge contre l’Espagnol ; et d’ailleurs, beaucoup l’ont fait cette saison, même Jorge Martin à Assen un temps englué dans le peloton – ce qui lui valut une pénalité. Mais comme souvent, je trouve dommage et assez désespérant que la direction de course soit obligée de rappeler à l’ordre de tels pilotes pour de tels comportements. On ne devrait pas avoir à leur dire. Cela ne fait qu’influencer négativement la plus jeune génération, qui, malgré les nombreuses pénalités et risques, copie les plus grands en Moto3.
Le bon élève
Un seul pilote a toujours été exemplaire sur ce point : Pecco Bagnaia. En réalité, il ne fait rien d’exceptionnel car la norme devrait plutôt tendre vers son modèle, mais au moins, il se refuse à attendre quelconque roue de quelconque adversaire, quitte à se qualifier plus loin. Depuis la mi-2023, il n’est plus aussi véloce en qualifications, et parfois, même, s’est retrouvé en grande difficulté à des moments critiques. Mais il tient bon et réalise ses tours rapides tout seul, ce qui contribue indirectement à sa grandeur. C’est le bon élève.
Que pensez-vous de ce phénomène ? Avez-vous constaté, comme moi, que la situation s’est considérablement dégradée ces dernières années ? Dites-le moi en commentaires !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.
Photo de couverture : Michelin Motorsport