Le terme « légende » est devenu plus populaire que
jamais. De nos jours, les superlatifs de ce genre sont
très fréquemment utilisés, et perdent parfois leurs sens premier.
En sports, notamment, chaque ligue ou organisation essaye de rendre
hommage à des légendes toujours plus nombreuses, car dans
l’inconscient collectif, cela légitime sa puissance. En élevant
différents individus au sein d’un groupe à part, en général sous la
forme d’un hall of fame, les plus hautes instances se
placent du côté du spectateur, qui, lui aussi, considérait ledit
sportif comme tel. Le MotoGP n’échappe pas à la règle avec les
MotoGP
Legends, petit groupe de pilotes mis à jour
chaque année ou presque depuis sa création en 2000. Andrea
Dovizioso peut-il prétendre à un tel titre, au vu de sa
carrière ? Ensemble, tentons de répondre à l’épineuse
question.
I) Rapide mise au point
Commençons d’abord par s’entendre sur le mot « légende ».
Afin de ne pas s’écharper sur l’établissement d’une définition qui
pourrait faire l’objet d’une thèse entière, consultons ce bon vieux
Larousse : « Représentation embellie de la vie, des
exploits de quelqu’un et qui se conserve dans la mémoire
collective ». Ce n’est pas d’une grande
aide. En revanche, nous pouvons en appliquer l’essence à
un homme. En clair, c’est un pilote – dans notre cas – qui a
accompli tellement, que la mémoire collective ne l’oubliera pas.
Ses exploits, par le fait, « tiennent de la
légende ». Ils pourront même donner lieu à la création
d’un mythe qui parfois, dépassera la réalité.
II) Andrea Dovizioso a-t-il ce statut ?
Commençons par poser les bases. L’avantage avec « Dovi »,
c’est que nous avons tout vu, ou presque, de nos propres yeux, avec
statistiques à l’appui. Ce n’était pas le cas des anciens comme
Mike Hailwood, Geoff Duke ou
Giacomo Agostini, sans dire qu’ils ne méritent pas
ce statut. Qu’en pense-t-on ?
Si l’on oublie les MotoGP Legends l’espace d’un instant,
nous y reviendrons, non, Dovizioso n’a rien d’une légende, et ce
pour plusieurs raisons. S’il n’y pas besoin d’avoir un
palmarès pour être grand, ça aide. De trop nombreux
trophées manquent à Dovizioso. Certes, il a été champion du monde
125cc en 2004, mais n’a jamais décroché le Graal en MotoGP malgré
12 saisons disputées dans la catégorie. Les chiffres,
seuls, ne veulent rien dire. Le problème, dans le cas de
Dovi, c’est que le contexte ne joue pas en sa faveur. Sur ses 12
saisons à temps complet, il a bénéficié d’une des deux meilleures
machines du plateau pendant au moins six ans (2009 – 2011,
2018 – 2020) mais n’a jamais transformé l’essai. Ensuite,
les victoires. Il s’est imposé à 15 reprises au plus haut
niveau, dans une ère où les saisons sont toujours plus
longues. Oui, c’est un sacré nombre dans l’absolu, ne vous-y
trompez pas. Mais
Bagnaia en compte déjà 11,
même total que Fabio Quartararo. Il y a de fortes
chances, sauf surprise, que Dovi’ soit dépassé par ces deux larrons
pas plus tard que l’an prochain.
Les accomplissements sont importants, mais ils ne disent
pas tout. La grandeur d’un pilote ou d’un sportif en
général se mesure aussi à son impact, ses exploits. De ce point de
vue, le bilan est assez maigre. En plus de ne jamais avoir été très
loquace et démonstratif, Dovizioso a toujours été le
« deuxième ». Certes, c’est sa personnalité qui
est comme ça, et c’est très louable qu’il n’ait pas joué un rôle
toutes ces années. C’est vrai, mais la vie est injuste : avoir du
tempérament et le faire sentir aide à pénétrer la mémoire des gens.
Hormis cela, il a été battu à chaque fois depuis 2004. Battu à la
régulière par ses coéquipiers Dani Pedrosa et
Casey Stoner chez Honda, battu par Andrea
Iannone dans la course à la première victoire Ducati sans
Stoner, battu à trois reprises par Marc Márquez
dans la quête du titre.
Mais sans même évoquer ces douloureux épisodes, c’est le manque de grands moments qui nous pousse à cette cruelle conclusion. Oui, il compte bien des instants marquants que nous n’oublierons probablement jamais : Motegi 2017, notamment, et Spielberg 2019 avec une victoire historique. À l’échelle d’une carrière aussi longue, c’est simplement trop peu. La comparaison avec Jorge Lorenzo est assez frappante quand les deux partageaient le guidon de la Desmosedici. « Por Fuera » était objectivement moins bon, mais en quelques courses (Mugello 2018, Catalunya 2018, Spielberg 2018), a réalisé plus d’exploits légendaires que « Desmodovi » en plusieurs années. C’est la différence entre une légende et un excellent pilote. Lorenzo, quand il était devant, brillait. Dovi manquait de cette mentalité de tueur né, et c’est aussi pourquoi on s’en souvient moins. La preuve : Saviez-vous que Dovizioso a plus de victoires en duel contre Márquez que de défaites ? Cela ne saute pas aux yeux, car le pilotage et la nature de Dovi ne marquent pas de la même manière.
Raison finale : Sa retraite. Nous considérons que
c’est peut-être la pire fin de carrière de l’histoire des Grands
Prix motos, rapporté à un pilote aussi fort, bien entendu. Nous
avons déjà débriefé longuement sa saison 2022.
Cliquez sur le lien en surbrillance si vous souhaitez en prendre
connaissance.
II) MotoGP Legends ou pas ?
Vous connaissez désormais notre point de vue. Mais
ce n’est pas à nous de déterminer si c’est une légende ou non. Car
comme de nombreuses autres institutions, le MotoGP possède son
hall of fame : les MotoGP Legends. Ainsi, de
nouvelles têtes sont ajoutées chaque année afin de récompenser des
carrières marquantes. C’est tout le problème : Avoir un seul
et même plateau force les comparaisons : Untel est-il
aussi, voire plus légendaire qu’un autre ? Cela pousse les
décideurs à ajouter de plus en plus de monde, jusqu’à ce que les
heureux sélectionnés ne soient plus du tout légendaires, à
proprement parler. Complication supplémentaire, les Grands
Prix motos couvrent plusieurs catégories. Bonne chance
pour établir une équivalence entre deux titres 125cc et trois en
80cc.
Ça saute aux yeux à l’étude de ce petit comité :
Andrea Dovizioso y a largement sa place. Si
Stefan Dörflinger, très grand pilote au demeurant
(deux fois titré en 50cc, idem en
80cc) y est, alors oui, Dovizioso, pilote de
MotoGP pendant 12 ans et trois fois vice-champion du monde, doit le
rejoindre, c’est de la pure logique. D’ailleurs,
nous serions très étonné de ne pas le voir intronisé d’ici peu de
temps.
Que pensez-vous de la question ? Andrea Dovizioso
est-il un pilote légendaire ? Demain, nous tenterons
de concevoir notre propre hall of fame avec quelques brèves
explications pour chaque pilote. Ainsi, vous pourrez constater par
vous mêmes nos choix, puis les discuter. Dites-nous tout en
commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport