Une fois de plus, Hervé Poncharal a eu la gentillesse de bien vouloir nous partager sa vision à l’issue d’un événement MotoGP.
Cette fois, comme il le fait régulièrement depuis bientôt deux ans, c’est à l’occasion des premiers tests MotoGP à Sepang que le patron du team Tech3 nous fait goûter les premières senteurs de la saison 2018… et ça promet !
Merci à lui d’avoir pris sur son temps, dans une période pourtant compliquée et très chargée, suite au forfait de Jonas Folger…
Hervé, quel est votre sentiment général à l’issue de ces premiers tests MotoGP en Malaisie ?
Hervé Poncharal : « Mon sentiment général est très similaire à celui que je me faisais comme idée avant que les hostilités 2018 ne reprennent, et je vous en avais d’ailleurs un petit peu parlé. Il se trouve que la réalité de la piste et de ces trois jours d’essais nous a montré que les courses allaient être très disputées cette année. Valentino Rossi a d’ailleurs annoncé que les courses MotoGP allaient ressembler aux courses Moto3. Chez Tech3, on pensait pendant l’intersaison que la saison 2018 allait être plus serrée et plus compliquée qu’en 2017, et c’est une très bonne nouvelle pour les spectateurs, téléspectateurs et tous les gens qui suivent puisque le spectacle va encore être plus intense qu’il ne l’a été en 2017. Par contre, si vous me parlez à moi personnellement, il va falloir se battre encore plus fort qu’en 2017, parce que ce que l’on a vu, c’est que Ducati a encore fait un pas en avant et qu’ils ont maintenant un niveau incroyable. J’ai été sur le bord de la piste hier et j’ai vu Lorenzo, Miller, Rabat, et quand tu vois rouler la Ducati et que tu ne regardes pas la couleur, ça ressemble à ce que faisaient les Yamaha il y a deux ou trois ans. Le moteur pousse tout en étant linéaire et tu sens qu’il y a une osmose entre le châssis et le moteur, comment on pouvait le voir sur une Yamaha avant mais pas sur une Ducati. Un gars comme Miller qui paraissait assez brouillon et parfois agressif du bord de la piste, là on ne le reconnaît plus ! Surtout avec son cuir noir, tu te demandes qui roule comme ça, et bien c’est Miller ! Tu vois que Jorge se fait vraiment plaisir, parce qu’il a fait une pendule mais il a également fait beaucoup de tours, tu vois que les Honda sont toujours là, que les Yamaha sont là. Les Suzuki, surtout avec Alex Rins qui, je crois, va vraiment les aider à sortir de la situation compliquée dans laquelle ils étaient en 2017, sont revenues là aussi. Les KTM, c’est dommage que le dernier jour Pol n’ait pas pu rouler, mais elles seront de toute façon plus fortes et plus près qu’elles ne l’étaient la saison passée durant leur année de Rookie. Il y a donc un incroyable nivellement des valeurs entre ces cinq usines, et il va falloir attendre un petit peu plus longtemps pour voir Aprilia qui a fait un nouveau moteur. Et même Aleix a fait des bons temps, et de façon régulière. Donc mon sentiment est que les motos sont plus proches que jamais, et plus seulement les trois marques Yamaha, Honda et Ducati. Et que de toute façon, Ducati ayant fait ce pas en avant, il y en aura beaucoup plus et ce ne sera plus seulement Dovizioso ou Lorenzo car je pense qu’un gars comme Miller va vraiment nous surprendre par sa vitesse et sa régularité. Petrucci sera là parce qu’il sait que c’est l’année où il faut qu’il soit là. Vous avez aussi vu qu’un gars comme Rabat a fait des trucs qu’il n’avait jamais faits avec la Honda, et que même Siméon qui débute, c’est pas mal. Donc on va vraiment avoir championnat à la Moto3, comme dit Valentino. Et pour en revenir à Tech3 et à Johann Zarco, puisque pour l’instant on ne va parler que d’un pilote, je vous avais dit avant le début des essais que Johann serait un meilleur pilote MotoGP, et il nous l’a confirmé : il est plus à l’aise sur la moto, ses commentaires sont plus pertinents qu’il y a un an, et c’est logique, et physiquement il est beaucoup mieux puisqu’il a travaillé pendant l’hiver et qu’il connaît maintenant les contraintes du MotoGP. Mais maintenant, pour refaire les qualifs et les courses de 2017 en 2018, il va falloir être plus fort qu’on ne l’a été en 2017. Mais en tout cas, ça ne fait pas peur à Johann, il a super bien bossé et je le sens assez serein. Il a progressé chaque jour, comme les autres, et tu le sens vraiment appliqué, un peu à la Márquez actuellement, pas nécessairement à vouloir faire claquer un chrono, et d’ailleurs Márquez m’a bluffé sur ce point. Les jours 2 et 3, Johann a grosso modo arrêter de rouler à 45 minutes de la fin des séances. Or, surtout le jour 2, tout le monde a essayé de faire claquer un temps et tu aurais dit une qualification, avec un peu de fébrilité, même de la part de gens qui sont très capés : des gros bras. Et bien lui, Johann, a arrêté une quarantaine de minutes avant, parce qu’il avait fait son boulot et estimait que ça ne servait plus à rien, que mettre des pneus neufs pour aller chercher un chrono, c’était un petit peu futile et une prise de risque pour pas grand-chose, et que, à part la satisfaction de voir son nom en haut de l’affiche, ce n’était pas ça qui allait l’aider à faire une bonne ou une mauvaise saison 2018. Donc, comme d’habitude, je l’ai trouvé très mature, ultra concentré, et très travailleur. Tu vois que l’équipe, maintenant, c’est une vraie équipe, alors que l’année dernière à la même époque, c’était des gens qui se découvraient. Ça bosse, ça discute, ça s’écoute, ça se fait confiance, et tout le monde est content. »
A l’occasion de ses premiers essais, il y a une ambiance « rentrée de vacances », ou on sent déjà de la tension parmi les concurrents ?
« Plus que de la tension, il y a de la pression ! Il y a de la tension dans le travail, bien sûr, parce qu’il y a eu beaucoup de tours. Quand tu es au bord de la piste, tu vois qu’il n’y a pas un seul tour où les gars ne sont pas à l’attaque. Tu sens que tout le monde est impressionné par le resserrement des valeurs. On mangeait évidemment tous ensemble avec les quatre pilotes Yamaha et on voyait que chacun se donnait à fond et voulait déjà marquer son territoire. Par exemple, Vinales qui était très loin à quelques minutes de la fin le deuxième jour, boom, il a fait claquer le meilleur temps et il avait la banane. Mais le troisième jour, il ne l’avait plus. Donc même si on sait qu’un tour rapide n’est pas suffisant pour être tout à fait content de ses essais, il y a néanmoins chez presque tous les pilotes une envie de se positionner, vis-à-vis de ses adversaires, vis-à-vis des médias, et même vis-à-vis de soi-même. Ce n’est pas seulement pour pouvoir se dire je suis premier, deuxième ou troisième de ces essais, mais ça t’aide aussi à positiver et à repartir avec une satisfaction et un état d’esprit positif jusqu’à la prochaine séance d’essais.
Ce n’était donc pas « c’est la rentrée et on se retrouve tous pour discuter de ce qu’on a fait pendant les vacances », non, et il y a de la pression. Tout le monde est dans son box, ça roule beaucoup, c’est intense et tu ne vois pas beaucoup les pilotes qui se baladent en short sur leur scooter pour discuter avec les uns et les autres. Tu les vois plutôt faire des allers-retours à la clinique mobile pour aller se faire masser ou se faire mettre des bandages sur les mains parce qu’il y a longtemps qu’ils n’avaient pas roulé. Sinon, ils sont dans le box, à discuter avec les ingénieurs et les mécanos.
En plus, avec le décalage horaire et la température, les trois jours de Sepang sont des essais très difficiles. Il fait chaud, on était un peu inquiet à cause de la météo, même si ça s’est arrangé par la suite. En résumé, c’était très studieux, un peu électrique, avec de la pression et pas trop de fun en dehors de la piste. »