La question des courses sprint anime cette trêve hivernale qui laisse le temps de se pencher sur ce sujet sorti en pleine saison 2022, à un moment où la tension était à son comble dans la course au titre. L’intérêt des protagonistes était donc ailleurs, ce qui n’est plus le cas dans cette intersaison. Entre leur mise en place, leur bouleversement dans les clauses des contrats signés avec notamment la question des primes, mais aussi l’évaluation de leurs conséquences sur la vie du paddock comme de leurs effets sur l’intérêt du public, ça cogite ferme. Avec cette dernière intervention en date que l’on doit à Livio Suppo, on se rend compte du pari pris par Dorna avec ce nouveau format des Grands Prix. Et qu’il faut souhaiter gagnant.
Mais le souhaiter gagnant, ne veut pas dire silence dans les rangs pour autant. Oui, il fallait faire bouger les lignes et les hommes de Carmelo Ezpeleta ont pris l’offensive plutôt que de subir la baisse des chiffres de l’audience. Il y aura donc des courses sprint en 2023 en MotoGP, comme il y en a en WSBK et en Formule 1. La dimension du risque se révèle cependant lorsque l’on sait que ces nouvelles compétitions seront du programme des 21 meetings inscrit au calendrier ce qui fera 42 départs…
Sur ce point, Livio Suppo, qui était team manager de l’équipe officiel Suzuki tant que celle-ci existait interpelle : « quoi qu’en dise le président de la Fédération internationale, le départ n’est pas le moment le plus spectaculaire d’une course mais le plus dangereux. Notre sport est un sport à risque donc certains moments doivent être réduits. Au lieu de cela on les double ». Il ajoute : « j’en parlais avec certains de mes mécaniciens : préparer une moto pour une course est beaucoup plus stressant que de le faire pour une séance d’essai. En course la moindre négligence, par exemple un carénage mal fermé, gâche tout. Il y a plus de pression pour les mécanos et aussi pour les pilotes. Faire 42 départs sur le plan psychophysique est un stress monstrueux. En pensant à un championnat aussi long j’aurais au moins essayé d’inclure la sprint race dans 4 grands prix pour en comprendre les effets. Le faire d’un coup sur tous les rendez-vous me semblent être un pari ».
L’Italien plante ainsi le décor avant de poursuivre : « nous devons répondre à la question de savoir pourquoi la course sprint était voulue. Si la vraie raison est de faire en sorte que plus de gens regardent la télévision le samedi cela peut probablement fonctionner car une course attire certainement plus qu’une séance qualificative. Si en revanche ce changement a été fait dans l’espoir que ça augmentera l’intérêt pour le championnat tout court, il faut dire que cela n’aura aucun effet ». Une certitude qu’il appuie avec cet argument : « preuve en est le Superbike qui a toujours eu 2 courses, maintenant même 3 et malgré cela il n’est pas devenu le championnat très populaire. Augmenter le nombre de courses ne suffit pas à augmenter l’intérêt ».
Livio Suppo : « la course sprint devait être introduite comme une expérimentation et non comme une panacée à tous les maux«
Cette conviction affichée dans les colonnes de motocisclismo s’accompagne aussi d’autres idées qui n’ont pas été retenues : « j’ai eu une idée inspirée de la F1 et qui était de n’utiliser le correcteur d’assiette arrière en Moto GP qu’à certains endroits lorsque l’on suit un pilote, comme c’est le pas avec le DRS. Il y a ceux qui veulent éliminer ce système ceux qui ne le veulent pas et ma proposition est que la technologie peut prêter main-forte à un spectacle. Penser à la course en Thaïlande entre Miller Oliveira. Ils sont restés longtemps proches. Si seulement celui du derrière avait pu utiliser le dispositif ils se seraient doublés au moins 6 ou 7 fois. La chose la plus spectaculaire en Moto GP est le dépassement, peut être dans le dernier tour. Il n’y a rien de mieux que des finales comme celles de Dovizioso contre Marquez, elles vous font sauter devant la télévision et vous donne envie de voir la prochaine course. Cela pourrait être une idée copiée de la F1 ».
Reste ce constat inquiétant : « le MotoGP reste un sport pour les passionnés et non pour le grand public cela a toujours été comme ça. Grâce au phénomène Valentino cela avait diminué mais aujourd’hui nous sommes à nouveau un sport pour motard et ne sont pas des millions et des millions. La question est de savoir comment faire du MotoGP quelque chose que les gens veulent voir à tout prix. La course sprint n’obtiendra aucun résultat de ce point de vue ». Alors que faire d’autre ? Livio Suppo avance ses arguments : « en F1, ils ont fait un excellent travail en termes de communication. La série « drive to survive » de Netflix a rapproché les jeunes. J’ai une fille de 20 ans qui me dit que beaucoup de ses amis ont commencé à suivre et à se passionner pour la F1 après l’avoir vu ». Une dernière remarque qui insiste sur les dommageables conséquences de l’échec retentissant de l’opus « MotoGP Unlimited » qui devait lancer la même dynamique sur le même format.
Livio Suppo termine : « nous devons essayer de faire du Moto GP un événement que les gens veulent voir. Pour ce faire nous devons le rendre plus spectaculaire. La course sprint aurait pu être une tentative en ce sens, mais elle devait être introduite comme une expérimentation et non comme une panacée à tous les maux ». Cette saison 2023 sera décidément une compétition avec de grands enjeux. La nouvelle ère tant souhaitée y sera-t-elle lancée ?