Aujourd’hui, Hervé Poncharal occupe une position incontournable dans le paddock des Grands Prix. A la fois Team Manager de la meilleure équipe satellite MotoGP et président de l’IRTA, le personnage doit ses responsabilités actuelles à un très long parcours que nous vous proposons de découvrir de façon très détaillée en plusieurs parties.
Nous le remercions grandement d’avoir pris ces quelques heures pour nous conter son parcours, nous permettant ainsi de publier ce document à caractère exceptionnel.
Attention ! L’homme est bavard et s’exprime avec sincérité : au fil des épisodes, vous allez être surpris… et beaucoup mieux le connaître !
Retour à l’enfance… Hervé, aujourd’hui vous êtes retourné à Bormes les mimosas, mais la première fois que vous commencez à vous intéresser à la moto, c’est en banlieue parisienne, avec vos frères…
« St-Michel sur Orge, pas loin de Montlhéry, c’est mon enfance, mon adolescence.
Il faut savoir avant toute chose que la nostalgie me caractérise; Je suis resté bloqué à 18 ans dans ma tête, et parfois dans ma vie, et je suis excessivement nostalgique. J’ai vécu cette période magique de l’enfance et de l’adolescence de façon sublime, j’ai eu de la chance, je la dois à mes parents et à mes trois frères avec qui j’ai passé des moments incroyables. On s’est tapé sur la tête relativement souvent mais ce fut une période bénie. Je suis né en 1957 et tout ce qui tourne autour de l’époque où j’avais entre 16 et 25 ans était fantastique. Les courses de moto 2-temps à Montlhéry, qui était à côté de chez moi, j’y allais en vélo. Les premières émotions de ces 2-temps avec les huiles de ricin, les premiers concerts dans les MJC locales, la musique progressive, les cheveux longs, Peter Gabriel, Barry Sheene, David Bowie, Genesis, tous ces gens m’ont fait rêver et m’accompagnent depuis un moment.
J’ai eu une chance inouïe; Barry Sheene, qui était mon idole absolu dans le monde de la moto était le trait d’union entre une Rockstar (cheveux longs, sponsorisé par Play boy, des filles autour, la Rolls Royce) et la course moto. J’ai eu l’occasion de le rencontrer plus tard, lorsqu’il vivait en Australie et c’est devenu, je peux le dire, quasiment un ami jusqu’à son décès. C’est d’ailleurs lui qui me tenait la main dans le dernier tour de la course, quand Oliver Jacque a décroché son titre de champion du monde. C’est le premier qui m’ait sauté dans les bras. Il me tenait littéralement la main pendant ce dernier tour et il m’a sauté dans les bras à l’arrivée. C’est une de mes idoles que j’ai eu la chance de connaitre.
Il y a un mec qui me touche énormément aujourd’hui dans ce que je lis et dans ce que je vois de son travers mal être, parce que je n’ai pas ses problèmes (heureusement), c’est Renaud, le chanteur. Il avait fait une interview à l’époque de « Mistral gagnant », qu’il avait fait pour la naissance de sa fille, où il commençait à parler de cette nostalgie alors qu’il était encore jeune, beau, plein de succès et en forme physique. Il commençait à parler de cette nostalgie, et il disait qu’il ne voulait pas vieillir. Je ne me mets pas dans des états comme lui, je jouis de tous les moments que la vie me donne et j’espère en jouir encore longtemps, mais c’est vrai que malgré tout j’ai une énorme nostalgie de mon enfance et de mon adolescence. Surtout de mon adolescence ».
En effet, vous êtes d’une génération qui a vécu sans la guerre, et c’est malheureusement relativement rare. Il s’est agi d’une période d’expansion et d’explosion, où tout un système, tout un carcan, tout a volé en éclat, engendrant un bouleversement des mœurs et une créativité artistique sans commune mesure. Si aujourd’hui on reparle tant de la musique de l’époque, ce n’est pas pour rien…
« Exactement ! C’est une période bénie car le sujet qui nous occupe, c’est bien sûr la moto, et ça a aussi été une explosion de la moto, fin 60, début 70. C’était très lié au rock. Je m’en rappelle, tous les artistes se faisaient photographier sur une moto. En France, les Sardou, les Halliday, ils étaient tous sur des H1, H2 , 900 Kawa, etc.
La moto, c’était rock, le rock, c’était moto. Il y a eu cet espèce de liberté qui était une liberté de parler, de penser, une liberté d’aller vite, les cheveux au vent, on voyait des filles à moitié nues sur les motos, une envie de vivre intense, fulgurante, une libération sexuelle, une libération de penser…
Etre adolescent et jeune adulte pendant cette période-là, où ça explosait de partout puisqu’il n’y avait pas encore la crise économique, puisque c’était avant 73, c’était un rêve. Et même 73 fut assez soft quand on regarde maintenant. Il n’y avait pas ces mots « crise », « chômage », « déficit », « dette », qui reviennent en permanence aujourd’hui, ou du moins ils n’avaient pas la même ampleur. On était encore sur la fin des trente glorieuses. Evidemment, ç
a se passe après 68, avec cette explosion d’idées et
l’imagination au pouvoir… le slogan « sous les pavés de la
plage ». La libération sexuelle, le Flower Power, les grands
festivals, j’ai baigné la dedans, j’ai vécu là-dedans…
Tu voulais penser libre, tu étais libertin, tu aimais la moto, tu
aimais la musique, tu aimais les esprits libres. Tout était lié;
c’était un état d’esprit.
Je suis l’enfant de cette période-là, et évidemment, je pense qu’on est toujours nostalgique de son adolescence et de son enfance, toujours ! Mais peut-être nous encore plus que les autres, parce qu’on a eu la chance d’être entre deux périodes difficiles. Comme tu l’as dit, c’était post-guerre, c’était compliqué, il a fallu s’en remettre, puis fin 80, on a vu les vrais problèmes qui nous sont tombés dessus. Mais entre les deux, ça a été génial ».
Dans cet environnement, on comprend bien votre aspiration à vouloir utiliser une moto. Comment cela s’est-il passé, concrètement ?
« Quand j’étais lycéen, qu’est ce qui m’intéressait ? Quelles étaient mes idoles ? La moto, la musique, et les musiciens qui faisaient de la moto. J’aimais la moto parce que c’était un moyen décalé de se déplacer, j’aimais la vitesse. J’adorais la musique, donc j’allais voir les courses de motos avec mon vélo, ma mobylette puis ma moto après. J’allais aux concerts avec ma moto.
Ce qui m’a amené à la moto, c’est le fait qu’au début j’ai commencé à en faire en prenant la mobylette de la femme de ménage. Ça me grisait incroyablement. J’ai tout de suite eu un coup de foudre avec cet engin qu’était un deux-roues à moteur, tout de suite. Après, comme tout le monde, j’ai eu ma première mobylette, ma première 50 à vitesses, ma première 125 puis j’ai gravi les échelons mais je n’ai passé mon permis voiture qu’à 23 ans, parce que j’avais trouvé un boulot et qu’il fallait que j’ai le permis voiture. A l’époque, on disait : « si tu passes ton permis voiture, tu es un faux; un faux motard ». Il y avait les motards et les « caisseux ». Tu ne pouvais pas être les deux. Alors que maintenant, c’est différent. Donc moi, j’étais plutôt Grand Prix que F1. Je roulais quand même toute l’année avec ma moto, même si j’évitais les flaques d’eau et que je me garais sous l’abribus quand il pleuvait parce que je ne voulais pas salir les pots d’échappements de ma moto. Pour cela, la moto m’a tout de suite plu car l’engin me plaisait, aller vite, prendre de l’élan, faire frotter les repose pieds, les pots d’échappements… »
Déjà à cette époque-là ?
« Ah, j’ai tout de suite adoré, on faisait des petits circuits autours du pâté de maison, on a eu de multiples accidents et chutes. Je n’habitais pas loin de Montlhéry donc j’ai commencé à voir tous ces gens-là, j’ai commencé à lire les journaux. A l’époque, il n’y en avait pas beaucoup mais je lisais la presse spécialisée, ce que je pouvais trouver dans les kiosques et les supermarchés, puisqu’on ne pouvait pas lire ailleurs. C’est comme ça qu’a commencé mon attirance pour la moto, et ça ne s’est jamais démenti. Aujourd’hui, beaucoup d’années plus tard puisque j’ai 60 ans, je te jure que ce n’est pas des histoires. J’ai toujours le même plaisir quand je roule sur un deux-roues. Je n’ai plus besoin d’aller vite pour me faire plaisir, mais rouler sur un deux-roues pour moi, c’est le plaisir absolu. Je n’envisage pas de partir en vacances et de faire une balade sur autre chose que sur un deux-roues. Mon deux-roues peut faire sourire les gens mais je n’ai pas peur de les faire sourire: mon Tmax, c’est mon chéri, mon partenaire. Quand je pars en Corse, en Sicile, en Sardaigne, dans le Val d’Allos ou ailleurs, sur les petites routes de l’Ardèche, autour de chez moi, avec ma copine, je suis le plus heureux du monde et je me dis que c’est incroyable. Je me dis : « qu’est-ce qu’il s’est passé entre moi et un deux roues ? ». C’est un coup de foudre qui ne s’arrêtera jamais ».
A suivre…