Ça n’a pas pu vous échapper, mais Andrea Iannone était au départ du Grand Prix de Malaisie MotoGP, son premier depuis la fin 2019. Bon, son week-end était somme toute correct au vu de son manque de préparation. Mais ce n’est pas ses résultats qui nous intéressent aujourd’hui ; non, c’est ce qu’il a dit à l’issue de la deuxième journée de course. N’ayant pas touché de MotoGP depuis cinq ans, son point de vue était assez pertinent pour évoquer ce qui a changé, et surtout, ce qui est propre au MotoGP par rapport au championnat Superbike dans lequel il évolue actuellement.
La charge aérodynamique, le vrai ennemi ?
Afin de ne pas alourdir ce papier, vous pouvez retrouver les propos que nous allons évoquer aujourd’hui en cliquant ici.
Pour résumer, il se livrait sur la difficulté physique qu’entraîne le pilotage d’une MotoGP aussi appuyée. À première vue, cette déclaration est assez banale, car l’on sait que notre sport préféré requiert une préparation parfaite du corps et de l’esprit. Mais en y réfléchissant, il détient peut-être la clé pour que le spectacle revienne en MotoGP. Je m’explique.
N’allons pas nous mentir : les courses de cette saison 2024 sont assez plates. La plupart du temps, le vainqueur (comprenez Martin ou Bagnaia) s’échappe et remporte largement l’épreuve. D’accord, Ducati domine, aucune autre marque ne lui arrive à la cheville sur vingt Grands Prix. Mais quand même, c’est étrange, surtout que l’on est passé, en quelques années, de saisons disputées à ça.
Et si l’aéro était responsable de ce manque de spectacle, ou plutôt, de la physionomie de cette saison plus particulièrement ? Je vous l’accorde, vous êtes nombreux à détester ces appendices assez grossiers, mais l’argument qui revenait le plus souvent était lié à la perturbation de l’air provoquée par lesdits appendices. Le phénomène « d’air sale » est aisé à comprendre : si vous suivez une moto ou une voiture qui a une grande charge aérodynamique, vous n’aurez que très peu d’appui dans les virages, mais beaucoup d’aspiration dans les lignes droites. L’air, devant vous, est totalement perturbé car davantage dispersé dans tous les sens par le concurrent que vous suivez. Voici la théorie que l’on me rabâchait à chaque fois que le manque de dépassements était évoqué, mais celui-ci est facilement réfutable.
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Martin et Bagnaia, en Malaisie, nous ont prouvé qu’il était parfaitement possible de se suivre de très près, sans pour autant perdre en adhérence, ni voir ses pneus monter en température à tel point qu’emboîter le pas d’un concurrent ne devienne intenable (si vous rencontrez moins d’air frais, tout chauffe). Certes, cela peut arriver en cas de bataille prolongée ou dans des conditions extrêmes exactement comme en Malaise. Marco Bezzecchi s’en est plaint, par exemple, mais la joute entre les deux premiers à l’arrivée était assez longue et nous a prouvé qu’il pouvait quand même y avoir du spectacle. Et puis, il y a plein d’exemples de grandes batailles qui ont duré longtemps ces dernières années : le Sachsenring, Jerez et Buriram en 2023, par exemple. Dans une moindre mesure, Jerez 2024.
Mais l’aérodynamique avancée des machines actuelles pourrait être responsable d’un autre phénomène auquel je n’avais pas pensé, et qui fait parfaitement sens à l’étude du profil des deux leaders du général.
Risques et récompenses
Andrea Iannone n’a pas tant évoqué la difficulté de suivre un concurrent. L’Italien s’est davantage épanché sur l’aspect physique que représente de telles évolutions. Il dit, par exemple, que tout est épuisant, que les motos en deviennent lourdes au possible, surtout sur les phases de freinage. Aussi, qu’il fallait tout faire au maximum pour constamment générer de l’appui, sans quoi, vous pourriez tomber.
Mais attendez. Qui, cette année, prend le plus de risques ? Quels pilotes chutent souvent alors qu’ils sont en position de marquer de gros points, parce qu’ils sont les seuls à constamment jouer devant ? Qui sont ces hommes qui, sur cette grille, ne calculent jamais rien, sont toujours à fond ? Martin et Bagnaia. Finalement, l’écart apparent de niveau entre eux et le reste de la grille ne s’explique-t-il pas ainsi ? Beaucoup pensent qu’ils tombent souvent lorsqu’ils sont premiers ou deuxièmes à cause de leur position, mais n’est-ce pas parce qu’ils attaquent plus que tous les autres à n’importe quel moment de la course qu’ils chutent – et donc, selon Iannone, se fatiguent plus vite, essayent de mettre à profit leur aéro au maximum – ? En gros, la question n’est-elle pas pris à l’envers ?
Je pense désormais que si, et c’est un problème sur deux plans. Déjà, car l’escalade aérodynamique en MotoGP est destinée à faire apparaître pour de bon ce fameux phénomène d’air sale. Si ça continue, les pilotes ne pourront plus se suivre (ce qui n’est pas le cas actuellement, je le précise). Ensuite, car les motos vont de plus en plus vite, et il sera d’autant plus facile encore de se faire piéger parce qu’on attaque pas assez. Les manches deviendraient des sortes de « course à l’attaque », un enchaînement de vingt-six tours qualif’. Remarquez, c’est un peu le cas actuellement. Et la course doit rester la course, avec sa science propre.
Conclusion
J’espère avoir été clair, mais pour résumer, Bagnaia et Martin sont les meilleurs car ce sont ceux qui appliquent la philosophie que requiert l’époque. Nous sommes dans l’ère des attaquants, ça, on le savait, mais n’est-ce pas les motos qui imposent ça plus que l’apparition de phénomènes comme Bastianini, Martin et Bagnaia ? Les motos demandent à être poussées au maximum pour fonctionner de la meilleure manière, un peu comme un cercle vertueux, et les deux – qui possèdent par ailleurs des qualités similaires et une approche quasi-identique – sont ceux qui se donnent le plus au guidon.
C’est un phénomène à surveiller de près, que je vais tâcher de garder à l’œil en 2025. A posteriori, cela expliquerait beaucoup d’événements passés : par exemple, Fabio Di Giannantonio n’aurait-il pas « simplement » augmenté son engagement au guidon sur la fin 2023, totalement libéré car contraint à l’exploit ? N’était-ce pas sa clé pour débloquer de la performance, plutôt qu’une progression linéaire ou sur des points plus précis ? De ce fait, la confiance ne deviendrait-elle pas l’arme la plus redoutable qu’un pilote puisse détenir ? Ne se dirige-t-on vers pas la disparition de la science de la course, au profit de la vitesse intrinsèque ? Ce sont des questions ouvertes, je n’ai pas la réponse à toutes.
Je suis très curieux de savoir ce que vous pensez de cette réflexion en commentaires, en espérant qu’elle fut assez claire de bout en bout. Pour rappel, ceci n’est qu’un avis argumenté, et en aucun cas la vérité.
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.
Photo de couverture : Michelin Motorsport